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Une clause de conscience pour les pharmaciens


Une clause de conscience pour les pharmaciens
(Photo : SIPA.00684763_000024)
(Photo : SIPA.00684763_000024)

Alors que le Conseil de l’ordre des pharmaciens étudie un projet de refonte du code de déontologie de la profession, une polémique inattendue a surgi au sujet de la possible introduction d’une clause de conscience pour les pharmaciens. En effet, contrairement aux autres professionnels de santé, les pharmaciens ne bénéficient actuellement d’aucun droit à l’objection de conscience.

En principe, l’objection de conscience ne devrait pas avoir de raison d’être revendiquée dans le domaine médical ou pharmaceutique : le but des professions de santé est de soigner et nul médecin ni pharmacien ne peut, en conscience, refuser de soigner un malade. Cependant, le champ de l’activité des professions de santé s’est modifié ces dernières décennies, couvrant désormais des activités non thérapeutiques, comme la chirurgie esthétique, la contraception, la stérilisation, l’avortement et peut-être bientôt l’euthanasie. Le pharmacien, comme le médecin, peut donc maintenant être appelé à participer à un acte qui n’a pas pour but de soigner le patient, voire à un acte qui a pour but de mettre fin à une vie humaine, qu’elle soit commençante ou finissante.

Comme les médecins ou les sages-femmes, les pharmaciens font serment d’exercer leur profession avec conscience et indépendance, dans le respect de la vie humaine. Le pharmacien, dans le serment de Galien, « jure (…) d’exercer, dans l’intérêt de la santé publique, [sa] profession avec conscience ». Le code de déontologie des pharmaciens souligne : « Le pharmacien exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. Le pharmacien doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit ».

Le pharmacien engage sa responsabilité lorsqu’il délivre des médicaments. Il doit par exemple vérifier les risques de surdosage ou d’interaction entre différents produits, même si ceux-ci ont été prescrits par un médecin. Une telle exigence implique nécessairement la possibilité de refuser de délivrer un médicament. Il est donc assez paradoxal, voire incohérent, de prétendre obliger le pharmacien à délivrer un produit qu’il juge inapproprié ou nocif pour le patient.

Une situation identique à celle des médecins ou sages-femmes

Lorsque l’avortement a été légalisé, seule la méthode chirurgicale existait, de sorte que les pharmaciens n’ont pas été expressément inclus dans le cadre de la protection. Celle-ci vise les professions médicales et les auxiliaires médicaux, or les pharmaciens n’appartiennent à aucune de ces deux catégories. Maintenant que l’avortement médicamenteux est fréquent (environ la moitié des cas), les pharmaciens sont directement impliqués dans l’acte qui met fin à une vie humaine. Ils peuvent donc se trouver confrontés à de véritables problèmes de conscience. Puisqu’ils doivent exercer leur profession en conscience et respecter la vie, la protection contre la participation forcée à un avortement devrait s’étendre à eux. Placés, comme les médecins ou les sages-femmes, dans une situation où ils peuvent être amenés à participer directement à un acte qui met fin à une vie humaine, ils ne bénéficient pas de la même protection. Ils sont donc victimes d’une discrimination.

Dans les pays voisins, s’agissant d’actes qui portent atteinte à la vie humaine, la protection de la conscience de toute personne impliquée, y compris les pharmaciens, est assurée. L’avortement et l’euthanasie, lorsqu’ils sont admis, ne sont légaux que dans des conditions limitativement énumérées, et le droit à l’objection de conscience est toujours garanti. En effet, ces actes sont contraires au but de la médecine, ils constituent une exception à l’interdit de tuer. Ces actes étant étrangers aux buts des professions de santé, il n’est pas légitime de forcer les membres de ces professions à y concourir.

Enfin, il faut souligner qu’alors que la liberté de conscience est reconnue, tant à l’échelle nationale qu’internationale, comme l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux, il n’existe pas sur le plan juridique de droit à l’avortement ou à l’euthanasie, que ce soit au plan national ou international. En France, l’euthanasie reste illégale, tandis que l’avortement est une exception, pas un droit, la loi Veil était parfaitement explicite sur ce point. Aujourd’hui encore, le code de la santé publique commence par rappeler le principe du « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », puis admet l’avortement comme une exception, uniquement dans les conditions prévues par la loi. Au plan international, aucun traité international ne reconnaît l’avortement, ni encore moins l’euthanasie, comme des droits. La Cour européenne des droits de l’homme a toujours dit que la Convention européenne ne pouvait s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement, et que le droit à la vie ne pouvait inclure un droit de mourir.

Il serait donc infondé de faire prévaloir une faculté qui peut être légale à titre d’exception sur un des droits les plus fondamentaux de l’homme, la liberté de conscience qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme, constitue une des assises d’une société démocratique.



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