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Chesterton II (Finkielkraut remix)


Chesterton II (Finkielkraut remix)
Avec Alain Finkielkraut, Basile de Koch redécouvre Chesterton.
Gilbert Keith Chesterton
Avec Alain Finkielkraut, Basile de Koch redécouvre Chesterton.

« En quoi consiste votre dette à l’égard de Chesterton ? » Telle est la question à laquelle j’ai dû répondre, comme ça, à froid, dans l’émission d’Alain Finkielkraut « Répliques[1. France Culture, samedi, 9 heures.] ». Il faut dire que je remplaçais au pied levé, et non sans fierté, un chestertonologue quand même un peu plus qualifié : Alberto Manguel, qui a notamment recueilli et postfacé 59 essais signés Gilbert sous le titre Le Paradoxe ambulant[2. Actes Sud, 2004.].

Par bonheur, l’ami Finkielkraut va donner l’exemple en mentionnant dès l’abord, citations à l’appui, ce qui l’a le plus impressionné chez « l’éblouissant Chesterton », comme il dit : sa critique ironique de la modernité et, par voie de conséquence, son éloge solennel de la tradition.

« La tradition, c’est la démocratie des morts (…) Elle refuse de se soumettre à la petite oligarchie de ceux qui ne font que se trouver par hasard sur Terre. » Autrement dit, dans un registre plus léger : « Un dogme digne de foi au XIIe siècle, paraît-il, ne le serait plus au XXe siècle. Autant dire de telle philosophie qu’elle est plausible le lundi, mais pas le mardi. »

Sur cette lancée, Fink, aidé par Jacques Dewitte (l’autre invité prévu), se lance dans l’énoncé d’un « catalogue des erreurs modernes » à faire pâlir le Pie IX du Syllabus : « Le relativisme », accuse l’un ; « L’idée de progrès ! », ajoute l’autre ; « L’idée d’évolution ! », opinent-ils de conserve. Moi, dans mon coin, je bois du petit lait ! Mais pas question de surenchérir… Plutôt écouter se lâcher ces « nouveaux réactionnaires » que de la ramener avec mon ancienneté dans la maison…

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L’homme moderne, replié sur son nombril

Au bout du compte, disent-ils, la pensée moderne pratique « l’inversion de la téléologie » avant même celle de la théologie. L’homme traditionnel était tourné vers une fin extérieure à lui-même, qui seule pouvait lui permettre de s’accomplir ; l’homme moderne, replié sur son nombril, s’avère infoutu de sortir de lui-même pour se confronter aux choses et aux êtres, sans même parler de Dieu.

Et pour cause ! Cet homme-là ne croit plus à l’existence d’une réalité, d’une vérité extérieures à la pensée humaine. Tout n’est qu’illusion et construction, « vanité et poursuite de vent[3. Comme disait L’Ecclésiaste, mais pour rire.] ». À ce relativisme absolu, nos deux compères opposent la parabole indienne de l’Éléphant et des Cinq aveugles : chacun touche une partie de l’animal et s’en fait une idée (fausse) ; mais aucun ne peut en prendre la mesure. Morale tirée par Chesterton : « Même si les aveugles n’ont découvert que peu de choses sur l’éléphant, l’éléphant était bien un éléphant, et il était bien là ! »

Dans la foulée, c’est à Jacques Dewitte que notre hôte pose d’abord la question sur sa « dette » envers Chesterton. Et l’autre de répondre en philosophe chrétien qu’il est ; autant dire que j’opine sans tout comprendre, et surtout sans moufter.

En un mot, ce qu’il admire en Chesterton, c’est « le penseur de la contingence » (sic). Ah bon, ça vous le fait aussi ? Alors, laissez-moi étaler ma science toute neuve : en gros, il n’y avait pas de nécessité à ce que ce qui est soit, et pourtant c’est !

Quelque chose nous dépasse, ce qui nous grandit

Face à ce vertigineux constat, les modernes – encore eux ! – éprouvent un affreux sentiment de vide (Cioran), d’absurdité (Camus), voire de « nausée » (Jean-Paul). Pour le père Gilbert et son disciple Jacques Dewitte, au contraire, le caractère contingent de la Création est un motif d’émerveillement perpétuel et de joie profonde : il remplace la nécessité par l’Amour.

À coup sûr, quelque chose ici-bas nous dépasse, mais ce simple fait nous grandit ! Si à l’inverse, nous étions la mesure de tout, tout en serait rapetissé, nous y compris…

La « dette » dont parle Finkielkraut, nous en sommes moins redevables à Chesterton que, comme lui, à Dieu. Si la vie est un don, nous sommes en situation de dette – à charge bien sûr pour nous de l’accepter avec gratitude, ou de la refuser en grinçant que « C’est pas un cadeau ! » et que « D’ailleurs, j’ai rien demandé ! » 

Au néant de la modernitude, Chesterton oppose la plénitude du christianisme : une action de grâces joyeuse face à l’amour gratuit du Créateur. Un abandon d’enfant au Père, comme avant nous le Fils. « Ça change tout, à condition d’y croire ! », ricaneront les sceptiques. Ils auraient tort parce que Finkie, pour sceptique qu’il soit, ne rit pas de ça – ou du moins pas avec n’importe qui…

À un moment, je dois dire, il m’a un peu inquiété en posant cette question : « Qu’y a t-il de spécifiquement catholique dans Chesterton ? » Parce que, quand même, toute l’aventure intellectuelle et spirituelle du mec tend vers cet adjectif qualificatif ! Avant de se convertir, n’est-il pas parti de la critique des « Hérétiques » modernes pour aboutir à l’éloge de l' »Orthodoxie » c’est-à-dire du catholicisme romain[4. Les deux ouvrages éponymes viennent d’être réédités dans une nouvelle traduction (Coll. Climats, Flammarion).] ? Même ses romans policiers ne chantent-ils pas la louange de la Sainte Église incarnée par le Père Brown, détective de Dieu ?

Découvrir Chesterton : une deuxième Bonne nouvelle

Mais à vrai dire, Finkielkraut s’en explique lui-même : pas besoin de partager la foi de ce M. Chesterton, ni même toutes ses idées, pour en goûter le sel, voire en faire son miel.

Par exemple notre « antimoderne », bien de son siècle, reproche-t-il à Gilbert une hostilité de principe au divorce… Mais c’est pour mieux nous faire savourer son plaidoyer décontrastant en faveur de l’indissolubilité des liens du mariage : « Poster une lettre et se marier comptent parmi les rares choses qui soient restées purement romantiques ; car pour qu’une chose soit purement romantique, il faut qu’elle soit irrévocable. » Bien sûr que c’est surhumain, et alors ? « L’homme et la femme en tant que tels sont incompatibles » ; le but du mariage, c’est précisément de « dépasser cette incompatibilité ».

Pour finir, il a quand même fallu que j’explique à mon tour ma dette envers G.K.C. Enhardi par la chaleur communicative des émissions de France Culture[5. Enfin là, je généralise ! Ce n’était que ma deuxième fois sur cette stationa.
a. Après Brice Couturier, qui m’aime bien aussib.
b. Malgré vingt-cinq ans de divergences de fond sur à peu près toutc.
c. Je dis ça pour ne pas lui porter tort…], j’ai tout balancé. Pour moi, la découverte de Chesterton a été comme une deuxième Bonne Nouvelle éclairant la première : on peut mettre l’esprit au service du Saint-Esprit ! Au diable la vallée de larmes et les mines d’enterrement ! Le catholicisme, ce n’est pas la mort : c’est la Résurrection ! La Croix du Christ allège les nôtres ; son retour à la droite du Père préfigure le nôtre[6. Même s’il est prudent de réserver.] et, au bout du compte, tout est bien qui ne finira point.

Mais puisqu’en attendant il nous faut bien conclure, comme disait Jean Jaurès, je risquerais volontiers, à la lumière de Chesterton, une nouvelle hypothèse sur le cas Finkielkraut. Parce que « néo-réactionnaire », je veux bien ; mais franchement, depuis Zemmour, ça devient d’un banal… Chez Fink, il y a autre chose qui pointe, comme une version philosophique de la pensée « hussarde ». La contingence humaine assumée avec dégagement et un agnosticisme engagé, avec la tradition chrétienne, dans un mariage qui n’est pas que de raison. Mais bon, moi, ce que j’en dis…

Orthodoxie

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Juin 2010 · N° 24

Article extrait du Magazine Causeur



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