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Cara fascista !

Quel est ce parfum complexe qui s’attache à la politique italienne ?


Cara fascista !
Giorgia Meloni lors de l'assemblée des élus du parti Frères d'Italie, Rome 10/10/2022//AGFEDITORIAL_SEA101022-02/2210101436/Credit:Alessandro Serrano'/AGF/SIPA/2210101446

En plus d’un cuisant démenti aux médias (qui se pincent le nez), le succès politique de Giorgia Meloni en Italie scelle-t-il définitivement la défaite de la droite classique et la faillite de la gauche en Europe ? Ses followers sont-ils égarés ou nostalgiques, fascistes ou pragmatiques ?… Tentative de description d’un peuple proche et d’un pays lointain.


Et si l’on avait encore tout à apprendre de ce pays qu’on croit aimer ? De Quintus Mucius Scaevola, le tribun de la plèbe, à Benedetto Croce, de Machiavel à Gramsci (sans oublier le cardinal Mazarin, le père de l’absolutisme à la française), les Italiens, s’ils n’ont inventé ni l’État ni la démocratie, ont su penser des formes originales – fasciste, brigadiste (rouge), marxiste, mafieuse, médiatico-berlusconienne – qui ont essaimé en Europe – le modèle pontifical restant une singularité locale !

On croit tout connaître de l’Italie parce qu’on aime les hivers à Venise, l’opéra, les films de Luchino Visconti et les spaghettis al dente, on a bien raison – mais on a tort !

Les Français ont (parfois) de l’esprit, les Italiens ont du talent – du latin talentum, qui désigne ce qui oscille, ce qui penche, par exemple le plateau d’une balance. Et une langue sublime, qui est celle de Dante, qui se souvient de Virgile, et qui permet de voyager à travers les siècles. Jusqu’en Enfer ? Peut-être.

Au-delà des chimères et des rêves brisés – le Mare Nostrum de Mussolini ou le compromesso storico inventé par Enrico Berlinguer et Aldo Moro –, ils font preuve d’imagination quand les Français pérorent sans trêve en invoquant Clovis ou de Gaulle, grisés par leur victoire contre l’Italie en finale de l’Euro 2000 ou le souvenir de l’entrée triomphale de Bonaparte à Milan ! Quant aux Anglais, rivés à leurs divins protocoles, les funérailles d’une reine leur suffisent à savourer leurs illusions et à taire leurs peurs.

A lire aussi: Giorgia Meloni, ou la fin de l’Europe allemande

L’Italie, c’est autre chose.

Dans ce pays, on se souvient des âges et des dieux antiques – avez-vous lu Pavese ?… « Ici, écrivait-il, les femmes sont tout entières des hommes d’action » ! En Italie, on hésite entre l’imprécation et le bel canto, la dialectique et le dialectal, l’huile d’olive et la stracciatella. On est partout en province, même à Rome. Dans ce pays, Madame Meloni ne l’oublie pas, on préfère toujours un baptême à un avortement – c’est culturel ! Si le catholicisme n’est plus religion d’État depuis 1984, les crucifix n’ont pas déserté les écoles.

En Italie, le racisme, s’il ne cesse de croître, reste un péché. On se dispute sans se haïr. On crie quand on chante. On pleure quand on danse. On ne s’interdit pas la pitié. Et l’on ne s’étonne pas de lire SPQR (Senatus Populusque Romanus) sur les plaques d’égout de la Ville éternelle. Enfin, et surtout, on s’exerce au dialogue. Exemple :

– Êtes-vous fasciste ou communiste ?

– Je suis catholique romain. Pas vous ?

– Depuis longtemps ?

– Depuis toujours.

Incompréhensible, pour nous, en France. Quel est ce parfum complexe, ce charme d’alambic, qui s’attache à la politique italienne ? Comment comprendre ce grand écart qui nous inquiète, cette alliance des contraires qui nous trouble ? Togliatti ou le Duce, il faudrait savoir !… Une anecdote à ce sujet. En 1984, à la mort d’Enrico Berlinguer, le secrétaire national du PCI, Giorgio Almirante, le leader du MSI (le parti néofasciste), s’invita fièrement à ses obsèques. En 1988, à la mort d’Almirante, un fidèle de Mussolini – un ancien « chemise noire », compromis de surcroît dans la république de Salo –, ce sont les communistes italiens qui à leur tour saluèrent sa mémoire ! Chez nous, quand Mitterrand faisait fleurir la tombe de Pétain à l’île d’Yeu, c’était en catimini !

Avanti ! Ils ont osé – ils ont franchi le Rubicon !… Quoi ? Oui, pour la première fois en Italie, une femme devient chef de gouvernement ; une coalition des droites conduite par Giorgia Meloni et dominée par son parti Fratelli d’Italia accède démocratiquement au pouvoir.

Crédits : Soleil

Le succès – on s’étonne toujours devant celui ou celle qui en a. Pour commencer, Meloni, à son corps défendant – encore que ! – a ringardisé ses alliés qui sont aussi ses rivaux. Salvini le premier. De lui, on pouvait se dire : « S’il est grossier, c’est qu’il est authentique. S’il est brutal, c’est qu’il est sincère. » Il était capable, juste pour rire, de menacer le président de la République, Sergio Mattarella, d’une marche sur Rome ! Quant à Berlusconi grimaçant et hilare, n’en parlons plus, il ressemble à son masque de cire au musée Grévin – Giorgia se sent plus proche de Gandalf, le mage de Tolkien.

Elle est plus habile que ces deux-là.

Des mots simples : « Je suis une femme, je suis une mère et je suis chrétienne ». Un talent oratoire. Une voix – rauque, sonore, gouailleuse. Pas si apostolique et carrément romaine. Giorgia n’est ni hargneuse ni désenchantée. Et si le peuple parle par sa bouche – elle ne dit pas « Je », elle dit « Nous » –, c’est qu’elle a grandi à la Garbatella, dans les faubourgs. Fratelli d’Italia !… ça se chante, ce sont les premiers mots de l’hymne national.

Au fait, « postfasciste », ça veut dire quoi ?… Qu’on a été fasciste et qu’on ne l’est plus… ou bien qu’on l’est encore ? Non, et même si l’on peut avoir en Europe de vraies raisons de s’alarmer, le fascisme, pour elle, aujourd’hui, est moins une idéologie qu’une mémoire, à la fois personnelle et collective ; il entre dans sa généalogie intellectuelle, et non pas dans son projet. Son programme ?… Il y a ce qu’elle disait, ce qu’elle ne dit plus. Il y a ce qu’elle veut faire et qu’elle ne fera pas. Il y a « Dieu » (qui nous protège), la « Famille » et la « Patrie » (qu’il faut protéger). Il y a, comme partout ailleurs, l’utopie (qui coûte des milliards) et la démagogie (qui ne coûte rien).

Ce n’est pas nouveau. Longtemps régna à Rome, au dernier siècle de la République, une compétition stérile entre deux partis dominants. D’un côté, les conservateurs (les Optimates) qui s’appuyaient sur la tradition et l’autorité des anciens. De l’autre, les tribuns de la plèbe (les Populares), souvent talentueux, qui sollicitaient les suffrages de la rue et flattaient la foule. À sa façon, Giorgia Meloni réconcilie les deux factions.

Curieusement, elle cite souvent Pasolini l’hérétique, toujours prêt à retentir, à se battre, à se compromettre, et qui voulait réconcilier le scandale et la féerie. Il écrivait dans les années 1970 : « L’Italie est un pays qui devient toujours plus stupide et ignorant. On y cultive des rhétoriques toujours plus insupportables. Il n’y a pas, en plus, de pire conformisme que celui de la gauche, surtout, naturellement, quand il est adopté par la droite. » Serait-il dépaysé ?

Et si le national-populisme – la « populocratie » – était la maladie sénile des démocraties occidentales ?

Question subsidiaire : qui, en France, après Macron, s’il déçoit ?

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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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