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Burkini, Trump, Gaulois: le journal d’Alain Finkielkraut


Burkini, Trump, Gaulois: le journal d’Alain Finkielkraut

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Le burkini et le New York Times (11 septembre)

En pleine polémique sur le burkini, le New York Times a invité des femmes musulmanes à s’exprimer. Florilège : « À chaque fois que je me rends au Maroc, je me sens plus libre qu’en France, j’y vois plus de liberté. » ; « Être musulmane en France, c’est vivre dans un régime d’apartheid dont l’interdiction de plage n’est que le dernier avatar, je crois que les Françaises seraient fondées à demander l’asile aux USA par exemple, tant les persécutions que nous subissons sont nombreuses. » ; « J’ai peur, un jour, de porter une lune jaune sur mes habits comme l’étoile de David pour les juifs il n’y a pas si longtemps. »

Le Premier ministre français a répondu à ces attaques d’autant plus blessantes que le quotidien américain qui les publiait les reprenait intégralement à son compte. Valls défendait son pays mais ce sont des journaux français – Le Monde, Libération, Mediapart – qui l’ont aussitôt rappelé à l’ordre. Car une même idéologie néoprogressiste sévit des deux côtés de l’Atlantique. L’exclu y succède à l’exploité et l’antiracisme à la lutte des classes. L’université américaine est le Komintern de ce combat mondial. Avec ses « women studies », ses « African-American studies », ses « Native American studies », ses « gay and lesbian studies », ses « subaltern studies », elle dessine un nouveau paysage culturel. L’éducation humaniste qui mettait les étudiants en contact avec les grands textes cède la place à une éducation thérapeutique qui s’emploie à réparer les dommages infligés à toutes les minorités, à tous les groupes assujettis par la culture dominante en inculquant aux mâles blancs européens la honte d’eux-mêmes et en rendant aux autres la fierté d’être soi.[access capability= »lire_inedits »]

Ayant trouvé dans ce multiculturalisme la formule définitive de la reconnaissance de l’homme par l’homme, la gauche américaine regarde toutes les sociétés humaines de haut et préconise, au nom de la diversité, l’universalisation de son modèle. L’ouverture dont elle se prévaut la ferme à tout ce qui n’est pas elle. Elle invoque, en outre, la liberté de conscience pour défendre les manifestations d’un islam rigoriste qui punit de mort l’apostasie et qui interdit aux femmes musulmanes d’épouser les non-musulmans. L’islam orthodoxe est, comme l’écrit Marcel Gauchet, « une religion d’avant les droits de l’homme ». Plutôt que de partir à la recherche d’un introuvable islam éclairé, il serait urgent d’aider les musulmans à se soumettre, après les autres religions, à l’épreuve des Lumières. Au lieu de cela, le multiculturalisme enrôle les droits de l’homme au service de leur négation.

Dans son édition du 31 mars 2010, Le Monde se prévalait d’un avis du Conseil d’État pour titrer triomphalement : « L’interdiction générale de la burqa contraire au droit ! » Et le 9 septembre de cette année, le même journal annonçait en première page que de plus en plus de féministes étaient opposées à l’interdiction du burkini. Comme la métropole américaine, l’antenne française du néoprogressisme voit des racistes partout : raciste l’hostilité au voile intégral, raciste le refus du burkini, racistes la défense et l’illustration de la civilisation française. On est ainsi passé subrepticement du combat contre la discrimination raciale à la dénonciation du caractère raciste de toute discrimination. Dire nous, reconnaître une identité commune, refuser qu’elle se dissolve : voilà la source du mal. À Manuel Valls, ce n’est pas seulement Le Monde qui fait la leçon, c’est sa propre ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem : « Pour moi, la société française est d’abord minée par le repli identitaire, le ressentiment à l’égard des Mmusulmans. Je suis convaincue que donner la priorité à ce combat est le moyen de faire durablement reculer l’islam radical qui enfante des monstres : le djihadisme, le terrorisme. » Le progressisme remonte aux causes, et la cause première, le crime originel, la mère de toutes les infamies, c’est le rejet de l’autre par l’Occident. Peu importe que l’adolescent de Marseille issu d’une famille turque d’origine kurde qui a agressé à la machette un enseignant juif dans une rue de Marseille soit un bon élève bien intégré. Peu importe que l’égorgeur du père Jacques Hamel n’ait connu ni la misère ni la ségrégation, que sa mère soit enseignante, que l’une de ses sœurs soit chirurgienne, son frère informaticien et que son autre sœur travaille dans un centre de loisirs de Saint-Étienne-dedu-Rouvray. L’antiracisme nous fait vivre, comme le communisme d’autrefois, au pays du mensonge déconcertant. Et quand il rend compte de la grande manifestation des Chinois de la région parisienne contre la violence et l’insécurité, il fait silence sur l’origine ethnique des auteurs de cette violence.

On est raciste aujourd’hui quand on en croit ses yeux et quand on dit que le roi est nu. Rien n’est plus désespérant, soixante-dix ans après l’effondrement du Reich hitlérien, que cette dérive idéologique du grand principe de l’égale dignité de tous les êtres humains. Qui aurait pu imaginer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le souci de la vérité, la défense des droits de l’homme et celle de la civilisation européenne auraient, un jour, l’antiracisme pour ennemi déclaré ? C’est notre situation et elle est insupportable.

Donald Trump (18 septembre)

Ce n’est pas seulement parce que, comme disent les médias, Hillary Clinton a « mal géré » l’annonce de sa pneumonie que l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis devient possible. C’est parce que ce pays a connu, en l’espace de quelques années, des changements considérables. Jusqu’à une date récente, les Républicains, c’était la droite conservatrice en matière de mœurs et ultralibérale en matière économique. Les dDémocrates, parti du Big government, avaient la faveur de la classe ouvrière, des minorités qui bénéficiaient de la discrimination positive et bien sûr des intellectuels. La mondialisation a tout changé. L’Amérique s’est massivement désindustrialisée, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont connu un formidable essor et, pour reprendre la terminologie de Thomas Friedman, le fossé s’est creusé entre les « web people », les connectés, les globaux, les planétaires, et les « wall people », les locaux, les autochtones, les laissés-pour-compte de la mondialisation qui réclament des frontières. Le parti démocrate représente les premiers tandis que les Républicains qui, avant Trump, basaient leur programme sur la baisse d’impôts pour les plus riches, sont devenus, avec lui, le parti des seconds.

Trump est le porte-parole d’une Amérique blanche, déclassée, qui se sent devenir minoritaire et qui étouffe sous le poids du politiquement correct. Cette Amérique ne mérite pas le mépris dont l’intelligentsia et le show-biz l’accablent mais, ce qu’il y a de tragique, c’est qu’elle ait choisi pour la venger un personnage aussi caricatural. Trump s’élève contre les délires de la théorie du genre, mais ce qu’il propose, en guise de virilité assumée, est à la fois grotesque et abject. Il n’aime pas John McCain, le candidat républicain aux élections de 2008, et il le fait savoir en ces termes : « John McCain est un héros de guerre parce qu’il a été capturé. J’aime les gens qui n’ont pas été capturés. » En revanche, il encense Poutine parce que celui-ci est assez « couillu » pour piétiner l’État de droit, pour liquider certains de ses opposants et pour violer les traités internationaux en annexant la Crimée. Le politiquement correct est une calamité politique et morale, mais ce que Donald Trump combat sous ce nom, c’est le tact, la nuance, la complexité, le savoir, la civilisation elle-même. Il se vante de briser des tabous, alors qu’il lève des inhibitions salutaires. Il arbore fièrement son simplisme comme si la subtilité était l’apanage des « mauviettes ».

Aujourd’hui, la bêtise sophistiquée nourrie de French Theory des campus et la bêtise brutale du magnat de l’immobilier se nourrissent mutuellement. C’est un spectacle déprimant qui deviendrait cauchemardesque si Donald Trump était élu président de la première puissance mondiale.

Nos ancêtres les Gaulois (25 septembre 2016)

C’est dans le manuel d’histoire de France d’Ernest Lavisse, qui fut la bible des instituteurs et des écoliers de la IIIe République, qu’on trouve l’expression « Nos pères les Gaulois ». Tout en précisant que notre pays a bien changé depuis lors et que nous ne ressemblons plus à nos pères, Lavisse renversait ainsi la thèse ultra-aristocratique avancée au xviie siècle par Boulainvilliers : les nobles descendraient des Francs, la plèbe serait gauloise. En disant « Nos pères les Gaulois », la République affirmait son ancrage plébéien, son origine populaire. Ceux qui font aujourd’hui le procès de Nicolas Sarkozy ne savent pas de quoi ils parlent. « Nos pères les Gaulois », pour eux, ce n’est pas l’enseignement de Lavisse, c’est la rhétorique du Front national. Rhétorique raciste, car dans la langue de Jean-Marie Le Pen, comme d’ailleurs dans celle des « quartiers », le mot gaulois ne désigne plus le peuple mais les Blancs.

Cette interprétation démontre, une fois encore, que la fameuse mémoire dont on nous rebat les oreilles est l’oubli de tout ce qui n’est pas Hitler ou, plus exactement, car Hitler lui-même tend à devenir une abstraction, l’oubli de tout ce qui n’est pas le FN. La vorace bête immonde avale la IIIe République, les hussards noirs ne se distinguent plus des militants identitaires ni Lavisse d’un blogueur facho. Et tandis que l’antifascisme accapare la mémoire, la diversité occupe tout le champ de la réalité. À Nicolas Sarkozy, Najat Vallaud-Belkacem xxxxx (répondait ? a répondu ?) avec la morgue qui est devenue sa marque de fabrique : « Il y a parmi nos ancêtres des Gaulois. Il y a aussi des Romains, des Normands, des Celtes, des Burgondes, des Niçois, des Corses, des Francs-Comtois, des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Arabes, des Italiens, des Espagnols, c’est ça, la France. » Et son collègue du gouvernement, Stéphane Le Foll, tout aussi dédaigneux, a renchéri : « La France, c’est un arbre avec des racines partout dans le monde ! »

Nous n’avons pas d’origine, ou plutôt notre origine n’est que le miroir de l’idée que nous nous faisons de l’actualité multiculturelle. Avec la diversité, le divers décroît puisqu’elle ne veut voir qu’une tête : la sienne. Au récit national, la bien-pensance substitue la fiction du méli-mélo perpétuel. Ainsi les progressistes qui ne jurent que par le métissage donnent-ils la main aux économistes qui s’impatientent des frontières et des obstacles à tous les flux car ils n’ont jamais affaire qu’à une matière humaine indifférenciée.

Deux idées de la nation se font face dans cette polémique. Pour la première, la France est un pays que l’on rejoint. Pour la seconde, la France est un pays qui se définit par la multiplicité de ses composantes. Enfant sous la IVe République, je ne me souviens pas qu’on m’ait parlé de « mes ancêtres les Gaulois ». Ce que je me rappelle très bien, en revanche, c’est d’avoir eu à traduire des extraits de La Guerre des Gaules de César. On n’attendait pas de moi que je m’identifie aux tribus conquises, on me donnait accès aux subtilités d’une langue dont le français est issu. Et on me pourvoyait ainsi d’une généalogie latine. Et puis on m’a fait lire les classiques français. J’ai donc rejoint avec admiration et gratitude le pays de Racine, de Molière, de Marivaux et de Gérard de Nerval. Cette époque est révolue. Personne ne rejoint plus rien, ni Vercingétorix, ni César, ni l’histoire de France, ni sa littérature. Pour répondre aux défis du xxie siècle et aux attentes du nouveau public scolaire, l’éducation nationale dénationalise aussi bien les Français de souche que les nouveaux arrivants. Et, à la grande satisfaction des médias, Alain Juppé déclare : « Il y a ceux qui ressassent le passé et il y a ceux qui regardent l’avenir. Moi je préfère parler aux jeunes Français de la transformation numérique du monde ou des nouveaux modes de développement économique qu’il nous faut inventer. Je ne veux pas ressasser indéfiniment l’Hhistoire. » Simone Weil nous avait pourtant prévenus : « Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu’à l’avenir. C’est une illusion de croire qu’il y ait là, même une possibilité. L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien. C’est nous qui, pour le construire, devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même, mais pour donner, il faut posséder. Et nous ne possédons d’autre sève, d’autre vie que les trésors hérités du passé et digérés, recréés, assimilés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé. »

Alain Juppé s’inquiète des risques de guerre civile. Mais en jouant l’avenir contre le passé, on dépossède la France d’elle-même, et c’est cette dépossession qui conduit au morcellement et à l’affrontement.

Une enquête conduite par l’institut Montaigne nous apprend que 60 % des musulmans de France considèrent que les jeunes filles devraient avoir le droit de porter le voile à l’école, que 48 % estiment que le fait religieux a sa place dans l’entreprise et que 28 % plébiscitent le port du voile intégral, approuvent la polygamie et affirment la préséance de la loi islamique sur la loi républicaine.

On ne remédie pas à ce séparatisme par la dissolution du récit national, on lui laisse le champ libre.[/access]



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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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