London calling


London calling
David Cameron s'entretient avec le président du Conseil européen et le président de la Commission. Sipa. AP21860368_000002.
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David Cameron s'entretient avec le président du Conseil européen et le président de la Commission. Sipa. AP21860368_000002.

Des petits veinards, ces Anglais. Non seulement ils ont droit de dire des trucs énormes sans se faire traiter de fachos, par exemple, qu’ils aiment leur pays, mais en plus, quand ils votent, leurs gouvernants semblent entendre autre chose qu’un brouhaha lointain et, comble de l’excentricité, il leur arrive même, à ces gouvernants, d’essayer de répondre aux aspirations du populo.

Or, le populo, en Angleterre, dit à peu près la même chose qu’en France. Il veut des frontières et il tient à ces petites manies collectives qu’on appelle les mœurs. Donc il n’aime pas l’Europe de Bruxelles, qui considère que tout ce qui est national est coupable, et qui n’a d’autre « rêve » à proposer (ou à imposer) aux peuples européens que de cesser d’être eux-mêmes.

Ainsi, la progression du vote UKIP, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, créé en 1993 et dirigé par Nigel Farage, n’a pas échappé à Cameron, même si, avec 27, 5 % des voix lors des européennes de 2014 mais seulement 12 % des suffrages aux élections législatives de 2015, il n’a qu’un seul siège au Parlement. « Attention, l’UKIP, ce n’est pas le FN, me souffle Daoud Boughezala, mais plutôt une sorte de Dupont-Aignan qui a réussi. » De toute façon, bien au-delà de la formation souverainiste, il existe en Grande-Bretagne de multiples nuances d’euroscepticisme dans tous les partis et dans toutes les classes sociales.

Les Britanniques, donc, veulent rester eux-mêmes, ça ne date pas d’hier. Et ils pensent que c’est précisément ce dont l’Europe ne veut pas. À mon humble avis, ils ont raison.[access capability= »lire_inedits »] Face à la fronde d’une partie de ses citoyens, David Cameron aurait pu la jouer à la française : mines éplorées, valeurs brandies et sermonnage du bon peuple sur l’air de « l’Europe ou le chaos ! ». Mais Cameron semble avoir du bon sens. Peut-être même une sorte de sentiment démocratique – quand le peuple n’est pas d’accord avec lui, il ne trépigne pas en disant que le peuple, c’est rien que des salauds. Dans le grand chaudron des demandes identitaires, il a donc choisi les plus raisonnables pour tenter d’y apporter une réponse raisonnable.

D’accord, je brode un peu, si ça se trouve, il y a autant de calculs politiciens et de cynisme chez Cameron que chez les autres. En ce cas, je note qu’outre-Manche, le cynisme conduit à écouter les aspirations des électeurs, pas à s’asseoir dessus au nom de la morale.

Donc au lieu de faire chanter ses électeurs en les menaçant des foudres de Bruxelles, Cameron a fait chanter Bruxelles en s’appuyant sur le vote populaire. Moi ou le Brexit. Résultat, on lui a déroulé le tapis rouge à Bruxelles, où il a obtenu un accord qui, s’il ne plaît ni à l’UKIP ni aux eurosceptiques du Parti conservateur, pourrait convaincre une majorité d’électeurs dire « oui », le 23 juin, à une Europe qui promet d’avoir des égards pour leurs susceptibilités identitaires.

Après cette victoire, Cameron n’a même pas attendu d’être rentré chez lui pour mettre les pieds dans le plat. « J’aime l’Angleterre plus que Bruxelles », a-t-il déclaré sur place. Prends ça dans les dents. Quoi, ta sœur avant ta cousine ? Ton pays avant les autres ? Personne ne lui a dit que s’aimer soi-même c’était dégoûtant, et qu’il fallait au contraire se détester pour montrer qu’on aime l’Autre ? En tout cas, personne n’a hurlé au fascisme. Imaginez le scandale si Manuel Valls déclarait tout de go qu’il aimait mieux la France que les autres, un défilé de belles âmes se désolerait qu’il ait perdu la sienne. Et là, rien. Certes, on a un peu hoqueté au Grand journal, où l’un de mes excellents confrères italiens a déclaré sans rire qu’il aimait l’Angleterre mais plus encore la « belle aventure européenne ». La bonne blague.

Il a suffi à Cameron de brandir la menace du Brexit pour obtenir nombre de dérogations que l’on disait absolument inimaginables, aux règles européennes. De Gaulle serait rudement vexé s’il voyait que les seuls à pratiquer avec succès la politique de la chaise vide, ce sont ces fichus Anglais.

La Grande-Bretagne aura donc le droit de limiter l’accès des ressortissants de l’Union européenne à certaines prestations sociales. Ma voisine avant ma cousine. En bon français, ça s’appelle la préférence nationale, mais c’est curieux, personne n’a fait le rapprochement avec qui vous savez.

Ce n’est pas tout. Pendant que nos gouvernants s’obstinent à nous refourguer par la fenêtre une Europe politique que nous avons refusée par la porte, Cameron a réussi à faire inscrire dans le marbre d’un accord que « son pays ne sera pas tenu de prendre part à une intégration politique plus poussée ». Ah bon, et s’il refuse, ce ne sera pas la guerre, finalement ? Pour cela, il n’a même pas été nécessaire de modifier une virgule des traités, comme l’a répété nerveusement François Hollande. C’est tout l’intérêt des textes sacrés, on leur fait dire ce qu’on veut. Avec les mêmes textes, les Anglais vont revenir à la vieille Europe des nations où les peuples décident de leur destin tandis que nous, on continuera à courir vers l’Europe de demain. La souveraineté du peuple, c’est populiste, non ? Drôle de monde, où ce sont les sujets de Sa très gracieuse Majesté qui nous rappellent à nos devoirs républicains.[/access]

Mars 2016 #33

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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