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Boutang, encore une fois


Boutang, encore une fois

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Il n’est plus ce « colosse blond taillé en bûcheron de bas-relief » qu’Antoine Blondin s’était amusé à croquer sous les traits de Cazal dans son roman L’humeur vagabonde. Les années ont passé, son visage buriné en témoigne, le coffre rugit moins fort, et cette armure qui lui servait de corps semble moins souple, plus fatiguée. Mais sa gouaille est intacte, sa prodigieuse intelligence toujours aussi affutée, comme  le regard est resté espiègle, alerte, vivace. Dans les années 1990, à Saint-Germain-en-Laye et Collobrières, Pierre Boutang s’était raconté devant les journalistes Philippe Barthelet et Olivier Germain-Thomas. Grâce à l’historien et journaliste Patrick Buisson qui semble déterminé à explorer l’histoire de la droite intellectuelle – il signait récemment un documentaire sur le philosophe Gustave Thibon – la chaîne Histoire s’apprête à diffuser un documentaire inédit de l’homme par lui-même. La réalisation de ce film a été confiée à Christophe Boutang, son propre fils, et à Jérôme Besnard, déjà auteur d’un petit essai biographique sur le personnage.

À la métaphysique pointue qu’il enseignât à la Sorbonne et qui lui valut la réputation de philosophe parfois incompréhensible, Boutang, au soir de sa vie, aura préféré concentrer son verbe sur l’histoire politique française du XXème siècle. Ce siècle, il l’a accompagné, tour à tour comme étudiant de la rue d’Ulm, membre de cabinets ministériels, journaliste politique, critique littéraire, professeur de philosophie à la Sorbonne, traversant les guerres des hommes et des idées, sans jamais cesser de promouvoir une vision classique et chrétienne de l’homme, une vision qu’il espérait transformer en consensus politique. Et c’est pour cela qu’au parti de l’ordre, il opposait la monarchie, en ce qu’elle serait l’anarchie plus un.

Dans ce film intime et solennel comme un confessionnal, la voix chantante de l’athlète de la pensée accompagne la rotoscopie. On y découvre un jeune frondeur prêt à en découdre avec le professeur Jean Zay qui a osé offenser le drapeau français, ou sur le point d’aller combattre en Indochine (il est déjà marié et père de famille), quand il ne fomente pas un plan de libération de Charles Maurras, son maître, emprisonné après la libération. Sûrement rumine-t-il alors encore sa rencontre avec Philippe Pétain à qui il avait exposé sa volonté de préparer la revanche. Le vieux maréchal lui avait opposé le serment des Gens d’armes d’autrefois : « Gens d’armes, chargez, mais souvenez-vous que vous avez femmes et enfants et que vous avez acheté votre cheval ». Plus jamais, la résignation ne serait dans le camp de Pierre Boutang.

Le temps passe et les souvenirs continuent de revenir. Le militant politique qu’il a toujours été expose ses théories. L’assassinat de l’amiral Darlan, le 24 décembre 1942, par Ferdinand Bonnier de la Chapelle aurait été l’unique cause de l’échec d’un arbitrage du Prince. La confusion qui régnait alors en Afrique du Nord aurait pu permettre l’avènement du prétendant orléaniste au trône de France par les conseils généraux des départements algériens, conformément à la loi Trévenneuc, régissant la vacance du pouvoir. Un temps encore, on vagabonde dans le Paris de l’après-guerre, dans cette ambiance un peu électrique, au grand galop des hussards. Puis vient de Gaulle. Une certaine complicité affleura parfois entre les deux hommes car leur volonté partagée de remettre un roi à la tête de la France l’emportera sur les dissonances de l’épineuse question algérienne. À Giscard, l’auteur de Reprendre le pouvoir dit non et appelle de ses vœux François Mitterrand. Foutriquet, comme il l’appelle, a voulu sortir de la naphtaline « les blancs d’Espagne » pour diviser encore plus la monarchie : il faut qu’il parte ! Quelques images surviennent aussi pour laisser voir le philosophe échanger avec Georges Steiner sur la question juive. Boutang fut en effet de ceux qui ne tombèrent pas dans le « romantisme révolutionnaire », contrairement à Lucien Rebatet ou Robert Brasillach. Son aura intellectuelle aura peut-être permis à bien d’autres de de ne pas s’égarer dans ces tragiques chemins.

Quelques années après cette discussion à bâtons rompus que ce film rend publique pour la première fois, Pierre Boutang s’en est sans doute allé rejoindre Celui auquel il croyait tant. Pour chrétien qu’il était, le camelot savait trop bien que le roi ne meurt jamais. Nous voulons penser que de lui aussi, quelque chose ne mourra jamais.

« Pierre Boutang », un film de Jérôme Besnard et Christophe Boutang. 70 minutes. Diffusions le 11 février à 20h40 et le 14 février à 15h45 sur La Chaîne Histoire.

 *Photo : ANDERSEN ULF. 00327260_000003. 



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