Au pilori des réseaux sociaux


Au pilori des réseaux sociaux

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La dernière affaire remonte à la semaine dernière. Le scénario n’est pas nouveau : un acte violent filmé et posté sur le web provoque les foudres des spectateurs du net qui condamnent à leur façon l’auteur de l’agression. La montée de ce phénomène soulève une question : les réseaux sociaux sont-ils les vecteurs d’une nouvelle forme de justice, une justice populaire appliquée par les internautes?

Les faits du dernier « procès populaire » sont les suivants. Un jeune garçon, Robin Marcheras, bat, entouré de deux complices, son petit chat à mort. La scène se déroule dans un parc. Un passant, choqué, filme l’acte de barbarie  et poste la vidéo sur Facebook. L’affaire a un tel retentissement sur les réseaux sociaux que la police s’en empare et remonte jusqu’aux coupables. Pour ce crime animalier, le tribunal correctionnel condamne le porteur des coups mortels à 6 mois de prison.

Mais c’est un autre « verdict » qui aura raison du délinquant. Harcelé, menacé, accusé par les internautes sur Facebook, le garçon ne supporte plus « cette vie de merde » comme il l’explique sur son compte, et se suicide.

Le jeune-homme de vingt-quatre ans a ainsi été l’objet d’un double procès. Le premier, officiel, appliqué par le ministère public, est proportionnel au délit. Le garçon aurait purgé sa courte peine et, de nouveau libre, n’aurait plus entendu parler de cette affaire.

À l’inverse, la vindicte des internautes, partiale et émotive, dans tous ses états, en plus, car on a touché à l’un de ses totems : le chaton, semblait l’avoir assigné à une humiliation à perpétuité. Qu’il ait déjà été condamné par la justice ne change rien. Le cyber-pilori a rendu « sa » sentence et elle a eu, aux yeux de l’accusé, plus d’importance que la décision du tribunal correctionnel.

D’après Michel Maffesoli[1. Le dernier livre de Michel Maffesoli vient de paraître : L’Ordre des choses, penser la postmodernité ; CNRS éditions], professeur de sociologie à la Sorbonne, le phénomène n’est pas spécifique à notre ère numérique : « Les réactions « justicières » du peuple s’apparentent à des comportements collectifs bien connus. Le lynchage ou la tentative de lynchage à la sortie des tribunaux d’un criminel, particulièrement quand ce dernier est malade mental a toujours existé. De même, les interventions et les harcèlements divers que subissent les parents des délinquants sont à rapprocher des harcèlements via les réseaux sociaux. »

La différence aujourd’hui, c’est le moyen d’expression. Les réseaux sociaux, ouverts à tous, sont capables de toucher un très grand nombre de personnes en un temps record. Ils sont vecteurs mais aussi amplificateurs d’une voix populaire, comme l’explique Michel Maffesoli : « Ils sont des adjuvants ou des accélérateurs des conflits tribaux, au sens où la mobilisation pour ou contre une cause y est immédiate et massive.»

L’effet de groupe, parfois néfaste, est une des conséquences de l’entre-soi virtuel. Michel Maffesoli qualifie cette forme de concentration en communautés de « tribalisme ». Or les « tribus » ont des humeurs collectives, qu’il faut réguler. En l’absence de garde-fous républicains, la communauté virtuelle  retrouve des réflexes primitifs : le choix d’un bouc-émissaire, d’une victime, pour évacuer ses colères. Le lynchage en ligne serait donc, selon le sociologue, une forme de « catharsis » numérique.

Un brin effrayant, le professeur confirme que la cyber-société, si elle n’est pas encadrée, est capable d’engendrer « le meilleur et le pire : Elans de solidarité et élans de cruauté collective, valorisation par les bonnes actions et les hauts faits comme par les actes stupides et souvent cruels. »

Le problème, c’est que le pire est toujours à venir.

*Photo : DR



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est journaliste à Causeur

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