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Albert Bourla, ce pâtre grec qui voulait devenir vétérinaire…


Albert Bourla, ce pâtre grec qui voulait devenir vétérinaire…
Albert Bourla, Washington, 2019 © Pablo Martinez Monsivais/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22498812_000001

Il est aujourd’hui PDG de Pfizer, ce géant pharmaceutique américain qui produit le vaccin du même nom.


Pourquoi parler de lui maintenant ? Tout simplement parce qu’à l’occasion d’une grande interview très récente dans la presse européenne, il a su entrouvrir avec une vraie sensibilité et une infinie dignité une période tragique dans la vie de ses parents et dans ses propres débuts d’adulte. Ce fut donc au cours d’un long entretien avec les journalistes de quatre quotidiens européens importants, le Corriere della Sera italien, l’allemand Handelsblatt, l’espagnol El Mundo et Les Échos français, ce dernier journal représenté par Dominique Seux. Nous y reviendrons.

Sa famille d’origine juive résidait en Grèce à Thessalonique lorsque Hitler envahit ce pays en avril 1941. Sur les 60 000 juifs qui vivaient dans le célèbre port de la mer Égée, plus des quatre cinquièmes furent exterminés à Birkenau. Parmi les rares survivants de ce voyage vers l’enfer se trouvait la famille Bourla. Tribune Juive raconte ainsi la suite : « Après la guerre, en 1961, un fils est né dans cette famille miraculée des camps. Ses parents l’ont appelé Israël-Abraham. Il a grandi et étudié la médecine vétérinaire en Grèce. Étudiant brillant, Abraham Bourla décrochera un doctorat en biotechnologie de la reproduction à l’école vétérinaire de l’Université Aristote de Salonique. »

Recruté par Pfizer en 1993

Le garçon est tellement doué, passionné et acharné au travail qu’il est repéré par Pfizer, qui le recrute en 1993 en tant que directeur technique de la division santé animale en Grèce, puis pour toute l’Europe et le reste du monde. À l’âge de 34 ans, il décide de s’installer aux États-Unis et de changer son prénom Abraham en Albert, il épouse une jeune femme juive qui lui donne deux enfants et continue de grimper dans les échelons de Pfizer à la vitesse grand V. Il arrive enfin au sommet de cet énorme laboratoire pharmaceutique américain le 1er janvier 2019, après avoir été, selon son entourage, un exceptionnel directeur des opérations mondiales du groupe : un phénoménal voyage pour ce jeune pâtre grec qui voulait devenir vétérinaire.

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Alors, cet entretien avec nos quatre journalistes européens ? À la question « Vous avez grandi en Thessalonique. Votre parcours aurait-il été possible en Europe ? », il a répondu ceci : « C’est la question la plus difficile. Je crains que la réponse soit que cela aurait été possible, mais que c’est peu probable. Les États-Unis, avec toutes les controverses que ce pays peut avoir, ont quelque chose de formidable : ils vous intègrent à bras ouverts quand vous arrivez. » Et d’ajouter : « J’ai été élu PDG de cette entreprise par un conseil d’administration qui connaissait mes humbles débuts dans un petit pays, qui connaissait mon accent très prononcé et mes mots erronés ici et là en anglais. […] Quand ils m’ont annoncé la nouvelle, savez-vous ce que je leur ai dit ? “Cela arrive seulement en Amérique.” »

Les revenus partagés à 50% avec BioNTech

Autre question concernant cette fois Israël, un pays auquel il est évidemment très attaché, lui ayant attribué son vaccin à ses débuts, en toute confiance et en pleine lucidité : « Un retour à une vie normale est-il possible cet automne en Europe ? » Il y répond franchement : « Je pense que oui. L’exemple d’Israël est très intéressant. Bien sûr, c’est un petit pays et il a des caractéristiques spécifiques : il est assez isolé derrière ses frontières, sa population est en état de guerre quasi constant, elle sait donc réagir très rapidement en cas de crise. Mais Israël nous permet de démontrer au monde qu’il y a de l’espoir. » Albert Bourla ajoute alors : « Une fois qu’une proportion significative de la population a été vaccinée, il est possible de revenir à la vie presque comme avant. Tout dépend de la vitesse à laquelle on vaccine. »

Le président de Pfizer a été questionné bien entendu sur son partenariat avec les Allemands de BioNTech, avec lesquels il indique en passant que les revenus du vaccin sont partagés à 50-50. Pour lui, « c’est un excellent partenariat. Les deux entreprises se sont fait confiance. Lorsque nous avons commencé à discuter avec BioNTech, nous avions un état d’esprit : il ne s’agissait pas de business, mais de sauver le monde. Lorsque nous avons commencé à travailler ensemble, nous n’avions même pas de contrat ! Avec Ugur Sahin [le fondateur de BioNTech], nous avons simplement topé dans nos mains via Zoom et nous avons commencé à travailler ».

Le vaccin vendu à prix coutant aux Africains

Sur son entreprise, Pfizer, face à ses concurrents et sur le problème que son vaccin devienne un bien public mondial sans brevet ni licence, il répond clairement que Pfizer n’est pas concerné : « La question fondamentale est de savoir comment nous avons décidé de fixer le prix, précise-t-il. Le principe, c’est l’équité. L’équité signifie que vous devez donner plus à ceux qui en ont besoin. Nous avons décidé d’opter pour un système à trois niveaux de prix différents. Pour les pays à revenus élevés comme l’Europe, les États-Unis, le Japon ou le Canada, le prix est celui d’un repas ! Ces vaccins ont un prix inestimable, en milliers de milliards de dollars, ils sauvent des vies humaines, ils permettent de rouvrir les économies, mais nous ne les vendons qu’au prix d’un repas… » Deuxième niveau, les pays à revenus intermédiaires. Dans ces pays, indique Albert Bourla, « nous le vendons à la moitié de ce prix. Et dans les pays à faible revenu, en Afrique par exemple, nous le distribuons à prix coûtant ».

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Pour en terminer sur ce point, le patron de Pfizer veut être clair : « Ce qui gêne certains, c’est que nous nous sommes déplacés à la vitesse de la lumière. Nous avons développé un vaccin en un temps record jamais réalisé auparavant. Nous avons dû partir de zéro. En dehors de nous, personne au monde n’avait d’unité de production pour fabriquer de l’ARN messager. Que nous ayons pu fournir des centaines de millions de doses à ce jour est un miracle. Bientôt, ce seront des milliards… »

De nombreuses autres questions ont été posées par nos quatre journalistes européens dans cette grande interview qui laisse transparaître un homme hors du commun, d’une sensibilité attachante, d’un sens des responsabilités exceptionnel, d’une profondeur de vues éclatante, s’agissant d’un drame humain touchant la planète entière – en un mot, un héros de l’humanité sans aucun doute, un nouveau Pasteur peut-être. Et l’histoire du jeune pâtre grec qui voulait devenir vétérinaire n’est sûrement pas finie car la technologie de l’ARNm est une vraie « révolution » : « Ce n’est pas la première fois, ajoute-t-il, qu’une rupture technologique change la donne aussi positivement, mais là c’est clairement le cas. »



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Journaliste et entrepreneur

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