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Afrique et Russie: les liaisons dangereuses

Mali, Madagascar, Tchad, Centrafrique...


Afrique et Russie: les liaisons dangereuses
Le ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, accueille son homologue russe, Sergueï Lavrov à Bamako en février 2023 © AP/SIPA

La relation entre la France et le continent africain s’est dégradée ces dernières années. S’il convient évidemment de faire notre autocritique, il apparait aussi que nos intérêts sont ciblés par des puissances ambitieuses, à l’image de la Russie qui reste fidèle à la « doctrine Jdanov ». Analyse.


Dans de multiples discours publics, Vladimir Poutine ou Sergeï Lavrov ont pointé du doigt les anciennes puissances coloniales occidentales en reprenant le classique discours anti-impérialiste qui avait cours sous l’ex-URSS, rejoignant même un genre d’air du temps tiers-mondiste qui a probablement fait mouche dans une partie de l’opinion de gauche sous nos latitudes et aux Etats-Unis : « Le monde occidental est raciste et colonialiste. L’Occident est puissant parce qu’il a pillé l’Asie et l’Afrique ».

Pour aussi fausse que soit cette thèse, elle n’en reste pas moins redoutablement efficace pour séduire les minorités agissantes en Afrique. Ces idées sont notamment relayées par des influenceurs panafricanistes souvent venus d’Europe, à l’image de Nathalie Yamb d’origine camerouno-suisse ou bien encore de Kémi Seba, Franco-béninois né à Strasbourg et qu’on ne présente plus. Ce dernier a récemment été le sujet d’une enquête approfondie du média Jeune Afrique dans laquelle nous apprenons que la société paramilitaire privée Wagner aurait directement financé le fondateur de la Tribu Ka et actuel leader d’Urgences panafricanistes. Répondant au nom de « Projet Kémi », cette opération de Wagner aurait été suivie de virements d’argent pour un montant total de 440 000 euros entre mai 2018 et juillet 2019.

Kémi Séba, ambassadeur de Russie en Afrique francophone ?

Invité dernièrement par Yves Thréard à répondre à un long entretien pour la chaîne LCP, Kémi Séba déclarait à propos d’une éventuelle candidature pour la prochaine présidentielle au Bénin que cela était « du domaine du possible ». Déprogrammé par LCP, l’entretien a toutefois été largement diffusé sur les réseaux sociaux. L’homme s’y défend de liens trop appuyés avec Moscou : « La Russie, moi ce qui m’intéresse c’est la manière dont elle dérange l’Occident. Je suis plus proche de Cuba ou de l’Iran ». Pas sûr que ces propos soient de nature à rassurer… Il y expliquait aussi, cynique, que le conflit ukrainien était « une guerre interethnique entre la Russie et les cousins européens ».

Médiatique et complaisamment relayé par une partie de la sphère alternative française, le charismatique Kémi Séba n’est pourtant que l’arbre cachant une forêt de renoncements nationaux et d’influences exogènes en Afrique. Si le Mali a énormément fait parler ces dernières années, la France ayant sauvé cette importante pièce de la submersion djihadiste à la demande des autorités en mobilisant d’importantes ressources pour son opération Barkhane, avant d’en être chassée; d’autres pays ont été investis par Wagner et divers groupes mercenaires privés originaires de Russie.

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Le cas de la République centrafricaine est aussi source de grandes préoccupations à Paris et chez ses voisins. Dans la nuit du 5 au 6 mars, il y a tout juste un mois, un entrepôt situé à Bangui appartenant au groupe Castel, bien connu chez nous avec les cavistes Nicolas et particulièrement bien implanté en Afrique, était la cible d’un incendie criminel. France 24 a depuis publié une enquête établissant qu’il y avait de fortes chances que l’opération ait été menée par des membres du groupe Wagner qui ont pris appui dans le pays et veulent supplanter le groupe français pour installer leur marque de bières « Africa Ti l’Or ». Vitali Perfilev, chef du groupe Wagner à Bangui, a multiplié ces derniers mois les attaques verbales contre le groupe girondin qu’il accuse de financer le « terrorisme et la guerre ».

À l’image de Kémi Séba qui fait mine de se détacher des intérêts russes dans ses interventions les plus récentes, comme s’il craignait d’avoir signé un pacte avec le diable, des dirigeants africains commencent à montrer des signes de fébrilité. Faustin-Archange Touadéra, président centrafricain, a voulu rencontrer l’administration américaine en février ainsi qu’Emmanuel Macron à Libreville lors de sa venue au One Forrest Summit. Craint-il d’être bientôt débordé par les mercenaires de Wagner qui entendent tenir les principales routes commerciales et intérêts économiques d’un pays francophone devenu leur laboratoire ? L’exemple centrafricain devrait être médité par d’autres pays africains où Wagner essaye de s’implanter…

Madagascar: l’ombre russe sur Siteny

Importantissime dans l’Océan Indien, Madagascar est aussi dans leur collimateur. Siteny Randrianasoloniaiko qui se présente à l’élection présidentielle malgache à l’automne prochain est ainsi compté parmi les relations étroites de Marius Vizer, patron de la Fédération internationale de judo et intime de Vladimir Poutine, affirme ainsi le média Africa Intelligence. Marius Vizer possède de nombreux actifs à Madagascar, notamment la compagnie Mining Times spécialisée dans l’exploitation de pierres précieuses. Dernièrement, monsieur Randrianasoloniaiko s’est opposé au développement d’une mine d’ilmenite par la société australienne Base Resources alors que l’ambassade russe s’intéresse grandement aux ressources de l’île… Il faudra surveiller de près d’éventuelles manœuvres de déstabilisation de ce proche voisin, alors qu’Andry Rajoelina briguera un nouveau mandat faisant face notamment à Hajo Andrianainarivelo.

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Le Tchad pourrait aussi faire les frais des ambitions russes en Afrique. Les services de renseignements américains ont ainsi averti de l’existence d’un complot visant à l’assassinat du président Mahamat Idriss Déby par Wagner, comme l’a récemment indiqué le New York Times. Trois autres officiels de haut rang seraient aussi visés, la Russie apportant son soutien à des rebelles tchadiens actuellement réfugiés… à Bangui. Ces informations auraient été jugées crédibles par les services de renseignements européens qui avaient été bien mal inspirés avant que ne soit décidée « l’opération spéciale » en Ukraine.

Vers une nouvelle crise migratoire ?

Les précédents récents doivent nous inciter à la plus grande prudence. La géographie fait souvent l’histoire. Un simple coup d’œil sur la carte tchadienne permet de mesurer le danger, ce pays partageant une longue frontière avec la Libye qui est un point de passage des flux migratoires clandestins. Au milieu du mois de mars, le ministre italien de la défense Guido Crosetto accusait Wagner d’instrumentaliser et de provoquer de nouvelles migrations illégales vers l’Europe dans l’optique de déstabiliser les pays européens soutenant l’Ukraine : « L’augmentation exponentielle du phénomène migratoire en provenance des côtes africaines fait aussi partie, dans une mesure non négligeable, d’une stratégie claire de guerre hybride que le groupe Wagner (…) met en œuvre en utilisant son poids significatif dans plusieurs pays africains ».

La France doit prendre la pleine mesure des enjeux du continent africain et renouer avec l’intelligence diplomatique qui était la sienne dans ce continent où elle conserve de fortes attaches. La situation n’est pas irrémédiable, mais il faut agir… promptement et fortement.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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