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No future pour le multiculturalisme


No future pour le multiculturalisme

S’il est un pays où la tolérance a sa maison, c’est bien le Royaume-Uni. Les Britanniques en sont persuadés, elle leur a évité les grandes abominations extrémistes du XXème siècle. Si vous insistez, ils vous rappelleront qu’il fut un temps où, dans un continent harmonieusement brun et rouge, leur île seule maintenait assez haut et de belle manière les couleurs de la civilisation. Puis ils vous assommeront avec la démocratie, le fair-play, la modération et le respect mutuel dont ils revendiquent fièrement la paternité. Rien de moins. À défaut de fournir un ADN contraire, il faudra bien acquiescer poliment. Avant qu’ils vous achèvent, preuves à l’appui, avec la liberté absolue de parole et de culte, ou l’égalité scrupuleuse des droits quels que soient la race, le sexe, l’orientation sexuelle. N’en jetez plus, ils sont imprenables.

Vraiment ? C’était avant le discours prononcé par David Cameron à Munich à l’occasion de la conférence sur la sécurité (Il y a de ces villes maudites comme Wannsee ou Yalta qui devraient être interdites de conférences internationales par principe… Passons). Alors qu’il était censé s’exprimer sur le terrorisme, le Prime Minister s’est adressé directement à sa communauté musulmane. Pour donner un grand coup de pied dans le dogme intangible qui, depuis deux générations, constitue le socle de LA solution britannique à l’immigration massive que vivent toutes les grandes démocraties européennes, à savoir le multiculturalisme d’Etat, héritier direct et officiel des belles valeurs susnommées, tolérance en tête. Un système qui, une fois pour toutes, tient pour acquis que le maintien par chaque communauté de sa propre culture et de son système de valeurs participe de l’enrichissement national.

Contre toute attente, à la question « Nos sociétés hyper-diverses peuvent-elles non seulement cohabiter mais prospérer sous un régime qui fait la part belle au communautarisme ? », Cameron a répondu… No. No way. Echec sur toute la ligne. Les cultures séparées sont plus séparées que jamais. Des ghettos physiques et mentaux se sont constitués, renforçant les conservatismes, les malentendus et l’hostilité. Paradoxalement, hors de toute contrainte d’intégration, les minorités se sont senties abandonnées, isolées, voire atomisées. Prêtes à se jeter dans les bras d’extrémistes réconfortants, pratiquant un maelström douteux à coups de confusion d’identité, de religiosité pervertie, de vociférations djihadistes et de martyrs.

Sans tomber dans les travers de ses prédécesseurs conservateurs (on se souviendra du tristement célèbre discours dit des rivers of blood d’Enoch Powell ou de « l’inondation » redoutée par Margaret Thatcher), Cameron s’est plutôt inspiré du concept de Britishness inventé par Gordon Brown, probable transposition à l’insu de son plein gré de la francitude ségoléniste, pour rassembler ses compatriotes. Difficile de ne pas être d’accord avec lui quand il demande aux associations religieuses financées par des fonds publics de ne pas admettre dans leurs rangs ceux qui dénigrent la démocratie et de ne pas jouer les paravents de l’islamisme.

Au travailliste Sadiq Khan qui a regretté que ce discours résolument courageux et nouveau soit malencontreusement tombé le jour de la grande marche de l’English Defence durant laquelle 3000 hooligans ont scandé dans les rues de Luton « Allah, who the fuck is Allah » (traduction libre, Allah, quel vilain garçon tu fais), on pourra même rétorquer qu’il est malsain de laisser aux seuls voyous et racistes patentés la dénonciation de l’islam extrémiste. Idem au sujet des applaudissements de Nick Griffin, chef plus ou moins pestiféré du British National Party ou de ceux, plus surprenants, de la délégation saoudienne à Munich. Il est difficile, sauf à faire preuve d’une mauvaise foi patentée, de considérer que ce soutien s’explique par une subite conversion de Cameron aux thèses de l’extrême droite. Tout au plus peut-on lui reprocher sur ce terrain un silence parfois… pesant.

Mais s’il est parvenu par une opération de haute-voltige bien maîtrisée à éviter d’accoler terrorisme et immigration, sa solution de substitution clés en mains au multiculturalisme est nettement moins convaincante. Fidèle à ses convictions, c’est par un « libéralisme musclé », référence peu heureuse au « christianisme musclé » qui triomphait aux temps de l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, qu’il compte assimiler les minorités. C’est un peu court. Quid par exemple des nombreuses écoles confessionnelles, véritables viviers de prosélytes enragés ? Motus.

C’est oublier surtout que les minorités sont les premières victimes d’une société d’où la discrimination, en particulier à l’embauche, est bien loin d’avoir disparu. Comme l’a rappelé fort à propos Trevor Phillips, Commissaire aux droits de l’homme et à l’égalité des chances, « si les gens n’ont pas de travail, vous ne pouvez pas leur demander de s’intégrer ». Elémentaire, mon cher Phillips.

Il est tentant d’attribuer la cause de tous les maux de la société britannique aux difficultés d’intégration des minorités. Ou de les tenir pour responsables de leurs propres problèmes. En panne dans les sondages avec des indicateurs économiques en berne, et avant que les étudiants ne remettent le couvert sur les droits d’inscription universitaires, Cameron ne cède t-il pas plutôt aux sirènes mélodieuses de la bouc-émissarisation et du détournement opportun d’attention ? En d’autres termes, à une tactique qui sent la panique ? Ce renversement spectaculaire doit sans doute plus aux manœuvres politiciennes qu’aux convictions, mais quoiqu’il en soit, ne rêvons pas. Le Royaume-Uni est encore loin du modèle français assimilationniste. Qui n’a d’ailleurs ici rien d’un modèle !



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Agnes Wickfield est correspondante permanente à Londres.

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