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On ne prête qu’aux niches


On ne prête qu’aux niches

Niche fiscale

Dès qu’on prononce le mot « niche fiscale » la machine à fantasmes se déclenche : on imagine des riches flanqués d’avocats spécialisés montant des sociétés-écrans dans des paradis fiscaux, ces merveilleux endroits où le moindre verre d’eau est servi avec un petit parapluie en papier bariolé et une rondelle de citron. La réalité est bien plus banale et moins exotique. Les niches fiscales constituent un système perverti par un Etat réduit à l’impuissance politique qui s’y accroche comme l’un des derniers leviers lui permettant d’agir.

Au commencement, rappelons-le, une « niche fiscale » est un outil fondé sur le bon sens. Pour citer Gilles Carrez, député du Val-de-Marne et auteur de la loi du même nom, « il est parfaitement légitime de créer des régimes fiscaux dérogatoires afin de favoriser tel comportement économique ou de modifier la distribution des richesses nationales. » Il est vrai aussi qu’une niche fiscale peut être une faille dans la législation permettant aux gros malins d’échapper totalement ou partiellement à l’impôt. Dans le premier cas, il s’agit d’un outil politique intéressant pour encourager les bons comportements (dépenses et investissements jugés utiles pour l’intérêt général) et d’en éviter d’autres, jugés nocifs. Dans le deuxième cas – légal lui aussi -, cela rappelle la réponse d’un rabbin à une femme qui lui demande si un poulet tombé dans un pot de chambre est toujours bon à manger, du point de vue de la religion : « Oui madame, c’est casher, mais ça pue… « .

On réduit les recettes pour ne pas augmenter les dépenses

Or, le vrai problème n’est pas là mais dans le fait que en réalité, cet outil qui devrait être l’un des moyens de la politique fiscale et budgétaire est devenu l’un des derniers instruments à la disposition du gouvernement français qui ne peut plus agir directement ni sur les taux d’intérêt ni sur le taux de change. Et puisqu’il en est réduit à cela, le gouvernement en abuse : de 50 milliards d’euros en 2003, leur montant, c’est-à-dire le manque à gagner pour l’Etat, a atteint 74 milliards cinq ans plus tard. La raison principale de cette explosion est que les niches fiscales permettent au gouvernement de remplacer une dépense budgétaire (augmentation des crédits pour financer l’action publique) par une dépense fiscale (réduction des recettes). C’est exactement le sens des propos du député socialiste de la Meuse Jean-Louis Dumont lorsqu’il estime que « l’inflation de création des niches fiscales ces dernières années » aboutit à une « débudgétisation ». Autrement dit, Bercy se comporte comme un propriétaire qui, pour ne pas débourser d’argent pour entretenir son bien, demande à son locataire de le faire à sa place en échange d’une déduction du loyer.

L’avantage du système est évident : pour les partenaires européens et pour les citoyens français un objectif de réduction des dépenses publiques sans changer le niveau réel des interventions de l’Etat. Ce jeu de passe-passe n’est pas un secret. Un rapport publié il y a deux ans par la Commission des finances de l’Assemblée nationale constate que le recours aux niches fiscales se banalise afin de limiter d’une manière artificielle la croissance des dépenses publiques et que ce phénomène est le principal responsable de la hausse spectaculaire du coût des niches. Agir sur les recettes étant plus facile que d’augmenter les crédits, il en résulte une perversion du système et la création d’un sentiment d’injustice, c’est-à-dire l’équivalent en politique d’un bâton de dynamite. Il est plus facile de tomber à bras raccourcis sur les riches que de s’attaquer au problème de l’impuissance publique car la véritable niche qu’il faudrait plafonner est celle permettant au gouvernement de contourner le budget et de déguiser les dépenses en dérogations fiscales.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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