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Quand le monde de Delphine Horvilleur s’effondre

« Comment ça va pas ? » de Delphine Horvilleur (Grasset, 2024)


Quand le monde de Delphine Horvilleur s’effondre
Delphine Horvilleur © J F Paga – Grasset

Dans un petit livre portant en sous-titre « Conversations après le 7 octobre », Delphine Horvilleur nous raconte ses entretiens, réels, oniriques ou imaginaires, avec un certain nombre de personnes – dont deux de ses grands-parents – après ce jour propice aux revenants.


Notre rabbin est depuis toujours partagée entre un grand-père paternel à la fibre républicaine, parfaitement assimilé, laïque et profondément redevable à la France et aux Justes non juifs qui le protégèrent, et une grand-mère maternelle apatride, venue des Carpates et surtout revenue de tout ; c’est-à-dire ne faisant plus confiance à personne.

Pendant longtemps Delphine Horvilleur optera pour la confiance grand-paternelle ; plus réjouissante il faut bien le dire. Sans compter que Pépé est un grammairien accompli et qu’on apprend dans la foulée qu’en hébreu il existe une petite virgule appelée le « crochet renversant » et qui fait magistralement danser la gigue à la temporalité. Mais depuis le 7 octobre, Mémé carapatée fait un retour en force dans  une langue « très aléatoire, mâtinée d’accent d’Europe de l’Est – celui qui fait de tous les « u » au choix des « i », des « ou » ou des « w » ; ce qui fait que quand Mémé parle, cela donne ceci : «  Médélé, pouqwoi ti cherches dey réponses don les livres de froncé ? Dans quel bite ? » »

Les belles âmes et la marche du 12 novembre

Pour ma part, ma grand-mère paternelle polonaise avait un sens des liaisons qui n’appartenait qu’à elle : « Z’embête pas gosse avec ton z’histoire ! » quand pépé n’en finissait pas, les verres de vin aidant, à me raconter sa guerre avec les Tchèques dans les bambous… Mais laissons là Marinette et revenons à Delphine, qui trouve en revanche beaucoup moins évidente la conversation avec des « amis » qu’elle met provisoirement entre guillemets, lorsque ceux-ci ne veulent pas se rendre à la manifestation contre l’antisémitisme au motif qu’on y rencontrerait le « Front national ». Les belles âmes ne veulent pas se salir les pieds en mauvaise compagnie et préfèrent s’abstenir. Elle en restera pantoise. Elle qui avait lutté à leurs côtés contre le racisme et l’antisémitisme n’en revient pas. Je lui propose d’en revenir ici même. Par ailleurs, l’Histoire n’étant pas chose immuable, l’antisémitisme dont la plasticité est ici finement analysée, connaît d’autres provenances qui pourraient expliquer les guillemets : « Aujourd’hui, la haine contre les juifs s’alimente, de façon paradoxale, de l’antiracisme affiché. »

À lire aussi, Céline Pina: L’islamo-gauchisme de Sciences-po en passe de devenir une affaire d’État

D’une autre manière, les juifs qui avaient été considérés dans les années 30 du siècle dernier comme des « femmes » face aux hommes à la virilité appuyée de l’époque, ont subi eux aussi une transition ; ils sont devenus le « mâle qui fait le mal », dans la bande de Gaza par exemple. Ce qui fait que les femmes violées le 7 octobre ne sont pas exactement des femmes ; leur sionisme les a masculinisées et on ne peut donc pas les défendre ! « Le leader de la Marche des femmes, Linda Sarsour, l’énonçait déjà très clairement en 2017 : « On ne peut pas être sioniste et féministe à la fois. » »

Passée la sidération

Heureusement, d’autres conversations prennent le relai ; celles avec les gens qui lui font du bien ; « ceux qui se savent hantés » ; comme Wajdi Mouawad, exilé du Liban : « peu de gens parlent aussi bien des fantômes que lui ». Kamel Daoud entre lui aussi dans la danse avec ses propres revenants : l’Algérie et les « 200 000 morts de la décennie noire ».

Enfin, Delphine Horvilleur questionne l’origine de l’antisémitisme et tombe sur l’origine elle-même. Elle rappelle que dans le judaïsme, « il y eut un soir, il y eut un matin » ; c’est-à-dire que la nuit précède le jour et que le shabbat commence le vendredi soir. « Le monde commence et recommence toujours lorsque l’on sait ce qu’on doit à la nuit qui précède notre naissance. Voilà ce que les fondamentalistes et les haineux refuseront toujours d’accepter. Il y eut une nuit avant leur naissance et le jour avait déjà commencé avant eux. Et le refus de ce qui précède n’est pas sans lien avec leur haine de l’autre et surtout des juifs, ce trou noir de leur histoire. »

Et c’est avec Israël que notre rabbin converse pour finir, et c’est à Jacob devenu Israël lors d’un fameux combat qu’elle emprunte la figure et la blessure à la hanche pour dire ce que devrait être, selon elle, ce pays.

Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre de Delphine Horvilleur. Ed. Grasset février 2024.

Comment ça va pas ?: Conversations après le 7 octobre

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Professeur de lettres modernes à la retraite, ayant enseigné dans le 93.

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