Avignon en rang d’oignons?


Avignon en rang d’oignons?

olivier py fn

Depuis dimanche soir, on ne danse plus sur le pont d’Avignon. Et pour cause. À rebours de tous les pronostics, le candidat FN à la mairie de la cité des papes, Philippe Lottiaux, est arrivé en tête, avec 29, 63% des voix, devançant la candidate socialiste Cécile Helle (29,54%) et l’UMP Bernard Chaussegros, successeur désigné de Marie-Josée Roig. Ici et là, les tractations ont déjà commencé et, une fois n’est pas coutume, l’épouvantail fringant de la bête immonde est ressorti, brandi par des candidats caparaçonnés des valeurs républicaines, prêt à tout pour éviter l’arrivée au siège de premier magistrat de la ville d’un élu bleu marine.

Comme une écholalie, l’indignation culturelle a succédé à l’indignation politique. Interrogé hier matin sur France Info, le directeur du festival d’Avignon, Olivier Py, a prévenu : si le Front National l’emporte au second tour des municipales à Avignon, le festival n’aura « aucune autre solution » que de partir. Et le chevalier blanc de justifier ainsi sa position : « Je ne vois pas comment, d’ailleurs, le festival pourrait vivre, défendre ses idées qui sont des idées d’ouverture, d’accueil de l’autre. Je ne vois pas comment le festival pourrait vivre à Avignon avec une mairie Front national, ça me semble inimaginable. » Ce n’est pas la première fois que ce militant acharné monte au créneau. Que ce soit pendant la guerre en Bosnie où il avait tenu une grève de la faim pendant 28 jours ou à l’occasion du débat sur le mariage gay avec une tribune qui dénonçait « l’intolérable intolérance sexuelle de l’Eglise », Olivier Py rivalise désormais sans conteste avec une autre sommité en matière d’indignation, Jean-Michel Ribes.

Dans ce gargarisme où se mêlent et s’entremêlent les sentiments mièvres d’une certaine élite sociale, on aimerait que chacun revienne à sa place et fasse le job. Que le politique cesse de faire du spectacle sans toutefois perdre le sens de la distance ritualisée et que le monde du spectacle cesse de faire de la politique. Faut-il rappeler que 59% des ressources  du festival IN proviennent de subsides publics ? Lorsque ces fonds ont été collectés, on ne se souciait guère de l’appartenance politique des créanciers ? Dans l’hypothèse où le Front National venait un jour à conquérir d’autres grandes villes, faudrait-il déménager le Louvre, le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation lyonnais,  ou le château de la Buzine, le « Château de ma mère » si cher à Marcel Pagnol qui accueille désormais la Maison des cinématographie de la Méditerranée ?    

Et pourquoi le festival d’Avignon devrait-il choisir son public ou sa mairie ? Les manifestations artistiques n’ont toujours existé que dans la confrontation, ne se sont réinventées que dans l’opposition. Ces événements be trouvent leur plénitude que dans une sorte de transcendance qui rassemble indifféremment les lecteurs de Céline, d’Aragon, de Mauriac, de Malraux. Que faut-il craindre ? Un maire crypto-fasciste qui viendrait enrayer le succès du festival ? Des habitants d’un genre nouveau qui refuseraient de contribuer au succès de la prochaine édition ? Soyons sérieux. À moins que ce festival ne soit devenu un nouveau lieu de l’entre-soi, un travers qu’avait dénoncé sans demi-mesure, il y a quelques mois, Fabrice Luchini en des termes pour le moins crus: « J’ai le sentiment que c’est désormais le lieu d’une secte qui rejette les grands textes. » ?

On peut comprendre les craintes d’Olivier Py à propos du rapport que la droite entretient avec la culture. Si elle ne l’a pas lâchement abandonné, elle la méprise superbement,  comme en témoignent les dires de l’ancien président de la République à propos de la princesse de Clèves ou ceux de l’ancienne ministre de l’économie, Christine Lagarde, lorsqu’elle suggérait que pour agir, il fallait cesser de lire.  Sans doute le comédien se persuade-t-il qu’avec l’extrême droite, on irait au-devant du pire. Mais si tel était le cas, qu’il reste alors ! Et qu’il participe à ce que Malraux voyait comme un moyen d’être moins esclave pour l’homme : la culture comme résurrection de la noblesse du monde.  

*Photo : DELALANDE/SIPA. 00679735_000002.



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