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Première Dame : pas de ça chez nous


Première Dame : pas de ça chez nous

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La première dame est morte, vive la première dame ? La terrible affaire Trierweiller aura eu le mérite de mettre en pleine lumière le ridicule de cette appellation d’origine incontrôlée – et de permettre à quelques journalistes inspirés de trouver des tas de mauvaises raisons pour justifier la disparition de ce titre qui leur doit à peu près tout.

S’il faut le rayer de la carte, ce n’est pas, comme le laissait entendre l’autre soir le chroniqueur d’une chaîne d’info continue, au motif que cet usage serait monarchique, et donc attentatoire à la dignité de la république. C’est ce qui s’appelle taper à côté. Dans une monarchie, en effet, du moins en France, il était tout simplement inimaginable de qualifier l’épouse du roi de « première dame » – alors qu’elle était la reine. Inconcevable, dans la mesure où le terme de première dame laisse entendre qu’il y en a une deuxième, une troisième, etc., et qu’il existe entre elles un rapport de hiérarchie, certes, mais aussi de relative égalité. Or, en monarchie, il y a une différence radicale, absolue, entre l’épouse du roi et les autres. C’est pour cette raison que ladite dénomination n’a jamais été attribuée aux reines : si elle a été utilisée, c’est pour désigner, selon les époques et de façon assez aléatoire, la maîtresse en titre du monarque, la mère du régent, ou encore, la fille aînée du roi :  c’est ainsi que celle de Louis XV, Mme Louise Élisabeth, qualifiée de « première dame de France » lors de ses noces avec l’enfant d’Espagne, avait été nommée «  Madame première » à l’occasion de son ondoiement. Inusité sous la monarchie, c’est avec la république que le titre apparaît – sous la plume du Premier consul, Bonaparte, qui parle de lui-même comme du « premier magistrat de la république », et de Joséphine comme de la « première dame de France ». Mais les péripéties de l’histoire empêchent cet usage de prospérer – et c’est  d’une autre république qu’il nous revient, comme un banal produit d’exportation : des États-Unis, où l’on a été jusqu’à inventer à son propos le poétique acronyme FLOTUS, First Lady of the United States. Et où la femme du vice-président est parfois appelée «  la seconde dame des États-Unis ». Autant dire que ceux qui conçoivent sa disparition prochaine comme une rupture salutaire avec les pesantes traditions de la monarchie se racontent des histoires.

S’il faut s’en débarrasser, ce n’est pas pour cela. Ce n’est pas non plus parce qu’il serait archaïque. Aux États-Unis, l’usage habituel ne remonte pas au-delà des années 30. Quant à la France, il semble, malgré les apparences, qu’il ne soit fréquemment utilisé que depuis une décennie. Wikipédia, dans son immense sagesse, assure certes que Mme Auriol, l’épouse du premier président de la IVe république, était déjà qualifiée de « première dame » : mais il n’apporte pas la moindre preuve, et ne s’interroge pas sur la contradiction entre ce titre supposé et l’engagement ouvriériste de ladite dame. Par la suite, on imagine mal Mamie Coty, qui décida de faire une tarte le soir où elle apprit l’élection de son mari, ni Tante Yvonne, la discrète épouse du « plus illustre des Français », accepter de se faire bombarder « première dame » par la presse à succès. C’est en réalité avec Jackie Kennedy que le terme franchit l’océan, et Claude Pompidou fut la première à en être parée, quoique de façon marginale : Le Canard enchaîné préférait l’appeler « la reine Claude » ou Mme de Pompidour… En fait, on ne parle fréquemment de « la première dame de France », et l’on ne commence en faire un filon éditorial et journalistique juteux qu’à partir du moment où les intéressées  se mettent à verser dans le glamour, le vaudeville ou le mélodrame : bref, avec Cécilia. Le sujet n’en est un que depuis qu’il peut se montrer en bikini en couverture de Match : il est vrai que sur ce plan, Danielle et Bernadette  étaient moins bankables que Carla. En clair, il s’agit d’un mot à la mode, et d’une mode très récente, même si, à force de l’entendre, on a l’impression que les « premières dames » ont toujours existé.

Au fond, s’il faut s’en débarrasser, c’est simplement parce que le titre est grotesque – et qu’il rabaisse les institutions publiques au niveau d’un sketch de Pierre Dac, l’immortel inventeur de la confiture de nouilles, lequel aurait sans doute su gloser à l’infini sur le 1er  monsieur, la 69e dame, la 397e, digne épouse du sous-préfet de la Ferté-Bernard, ou sur l’opportunité de décentraliser le concept et d’imaginer une première dame de la région Champagne-Ardenne, du territoire de Belfort, ou de la commune de Greez sur roc. Ce qui, ô joie, permettrait à chacun et à chacune d’avoir, en plus de son quart d’heure de célébrité, son titre et son numéro.

*Photo : WITT/SIPA. 00637018_000010.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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