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La métamorphose d’Ovidie

Selon Sonia Devillers, l’actrice X signe un nouvel essai passionnant. Selon notre chroniqueur, c’est de la masturbation intellectuelle!


La métamorphose d’Ovidie
L'ancienne actrice porno Ovidie © Charlotte Krebs

Le 16 mars, Ovidie était reçue sur France Inter pour parler de sa vie et de son dernier livre, La chair est triste hélas. Une révélation pour notre chroniqueur.


La radio publique, France 2 et Arte se l’arrachent. Le Sénat l’a invitée. L’université l’embauche. Les Inrocks l’encensent. Ovidie est une ex-actrice porno qui est maintenant câlinée par toute l’intelligentsia médiatico-féministe. Avant d’évoquer l’émission de Sonia Devillers sur France Inter, revenons un peu sur la vie et la carrière d’Ovidie, cette brillante théoricienne du sexe devenue la coqueluche des milieux médiatiques et culturels.

Oh, la grève du sexe ne s’est pas fait du jour au lendemain. Avant, la syndicaliste sexuelle avait organisé, « en guise de protoexpérimentation », une « grève de la pipe »

Née en 1980, Ovidie découvre l’extrême gauche et les sites porno à 16 ans. Immédiatement séduite par la puissance didactique des écrits de Trotsky et celle, empirique, de la production pornographique de Marc Dorcel, elle quitte le trop simple féminisme beauvoirien pour se lancer dans le féminisme pro-sexe, lequel élève la Grande roue viennoise, la galipette auvergnate et la brouette de Zanzibar au rang d’outils politiques et de dispositifs d’émancipation sexuelle et sociale. Ovidie milite alors pour les droits des « travailleurs du sexe » et fait siennes les réflexions d’une autre éminente penseuse, Virginie Despentes, qui considère que le féminisme pornographique est le seul moyen de résoudre ce qui semble être l’insurmontable problème du patriarcat. À 19 ans, désireuse de trancher ce nœud gordien et de mettre en branle la machine capable de détruire ce système oppressif, Ovidie offre son corps à la science et au féminisme révolutionnaires en devenant actrice porno.

John B. Root raille la BHL du porno

Le journal Libération qui, comme chacun sait, a toujours su être à la pointe des grands progrès de l’humanité en termes de sexualité, publie le 8 janvier 2002 un article sur cette « tête pensante du porno français » – Ovidie a un Deug de philosophie – qui se passionne « pour le piercing et les présocratiques ». Cette intello du X, écrit le journal, ne se laisse pas facilement dompter : « Je ne crois ni en l’âme, ni aux idées, ni en Dieu ». C’est une rebelle. Ses démêlés avec des réalisateurs de films pornographiques le prouvent. Après avoir tourné dans plusieurs dizaines de films X durant lesquels, à l’instar de Kant, Ovidie s’interroge sur ce qu’elle peut savoir et sur ce qu’elle doit faire, celle-ci impose aux réalisateurs une décision irrévocable : finies les éjaculations faciales – ce qui lui vaut les remarques acerbes du réalisateur John B. Root : « Elle aime sincèrement le sexe mais elle se prend un peu trop pour la BHL du porno. »

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Après quelques années d’apprentissage féministe sur les plateaux porno en tant qu’actrice, Ovidie décide de passer à la vitesse supérieure et devient réalisatrice de films… porno. Entre deux films, elle complète sa formation féministe en épluchant l’œuvre de la philosophe Manon Garcia [1] et de quelques autres penseuses du même acabit. En 2020, à 40 ans, forte de son expérience et de quelques relations, elle soutient et valide une thèse de doctorat en sciences humaines intitulée Se raconter sans se trahir : l’autonarration à l’écrit et à l’écran, devant un jury dans lequel siègent la féministe Geneviève Fraisse et la spécialiste « des représentations de genre » dans le cinéma et les séries télévisées, Iris Brey [2]. Chargée de cours à l’université de Limoges, Ovidie est régulièrement conviée dans les médias. France Culture l’invite ainsi à « déconstruire les codes amoureux » grâce à une série documentaire dans laquelle la docteure universitaire se frotte les neurones jusqu’à l’usure : « Ne serait-il pas vain de prétendre construire un amour égalitaire alors que nous vivons dans une société qui crée de l’inégalité ? » Arte diffuse sa série intitulée Libres !, un « manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels » et pour « lutter contre les injonctions sexuelles ». Il y est question, entre autres, de la « charge mentale des femmes » et de la sodomie devenue le « nouveau ciment du couple hétéro ». On voit par-là que notre experte sexuelle ne recule devant aucun concept révolutionnaire dès lors qu’il s’agit de renverser la table et de tordre le cou aux idées reçues sur la sexualité hétéronormée.

Un essai qui a passionné Sonia Devillers

Comme il arrive parfois aux esprits les plus brillants, Ovidie a vécu dernièrement une sorte de révolution copernicienne. Une métamorphose s’est opérée en elle. Après le féminisme pro-sexe, place au féminisme sans-sexe. Elle s’en explique dans un ouvrage intitulé La chair est triste hélas et édité chez Julliard dans une nouvelle collection dirigée par… Vanessa Springora. Selon Sonia Devillers, qui recevait notre penseuse sur France Inter le jeudi 16 mars, ce « petit traité sur les effets de la mal-baise » est passionnant. Ovidie y relate sa décision de « sortir de l’hétérosexualité et de l’injonction de séduire l’autre ». À cet effet, elle fait la « grève du sexe » depuis quatre ans. Oh, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Avant cette grève dite totale, la syndicaliste sexuelle avait organisé, « en guise de protoexpérimentation », une « grève de la pipe », écrit-elle. Cette idée, qu’elle qualifie de « lumineuse », lui est venue alors qu’elle discutait avec une amie, comme elle philosophe à ses heures, lui ayant « confié refuser de sucer ses amants tant qu’elle n’avait pas joui ». Un esprit affûté tire toujours profit d’une conversation a priori anodine – celle-ci a permis à Ovidie de se souvenir douloureusement que ces derniers temps elle s’était « surprise à sucer en ne pensant à rien ». De là naîtront de puissantes réflexions qui conduiront à la remise en cause d’une société hétéronormative et patriarcale refusant aux femmes une sexualité égalitaire, une jouissance participative et la possibilité de penser à quelque chose pendant la fellation.

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Mais qu’est-ce qui a conduit cette éminente chercheuse à cesser toute relation sexuelle avec des hétéros ? interroge fort à propos Sonia Devillers tout en précisant que cette grève du sexe n’est ni à proprement parler une abstinence – il arrive à Ovidie de faire l’amour avec des femmes – ni un « repli réactionnaire ». D’abord, répond Ovidie, la pénétration. La pénétration, gémit-elle, ça fait mal : « ça fait mal avant, ne serait-ce que s’épiler ; ça fait mal pendant, enfin pas tout le temps mais souvent ; et ça fait mal après. » Douleurs vaginales, anales, buccales, mycoses, cystites, la liste est longue des traumatismes vécus par cette ex-actrice et réalisatrice porno qui confesse que 25 ans d’hétérosexualité lui ont « fait plus de mal que quelques tournages de films pornographiques ». Ensuite, cette dissidente affirme ne plus vouloir être le jouet des « injonctions » hétéronormatives imposant de se maquiller, s’épiler, se coiffer ou acheter de la lingerie fine.

Enfin, Ovidie dit en avoir eu assez de « tous ces mecs de gauche qui baisent comme des mecs de droite » – c’est-à-dire, explique-t-elle à une Sonia Devillers éblouie par cette audacieuse analogie, de tous ces hommes se disant de gauche et dissertant à longueur de temps sur la justice sociale et l’égalité mais qui, « arrivés dans votre lit », vous font l’amour sans même vous demander si vous éprouvez du plaisir – ce qui est, comme chacun sait, le trait distinctif des amants de droite. Le dégoût, dit-elle, l’a peu à peu envahie. Puis cela a été « comme un épuisement psychique, un burn-out, une impossibilité de faire un pas de plus, de rouler un kilomètre supplémentaire sur cette longue route de la perte de sens », écrit-elle dans le prologue de son livre. C’est puissant. La revue de philosophie télévisuelle Télérama ne s’y trompe d’ailleurs pas et est emballée par le livre « coup de poing » d’Ovidie. De son côté, Le Parisien y voit une « confession de toute beauté » en même temps qu’une « coulée de lave et d’encre dans la tronche ». Sur France Inter, la penseuse empiriste confie : « Je suis juste mal baisée et j’en ai ras le bol d’être réduite à ma corporéité, à une simple fonction de désirabilité. » Elle envisage de « reprendre en main [son] propre rapport au désir et à la séduction ». Elle pense n’avoir pas tout dit sur ce sujet. Voilà qui nous promet de bien belles émissions sur France Culture, Arte ou France Télévisions [3]. Pour notre plus grand bonheur, nous n’avons vraisemblablement pas fini d’entendre parler d’Ovidie.

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[1] J’ai consacré à cette « philosophe » un article paru le 13 octobre 2021 dans ces colonnes.

[2] J’ai consacré à cette « spécialiste du cinéma » un article paru le 19 mars 2020 dans ces colonnes.

[3] Depuis le 15 mars, france.tv met à la disposition des téléspectateurs un film d’Ovidie intitulé “D’autres chats à fouetter”, visible jusqu’au 24 novembre sur la plateforme de la télé publique. Le pitch : « Lors d’un carnaval de lycée, Paula, professeure d’anglais respectée à la ville, se retrouve à incarner une super-héroïne connue, Catwoman. Elle revêt alors un costume qui lui permet d’exercer son super pouvoir à elle : la domination. » Ça donne envie, non ?



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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