… ou ce qu’il en reste

La comédienne Anna Mouglalis est jusqu’au 25 octobre sur la scène du théâtre de l’Atelier. Qu’y fait-elle ? Elle y lit un ouvrage qui sombrera dans les oubliettes de l’histoire littéraire plus rapidement encore que le dernier opuscule d’Annie Ernaux. La chair est triste hélas est un salmigondis soi-disant féministe gribouillé par l’ex-actrice porno Ovidie qui raconte comment, après avoir d’abord organisé une « grève de la pipe » déclenchée par une expérience extrêmement désagréable – « Je m’étais surprise à sucer en ne pensant à rien » –, elle a tout bonnement décidé de « sortir de l’hétérosexualité et de l’injonction de séduire l’autre ». J’ai déjà eu l’occasion de parler de cet ouvrage aux idées branlantes dans ces colonnes[1]. Ce rejet d’une « vie entière soumise à la libido des hommes » a visiblement enthousiasmé Anna Mouglalis. Interviewée par Libération, la comédienne qui par ailleurs chante les textes lesbiano-féministes de l’illisible Monique Wittig, confie que cela fait dix-huit ans qu’elle ne lit plus d’hommes: « Je ne lis que des autrices, cela fait partie de ma déconstruction. » Toute la presse bien-pensante semble s’être donné le mot pour encenser la pitrerie d’Ovidie et la disciple d’Alice Coffin qui lui prête sa voix.
Pas de contestation masculine, se félicite L’Humanité
Après avoir soutenu pendant des décennies les régimes les plus totalitaires et les plus meurtriers, L’Humanité soutient aujourd’hui les idées les plus stupides issues du wokisme. Le quotidien communiste se réjouit de la prestation d’Anne Mouglalis, un « seul en scène joyeux, soyeux et explosif ». Le critique de L’Huma a observé que les hommes présents dans la salle ne « contestent pas » lorsque Anne Mouglalis éructe « le texte colérique » d’Ovidie dirigé contre « les mecs ». Les hommes en question font sûrement partie de ces êtres déconstruits chers à Sandrine Rousseau qui, conscients de ce que leur masculinité avait de toxique, ne font plus de barbecue, ne tiennent plus la porte à une femme et fondent en larmes dès qu’ils voient une publicité pour des tampons hygiéniques.
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De son côté, le critique théâtral de Télérama est comblé par la sobriété de la mise en scène, des « images d’actes médicaux exercés sur des femmes et d’autres plus abstraites », par le décor, un « large rideau strié » servant d’écran, et par l’actrice, « en pull et pantalon gris ». C’est assez morne dans l’ensemble, mais il faut dire qu’on n’est pas là pour rigoler mais pour « exploser pas à pas le patriarcat ».
L’hétérosexualité, ce « régime politique » qui oppresse Adèle Haenel et Virginie Despentes
À ce propos, conjointement à l’interview d’Anne Mouglalis, Libération rend hommage au théâtre féministe où « le patriarcat est taillé en pièces ». Et de ce côté-là, nous apprend le quotidien, la rentrée est très riche : le duo DameChevaliers, composé de la musicienne Caro Geryl et d’Adèle Haenel, explorera au Théâtre des Bouffes du Nord, du 8 au 12 octobre prochains, un texte de… Monique Wittig. La quatrième de couverture du texte en question, La pensée straight,nous en dévoile la substantifique moelle : « Monique Wittig met au jour le fait que l’hétérosexualité n’est ni naturelle, ni un donné : l’hétérosexualité est un régime politique. Il importe donc, pour instaurer la lutte des “classes”, de dépasser les catégories “hommes”/“femmes”, catégories normatives et aliénantes. Dans ces conditions, le fait d’être lesbienne, c’est-à-dire hors-la-loi de la structure hétérosexuelle, aussi bien sociale que conceptuelle, est comme une brèche, une fissure permettant enfin de penser ce qui est “toujours déjà là”. » Ce ramassis d’âneries a été récupéré et recyclé par les adeptes de la secte butlérienne dont on trouve d’éminents spécimens à Paris 8, au conseil municipal de Paris ou dans les milieux dits culturels – Éric Fassin, Alice Coffin et Virginie Despentes, entre autres. Accoutumée à débiter des balivernes, Anne Mouglalis récite le bréviaire woke dans les colonnes de Madame Figaro : « L’hétérosexualité est un système politique. On le voit avec les atteintes à l’endroit des personnes transgenres, des minorités sexuelles. »

Libération nous informe encore que Virginie Despentes est très à l’honneur en ce moment: après qu’un de ses textes parmi les plus fumeux[2] a été joué au festival off d’Avignon, King Kong Théorie sera lu au théâtre Silvia-Montfort, à Paris, et ses deux pièces, Woke et Romancero Queer (voir mes articles du 29 février 2024 et du 5 juin 2025), continueront d’être jouées ici ou là, dans différentes métropoles. Malheureusement, regrette le journal, « malgré son succès parisien », King Kong Théorie « tourne très peu dans les petites villes ». Dieu merci, la France profonde reste imperméable aux bouffonneries despentesques; les pèquenots savent à quoi ressemble une bouse et les exploitants des salles des « petites villes » n’ignorent pas que s’ils programmaient ce genre d’insanités, ils n’échapperaient pas au goudron et aux plumes.
Soutien inconditionnel des artistes qui « inventent de nouvelles formes pour développer des récits féministes et queer », Libération est par ailleurs impatient de voir l’artiste Séverine Chavrier « s’attaquer pour sa prochaine pièce, Occupations, à l’érotisme féminin à partir d’un corpus de textes d’autrices : Annie Ernaux, Marguerite Duras… » Mme Chabrier est très inquiète du « contexte réactionnaire actuel ». C’est la raison pour laquelle elle souhaite « faire réfléchir aux genres et à leur fluidité » en valorisant la non-binarité au théâtre. Il y aura au-dessus de la scène trois écrans sur lesquels on verra les interprètes en train de se filmer, s’enthousiasme le quotidien qui ignore visiblement que ce bric-à-brac visuel, de plus en plus fréquent, est la négation de l’art théâtral en même temps que la révélation, la preuve absolue de la nullité créative de ses concepteurs. Ce type de mise en scène est conforme à notre époque malade, aliénée, schizophrène: les images fragmentées sur les écrans géants hypnotisent un public asservi, assujetti à celles de ses écrans portables; l’œil, énervé, ne distingue rien en particulier; l’oreille, domestiquée par la propagande, se laisse bercer par un texte affligeant charriant des platitudes nombrilistes mâtinées de wokisme. Les critiques de Libération, de Télérama etdes Inrocks se pâment de joie devant ce néant. Rentrés chez eux, ils griffonnent grosso modo le même article, avec les mêmes mots décharnés, les mêmes expressions miasmatiques, la même langue avilie attestant la mort de l’art théâtral et son remplacement par le « sinistre petit théâtre de la comédie contemporaine qui ne s’avoue jamais en tant que comédie, et c’est pour cela qu’elle est sinistre » (Muray).
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Gouine des villes et gouine des champs
Sinistre. À Lyon, du 14 au 29 novembre prochains, aura lieu au théâtre Croix Rousse la 5ème édition du « Festiv.iel ». Cet événement « fun et sérieux » est « dédié au féminisme inclusif et aux cultures queer », seules alternatives à un « monde qui adoube le patriarcat et les valeurs masculinistes, notamment depuis la réélection de Donald Trump », peut-on lire sur son site. Il accueillera, en plus des divagations évoquées ci-dessus, une fumisterie adulée par les Inrocks et intitulée La Gouineraie. Le synopsis laisse perplexe: un couple formé d’une « gouine des villes » et d’une « gouine des champs » cherche à « déconstruire, disséquer, analyser ce que veut dire “faire famille” » et « s’amuse à remixer les exemples de familles traditionnelles, blanches, hétéros, patriarcales [en revisitant] l’iconographie catholique de la Sainte Famille, dans un joyeux et généreux bazar scénique ». La désintégration de l’art théâtral, mais aussi de la littérature, est naturellement inséparable de celle du christianisme, du patriarcat, de la différence sexuelle, de la famille, de la notion d’appartenance à un pays, à une culture, à une tradition – sujets qui furent évidemment et souvent magistralement traités de toutes les manières possibles par le théâtre et la littérature avant qu’ils ne deviennent un « généreux bazar », c’est-à-dire un capharnaüm où s’entassent et s’entremêlent toutes les médiocrités.

Ne pas croire que, dans le milieu artistique, seules les femmes abordent certains sujets sociétaux ou tabous, souvent liés au patriarcat. Alex Goude, par exemple, met en scène sa pièce qui se jouera au théâtre du Grand Point Virgule à Paris à partir du 1eroctobre. Ça s’appelle Men en pause. Cette comédie supposément « jubilatoire »aborde tout à la fois des « sujets tabous » – l’andropause, les problèmes d’érection liés à l’âge – « la fin du patriarcat », le nouveau rôle des femmes et le fait que « les hommes ont du mal à encaisser ces changements ». « L’idée, affirme sur France Info le metteur en scène qui n’envisage à aucun moment de dire quelque chose d’original ou, pour le moins, de pas trop stupide, c’est de libérer la parole et de rendre les gens plus heureux. » Cette pièce fait suite à une comédie musicale mise en scène par le même Alex Goude. Intitulée Ménopause, elle évoque, vous vous en doutez, un autre « sujet tabou ». Les sujets tabous ne manquent pas en ce moment – notre époque en découvre tous les matins et à chaque coin de rue. Alex Goude n’a donc que l’embarras du choix. Se penchera-t-il un jour sur la discrimination sociale dont souffrent les éjaculateurs précoces ? Évoquera-t-il le sentiment de honte qui inonde les femmes fontaines sur lesquelles pleuvent les plaisanteries les plus douteuses ? Aidera-t-il les fanatiques de la masturbation à libérer une parole trop longtemps étouffée par un système hétéro-patriarcal où dominent encore les scénarios sexuels pénétro-centrés ? Abordera-t-il, si possible avec humour, le tabou qui entoure la position dite du missionnaire, position pratiquée en toute insouciance par des couples hétérosexuels ignorant sa signification morale, conservatrice, patriarcale et colonialiste ? Nous espérons que oui et, le cas échéant, ne manquerons pas de tenir informés nos lecteurs…
[1] Article paru le 21 mars 2023 sous le titre La métamorphose d’Ovidie.
[2] Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer est un texte inepte que Virginie Despentes a écrit avec les pieds puis lu, je ne dirai pas avec quoi, lors d’un séminaire organisé par le prétendu philosophe Paul B. Preciado au Centre Pompidou en octobre 2020. La chose est visible sur YouTube. Pendant vingt-cinq longues minutes, Virginie Despentes excrète un verbiage pseudo-révolutionnaire agrémenté des vulgarités langagières, souvent scatologiques, qui ont fait sa réputation. Le ton se veut prophétique : une révolution est en cours et les « frontières toxiques » vont disparaître. Derrière son pupitre, la pythie au regard marécageux s’agite comme un épouvantail parkinsonien. Elle dénonce ses privilèges de femme célèbre et riche et incrimine son « corps blanc pour lequel on a défini tant de frontières », un corps que rien ne sépare pourtant « de la merde qui [l’] entoure ». Toutefois, psalmodie-t-elle, l’avenir radieux est à portée de main – mais son avènement ne sera possible que si l’humanité se débarrasse du… patriarcat : « Le patriarcat est une narration et elle a fait son temps. Terminé de passer nos vies à quatre pattes sous les tables de vos festins, à grignoter vos restes et sucer vos bites à l’aveugle, gratuitement, aimablement, en remerciant abondamment à chaque éjaculation, ça nous fait tellement plaisir de vous voir heureux vous qui êtes à table. » Etc. Cette logorrhée délirante a bien sûr été adoubée par l’intelligentsia médiatico-culturelle, celle-là même qui n’avait rien eu à redire au texte abject paru dans Les Inrocks quelques jours seulement après l’attentat contre Charlie Hebdo et dans lequel Virginie Despentes décrivait son affection pour les terroristes, « ceux qui avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux », ceux dont « le geste devenait aussi une déclaration d’amour ». Quelques mois plus tard, l’Académie Goncourt accueillait en son sein l’apologiste énamourée des frères Kouachi…
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