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Mariage qui dégénère en rodéo avec violences: comment expliquer pareils comportements?

Un cortège de mariage d’une dizaine de voitures très violent filmé agressant des passants à Saint-Denis


Mariage qui dégénère en rodéo avec violences: comment expliquer pareils comportements?
Saint-Denis, 22 juillet. Dailymotion

L’interprétation socio-économique de pareils troubles oublie les déterminations identitaires fortes qui pourraient expliquer que la banlieue se transforme ainsi en Far West. Quant à l’interprétation identitaire, évidente, elle peut oublier aussi d’autres causes. La société française n’a-t-elle plus pour intégrer ses populations les plus récentes qu’un matérialisme nihiliste à offrir?


Vendredi dernier, un rodéo urbain en Seine-Saint-Denis défrayait la chronique. Une famille avec un enfant en bas âge marchait sur le parvis piéton de la mairie de Saint-Denis quand elle s’est vue encerclée par une dizaine de voitures. Les puissantes berlines louées à l’occasion d’un mariage ont soudainement déboulé, tournoyant toujours plus près de la famille tétanisée. Rouler des mécaniques ne suffit pas, il faut tirer à point. Ce que n’a pas manqué de faire le troupeau vrombissant. Des tirs de mortier ont détoné dans l’artère commerçante du centre-ville où il s’est rué. Un membre de cette famille a depuis déposé plainte au parquet de Bobigny. Son médecin lui a prescrit une incapacité temporaire de travail de trois jours, signalant chez son patient « un syndrome anxieux, un sentiment d’humiliation et des idées noires ». Et c’est en effet une rageuse ou fataliste impuissance qui pourrait étreindre les victimes comme les autres. Bien que la police municipale ait relevé l’identité de deux cow-boys de l’équipée sauvage, aucun n’a été interpellé. Tel n’a pas été pris qui croyait prendre, et sans doute a réellement pris son pied. Rien ne semble à l’avenir prémunir d’autres passants du même sort que l’agneau de La Fontaine. Sans autre forme de procès, car la raison du plus fort est toujours la meilleure.

Démonstration « virile » et atomisation de la France

Première adjointe à la mairie de Saint-Denis, Katy Bontinck allègue certes les amendes systématiques mises en place pour ces Ben-Hur en goguette, mais ajoute aussitôt que les voitures de sport sont de plus en plus souvent louées à l’étranger, ce qui frappe d’incertitude l’identité du loueur et rend son traçage plus difficile.  

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Or le rodéo urbain semble ces temps-ci un sport très en vogue. Cette démonstration de virilisme paléolithique n’inspirerait aux plus débonnaires qu’une condescendance amusée si elle ne faisait ses victimes. Samedi 9 juillet à Goussainville dans le Val-d’Oise, une fillette de trois ans était grièvement blessée à la tête par un motard de rodéo tandis que début juin à Rennes, un homme de 19 ans est mort percuté par un véhicule participant à ce même genre de chevauchées.

Faits divers au mieux sans intérêt, au pire chiffons rouges agitant de vaines passions pour nous divertir de problèmes politiques et sociétaux plus sérieux ? Sans doute, si privatiser l’espace public en se croyant au Far West ou en plein jeu vidéo n’était par ailleurs le symptôme d’un profond malaise social. Un arbre qui ne doit plus cacher la forêt. Ou plutôt l’archipel, nous dit le politologue Jérôme Fourquet pour désigner l’atomisation progressive de la France en nuées d’individus ou groupes sociologiques sans idéal commun. Entre autres raisons, l’agonie brutale à partir des années 60 du catholicisme et du communisme comme matrices concurrentielles d’unité nationale. Avec Vatican II, des rites fédérateurs deviennent superfétatoires : la messe dominicale ne regroupe plus avec autant de ferveur ou bigoterie les ruraux de Maupassant. Le communisme quant à lui fédérait les banlieues. Dans une interview accordée aux Echos, le chercheur Emmanuel Bellanger explique que « l’érosion du vote communiste en banlieue parisienne est liée au choc de la désindustrialisation qui a désagrégé le modèle de politisation et de sociabilité qui caractérisait les villes rouges. Jusque dans les années 1970-1980, on travaillait et on vivait dans la commune ou ses environs. Cette imbrication renforçait l’encadrement social et politique de ville ; ce modèle a volé en éclat en l’espace d’une génération ». Zombifiées, ces matrices traditionnelles que sont le catholicisme et le communisme laissent place à un individualisme croissant d’une part, et d’autre part à la double sécession des élites libérales et des populations immigrées. Bénéficiant d’une majorité médiatique, les premières font passer les luttes sociales derrière des combats sociétaux : le commun des mortels semble pourtant moins préoccupé par son identité de genre que par ses difficiles fins de mois et autres tracas trop plébéiens pour nos élites. 

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Matérialisme nihiliste

Celles-ci ne sont plus admirées des classes populaires qui préfèrent emprunter aux sitcoms américaines les prénoms de leurs enfants. Elle est née la divine enfant, la France des Kevin. Quant aux jeunes issus du Sahel africain, le sociologue Hugues Lagrange souligne leur surreprésentation dans les procès-verbaux de police judiciaire parallèlement à un regain du conservatisme religieux dans les banlieues déshéritées. Quid de notre rodéo urbain ? Incriminer l’hostilité et le repli communautaristes serait tout aussi réducteur et monocausal qu’alléguer le seul facteur social d’une paupérisation de Saint-Denis. L’interprétation socio-économique oublie les déterminations identitaires et l’interprétation identitaire, les causes économiques d’un repli sur soi. Soit les cow-boys sont des pauvres comme les autres, soit on leur assigne une identité par inférence fautive : il y a plus de délinquants parmi les populations immigrées de la Seine-Saint-Denis que chez les Charles en mocassins, donc les cow-boys sont tous des immigrés. Mais l’absurdité de l’équation n’entame pas la pertinence du problème. Celui d’une ghettoïsation des populations immigrées favorisant les rodéos et autres raffinements. Constat factuel sans rapport avec une stigmatisation racialiste. Autres temps, autres immigrés. Ceux de l’Amérique de Scorsese étaient Italiens, mais les violences et trafics sévissaient pareillement : faut-il rappeler ce truisme ? Pourtant, l’omerta qu’impose le camp médiatique du Bien congèle la plupart du temps un débat de fond sur les violences en banlieues. Les articles traitant des rodéos urbains n’exposent en général que les faits, laissant aux causes un confortable flou artistique. « Couvrez cette délinquance que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées », implorent les Tartuffes télévisuels. Que l’on se rappelle en juin les événements du Stade de France, et les dénégations de Gérald Darmanin clamant haut ce que personne ne pensait bas. De même que l’érotisme cache pour mieux suggérer, ne pas aborder l’origine de ces violences a pour effet pervers de les associer tendanciellement à un unique facteur ethnique. Ainsi, qui ose percer le mur du silence est d’emblée suspecté, à tort comme à raison, de stigmatisation identitaire. Rangé dans le camp de Mal, envoyé au goulag par les purges staliniennes de nos élites protégées. Et toujours comme l’agneau de la Fontaine, sans autre forme de procès. Il suffirait pourtant d’écouter certains rappeurs, pour comprendre les cow-boys : leur prosodie agonit d’injures une société de consommation qui propose des bonbons sans ouvrir le paquet. Depuis le plan Marshall, le grand remplacement d’une identité nationale par l’American way of life, qu’ils imaginent en paradis interlope de fric, blondes pulpeuses et grosses cylindrées tout droit sortis d’un film de Scorcese. Notre société n’a pour intégrer ses populations les plus récentes qu’un matérialisme nihiliste, dont elle retire d’une autre main les possibilités de satisfaction. Au bûcher, Jeanne d’Arc, nos ancêtres les Gaulois ou les lendemains qui chantent : aujourd’hui déchante. « L’homme préfère encore vouloir le rien plutôt que de ne rien vouloir » nous dit Nietzsche : s’ils n’ont plus rien à nous proposer, va pour jouer à Lucky Luke sur des Jolly Jumper en location. 




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Professeur de philosophie

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