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Coupez le cordon!


Coupez le cordon!
La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

L’édito de l’été d’Elisabeth Lévy


Les urnes ont parlé. Il s’agit de les faire taire au plus vite. Au lendemain des législatives, la classe politique et les commentateurs observaient avec une satisfaction de commande que la nouvelle Assemblée représentait la pluralité des opinions en France. Les Français, s’émerveillait-on, ont inventé la proportionnelle au scrutin majoritaire. Ce bel enthousiasme démocratique a vite cédé la place aux habituels tortillages de fondement. Les arbitres des élégances ont distribué des brevets de République, appelant à ressusciter un cordon sanitaire qui, depuis quarante ans, accompagne l’ascension du Front, puis du Rassemblement national.

Il s’agit même, comme l’a judicieusement formulé Alain Finkielkraut, de le faire passer à l’intérieur de l’Assemblée nationale. Peu chaut à nos directeurs de conscience que les 577 députés soient des élus du peuple. Certains Français qui ne savent pas ce qui est bon pour eux sont moins égaux que d’autres. Changeons le peuple !

Le 5 juillet, Gérald Darmanin déclare tranquillement sur BFM : « LFI et RN sont nos ennemis. » Oui, oui nos ennemis vous avez bien lu. Si on se réfère aux scores du premier tour de la présidentielle, ça fait tout de même 16 millions d’ennemis ! Malheureusement, le ministre de l’Intérieur n’a pas précisé quel sort il fallait leur réserver. Il oublie aussi que, quelques semaines plus tôt, son patron faisait les yeux doux aux nupistes.

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Mais c’est surtout à propos du RN et des deux vice-présidences qui lui sont échues que les mines outragées se sont donné libre cours. Le président refusera-t-il le soutien des députés lepénistes sur certains textes ? Si Élisabeth Borne n’a pas demandé un vote de confiance, c’est, semble-t-il, parce qu’elle aurait pu l’obtenir grâce à leur abstention. En clair, même leur silence pue.

On ne change pas une méthode qui perd. L’écrasante majorité des faiseurs d’opinion a donc entonné la vieille ritournelle du « nauséabondisme » (encore Finki !) unidimensionnel. Dans un éditorial d’anthologie, qui fleure bon les années 1990 [1], Le Monde déplore qu’ « après la banalisation », le RN soit « sur la voie de la notabilisation ». De fait, quand les Insoumis sont arrivés à l’Assemblée en bande braillarde et débraillée, les 90 élus RN ont mis un point d’honneur à s’habiller correctement et à respecter la civilité de mise au Palais-Bourbon. Sans doute avaient-ils caché leurs uniformes nazis pour tromper les esprits faibles qui ont tendance à penser que les complaisants avec l’antisémitisme se nichent plutôt en face.

De son côté, Pap Ndiaye proclame fièrement : « Ma seule boussole, c’est la lutte contre le RN. » On voit mal, en effet, pourquoi le ministre de l’Éducation nationale se soucierait de l’état désastreux de l’école. Sa mission, c’est de rééduquer les enfants, en leur apprenant que la jeunesse emmerde le Front national, mais aussi qu’ils peuvent changer de sexe – et bientôt suppose-t-on de parents.

Sa belle âme en bandoulière, un député socialiste courageusement anonyme explique à Mediapart pourquoi il boude la buvette de l’Assemblée : « Statistiquement, un député sur cinq à la buvette est d’extrême droite. Vu qu’on ne sait pas encore qui est qui, j’ai préféré venir ici que de me retrouver à prendre mon petit-déj’ entouré de fachos. » Si ça se trouve, c’est contagieux (ou pire, il pourrait y en avoir de sympas !). Quant à la grossièreté de Louis Boyard, le petit morveux de la bande, elle est saluée comme un acte de résistance. Qu’un ex-dealer (selon ses propres vantardises) refuse la main tendue d’un ancien journaliste (Philippe Ballard, élu RN de l’Oise) en guise, paraît-il, de « geste-barrière contre le racisme », en dit pourtant long sur leur tolérance respective à la différence et à la divergence.

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La palme de la balle dans le pied revient aux LR qui continuent à céder au chantage moral anti-RN, préférant offrir à Éric Coquerel une élection triomphale à la tête de la commission des finances plutôt que voter pour Jean-Philippe Tanguy. Cela n’aurait rien changé, assurent-ils. Admettons même si ce n’est pas certain. Au moins auraient-ils sauvé l’honneur et la confiance de leurs électeurs. Si la France d’en haut continue à se boucher le nez et à croire qu’elle peut ostraciser 17 % de l’électorat, celle d’en bas en a assez de ces ridicules leçons de maintien. Elle se fiche du cordon sanitaire et passe volontiers, en fonction des scrutins, de LR au RN ou à Reconquête. Quand les élus LR refusent de se salir les mains en s’alliant au RN, le peuple de droite se sent cocu et il a raison.

Reste à comprendre pourquoi le parti de Marine Le Pen suscite autant d’offuscation que celui de son père. C’est encore Le Monde qui mange le morceau. L’unique critère, qui sépare le bon grain républicain de l’ivraie facho-populiste, c’est l’immigration. Les « partis républicains », affirme l’édito déjà cité, se font avoir par « l’opportunisme de Marine Le Pen […] qui laisse dans l’ombre ce qui fonde toujours l’identité de son parti : le rejet de populations qui vivent en France ». Passons sur la confusion débile entre rejet de l’immigration et haine des immigrés. À en juger par le mépris de nos prêchi-prêcheurs pour les angoisses existentielles de leurs concitoyens, on comprend qu’eux ne rejettent pas « des populations qui vivent en France », mais l’écrasante majorité des Français, décidément trop ploucs pour les nobles esprits du Monde.


[1] « À l’Assemblée nationale, un coup de pouce coupable à la notabilisation du RN », Le Monde, 2 juillet 2022.

Été 2022 – Causeur #103

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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