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Affaire Agnès Marin : perpétuité pour Mathieu M.


Affaire Agnès Marin : perpétuité pour Mathieu M.

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On a légitimement beaucoup parlé de l’affaire qui a vu la cour d’assises de Haute-Loire condamner à la réclusion criminelle à perpétuité Mathieu M., mineur à l’époque des faits – 17 ans et demi – auteur du double viol et de l’assassinat d’Agnès Marin (Le Monde, Le Figaro, Libération).
On n’a guère évoqué la seconde victime qui, vivante, souhaitait plus que tout la discrétion.
La reconnaissance des faits par l’accusé, sans qu’il se soit abandonné à un luxe de détails mais toujours, paraît-il, avec une extrême froideur a permis au débat d’aller à l’essentiel qui était, si on en croit les comptes rendus, d’une part l’appréhension de la personnalité de Mathieu et, d’autre part, les dysfonctionnements et les erreurs tant dans l’affectation, le suivi et le contrôle de ce dernier que dans son appréhension psychologique et psychiatrique.
Faute d’avoir assisté aux audiences couvertes par un huis clos bien légitime, même si certains espaces de publicité ont été garantis, j’ai été surtout intéressé par la mécanique de l’accusation, dont les réquisitions ont été largement reprises, par l’arrêt rendu et par l’inéluctable appel relevé par les avocates de Mathieu. Sans avoir aucune nostalgie pour l’univers criminel parisien, je ne peux me déprendre, ici ou là, d’une curiosité d’ancien professionnel qui me conduit dans mon coin à disséquer ce qui est revêtu du sceau de l’horrible.
Si je ne me trompe pas, l’avocate générale – un collègue étant chargé de la relation des crimes – a beaucoup insisté, en ne les niant pas et en les déplorant, sur les graves carences ayant affecté le parcours de ce jeune homme. Difficile de faire autrement quand bien avant le procès, notamment de la bouche du grand-père d’Agnès, ce thème était déjà dominant.
Elle a, par ailleurs, demandé que Mathieu ne bénéficie pas de l’excuse de minorité mais s’est fondée sur l’atténuation de responsabilité retenue par une expertise fiable pour réclamer – seulement ! – 30 ans de réclusion criminelle.
Il est important de tenter de déterminer l’impact de ces trois facteurs sur la conviction collective d’un jury et de trois magistrats dont deux juges pour enfants.
Rejetant l’excuse de minorité, l’avocate générale a considéré que le maximum de 20 ans de réclusion criminelle qu’elle permet était insuffisant par rapport à la gravité des crimes et sans doute aussi au comportement de Mathieu à l’audience.
Elle situait donc son discours par rapport à la réclusion criminelle à perpétuité, qui, dans notre code pénal constitue la sanction suprême, mais ne pouvait éluder le fait que l’accusé, à l’évidence, était déséquilibré lors de la commission de ses odieuses actions. D’où la proposition de 30 ans de réclusion criminelle.
Mais, pourtant, la réclusion à perpétuité édictée par cette cour d’assises, sans injonction de soins, fait de Mathieu, le deuxième mineur condamné de la sorte après Patrick Dils.
On saisit la démarche qui exclut l’excuse de minorité suivie par les juges. Pour ma part, je n’ai connu qu’une fois une telle sévérité à l’égard d’un mineur devenu majeur au procès : Youssouf Fofana et autres. On partage le souci, en même temps, de ne pas faire l’impasse sur les troubles d’une personnalité.
Mais pour des jurés était-il si facile d’appréhender ce qui pouvait apparaître comme une complexité oiseuse et au fond inutile ? Non pas que la minorité soit forcément porteuse d’une atténuation de responsabilité mais dans la tête du commun était-il inconcevable de prendre le rejet de l’excuse pour l’acceptation implicite d’une responsabilité totale en dépit de la réquisition contraire ?
Par ailleurs, la focalisation sur les dysfonctionnements qui aboutissait à un consensus sur les dévastations qu’ils avaient causées et s’accordait avec la douleur intense et protestataire de la famille Marin rendait par contrecoup absolument intolérable tout ce qui chercherait à en minimiser la portée. Chercher malgré le fiasco dénoncé, de quoi appréhender de manière lucide et fine le caractère évidemment perturbé de Mathieu, aurait pu être perçu comme une incohérence, voire comme une faiblesse. La sincérité et l’honnêteté sur le passif du prévenu affaiblissaient la possibilité d’une peine nuancée.
N’y a-t-il pas eu là, dans ces glissements et ces contradictions subtils, de quoi susciter la peine maximale décrétée par cette cour d’assises ?
Cette analyse rétrospective, au demeurant parfaitement critiquable, ne saurait être dissociée de l’attitude des parties civiles qui pèsent évidemment avec une forte emprise sur la tenue de débats délestés de la charge de l’imputabilité (en l’occurrence incontestable) , des crimes et d’un questionnement sur leur déroulement sans mystère.
Il me manquera toujours – c’est un regret vif – de n’avoir pu entendre, au cours de mes vingt années d’assises à Paris, deux ou trois grands défenseurs ayant accepté de passer de l’autre côté de la barre. J’avoue qu’une superbe plaidoirie pour une partie civile est, d’une part, un miracle – sortir de l’étau d’un extrémisme obligatoire – et, d’autre part, exige une rectitude et une morale sans lesquelles, d’ailleurs, il n’est pas de remarquable conseil. Un excellent avocat de partie civile comprend, explique, console, répare, limite, partage, se hausse, rehausse, mêle passé et présent sans offenser l’avenir. Il ne souffle pas sur les braises de la douleur, il tente d’apaiser l’incandescence par sa parole et son allure. Il ne pourfend pas ni n’exacerbe : il porte cette humanité sur son esprit, sur son être et n’oublie pas l’autre en face.
Qu’auraient plaidé, à la fin de ces débats, Me Henri Leclerc hier, Me Temime et Me Dupond-Moretti aujourd’hui ? Je les imagine, je les entends, à la fois décisifs mais tentant d’exprimer l’inconciliable : le discours au nom de la tragédie, la plaidoirie pour comprendre le crime.
Modeste éclairage d’un arrêt qui aura donc un avenir.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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