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Genre: la fabrique des impostures wokistes

Les bonnes feuilles du dernier livre de Jean Szlamowicz " Les moutons de la pensée - Nouveaux conformismes idéologiques " (Editions du Cerf)


Genre: la fabrique des impostures wokistes
Jean-Szlamowicz D.R.

Le nouveau livre du linguiste Jean Szlamowicz dissèque la manière dont les nouveaux idéologues tentent d’imposer leurs manipulations intellectuelles. Son bistouri aiguisé n’épargne aucun aspect de leur verbiage pseudo-scientifique. Extraits des Moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques, qui vient de paraître aux Editions du Cerf, présentés par l’auteur.


Les idées préconçues prétendent souvent se fonder sur la science. Le recours à des formules comme « des études ont montré que… » servent alors à imposer comme fait établi ce qui ne relève pourtant que de l’opinion, de la croyance ou du parti pris. Grâce à ces formules creuses, l’idéologie partisane parait soudain aller de soi. Le courant de la déconstruction culturelle s’autorise ainsi volontiers de ses propres références pour se présenter comme légitimé par le biais de l’autorité universitaire. On transforme ainsi les théories fumeuses en principes scientifiques. Il faut pourtant se pencher sur de tels écrits pour comprendre que, tout « universitaires » qu’ils soient, ils sont eux-mêmes pétris de préjugés. Cet extrait prend pour exemple l’argument du « masculin » grammatical présenté comme nocif pour l’égalité…


Désacraliser le genre masculin?

Parmi des dizaines d’articles d’inspiration « néoféministes », on peut par exemple lire dans Libération que « des études ont démontré que l’utilisation du masculin comme genre neutre ne favorise pas un traitement équitable des femmes et des hommes. » [1] Ce renvoi à une autorité extérieure comme garant est pourtant problématique : à partir du moment où il existe aussi « des études » qui ne sont pas d’accord avec cette assertion, la moindre des choses serait de considérer qu’il n’y a justement pas consensus.

Or, la référence que présente la journaliste de Libération, dans un lien vers un article d’une revue de psychologie, est pour le moins sujette à caution puisqu’on y lit ce qui suit :

« Désacraliser le genre masculin en contrant l’androcentrisme.

« Une politique qui prônerait le féminin à égalité avec le masculin pourrait faire chuter symboliquement le masculin de son piédestal. Nous pensons que l’androcentrisme (i.e., le genre grammatical masculin) implique une représentation sacralisée de l’homme susceptible d’être menaçante aussi bien pour les filles que pour les garçons. En désacralisant le genre masculin, on devrait échapper au symbolisme et replacer les hommes et les femmes à un niveau de relations intergroupes. Une telle politique serait susceptible, par exemple, d’empêcher l’émergence de corrélations entre le genre grammatical des professions et leur connotation sexuée et évaluative (Lorenzi-Cioldi, 1997). Plus précisément, nous prédisons que la féminisation lexicale des professions pourrait fournir une alternative à la réussite des femmes sur des dimensions masculines fortement stéréotypées. Le genre grammatical féminin pourrait venir contrecarrer la surreprésentation des hommes pour certaines professions, en suggérant la possibilité de réussir professionnellement en dépit ou malgré son sexe.[2]« 

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De tels écrits, pourtant publiés dans des revues reconnues comme scientifiques, sont dénués du moindre savoir linguistique et confondent genre grammatical et sexe des personnes, c’est-à-dire la morphologie et la sémantique, les symboles et le réel. Qu’est-ce donc que le masculin ? Veut-on dire « les hommes » ? Le genre grammatical ? Ou s’agit-il d’une sorte de principe évanescent qui ne serait ni sexuel, ni linguistique, ni social mais uniquement « représentationnel » ? Le masculin… voilà un adjectif substantivé bien commode. Quant au piédestal évoqué, avouons qu’il n’a guère de substance, ni concrète, ni théorique et aucune définition sociale. L’androcentrisme n’est défini que par une parenthèse allusive : « i. e., le genre grammatical masculin. » À partir d’une conceptualisation aussi naïve, les auteurs se permettent de dire « nous pensons que », « nous prédisons ». C’est là un programme fondé sur la présomption et non sur une démarche neutre.

Leur étude consiste à demander à des jeunes de 14-15 ans d’associer leur sentiment de « confiance en soi » à des professions sélectionnées pour être représentatives « d’un genre » (présentées alternativement sous forme masculine ou avec mention de la forme féminine). Autrement dit, il est décidé au préalable que les professions « représentent » des genres… Si le questionnaire part du préjugé qu’il y a des professions masculines et féminines, comment s’étonner de retrouver ce préjugé dans les réponses ?

Il n’y a, dans une telle procédure, aucune méthodologie linguistique, « la langue » étant représentée par des listes de professions. Ce n’est pas une situation de parole réelle et la notion de « confiance en soi » est parfaitement subjective. Une case à cocher dans un questionnaire n’est pas une réalité sociale ni représentationnelle. C’est même dans la tâche suggérée par l’expérimentation que réside le forçage du résultat : en proposant un protocole, on déclenche un processus de jugement qui, autrement, n’aurait pas eu lieu. On le sait bien, si on vous donne comme tâche de classer une liste de n’importe quoi par ordre de préférence, on se retrouvera forcément avec des résultats… Et puis un tel protocole ne comporte aucune dimension permettant d’établir des faits linguistiques. Elle ne fait qu’établir un lien entre une profession et la représentation qu’on peut en avoir, forcée par le protocole à partir de données elles-mêmes tendancieuses.

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D’ailleurs, sans expliquer ce qu’est une « représentation » (une image mentale ? une opinion ? une croyance ? le sens d’un mot ?), l’article s’empresse de prouver ses préconceptions à la faveur d’interprétations parfaitement subjectives qui ne démontrent rien :

« Sans extrapolation excessive, sur la base des résultats empiriques présentés il appert que l’androcentrisme affleure la structure même de la langue (les expressions « homme d’affaires » et « femme de ménage » sont suffisamment éloquentes). »

Deux expressions seraient donc une démonstration ? À ce compte-là, « une maîtresse femme » et «un homme de peine» sont suffisamment éloquents… On se demande d’ailleurs ce que la phrase veut dire : ce n’est pas « la structure de la langue » qui a créé les femmes de ménage ni les hommes d’affaires ! Parler de représentation de la réalité sociale est sans rapport avec la langue française. Ce n’est pas la langue qui fait que plombier et éboueur seront considérés comme des professions « plutôt masculines » mais la perception sociale – et, accessoirement, la réalité. Cette confusion entre l’organisation sociale et les mots tend, par conséquent, à faire des mots la cause de l’organisation sociale… Cette aberration causale sert cependant à construire et à vérifier l’expérimentation.

Bref, ce genre d’article ne retient que des variables qui sont manipulables dans le sens de la démonstration. Avec la plus grande imprécision et sans aucune donnée sociologique sur les facteurs décidant de choix professionnels, les auteurs s’engouffrent dans l’effet de tunnel du « genre » et partent du principe que la forme des mots serait un facteur du choix de la profession. Mais pourquoi ne pas étudier le réel socio-professionnel plutôt que de prétendre analyser une intériorité supposée, qui n’est jamais abordée autrement que par des sacs de mots dont le sens a été décidé préalablement à l’étude ?

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[…]

Un savoir falsifié

Ce n’est là qu’un exemple parmi beaucoup d’autres des références des médias pour « prouver » leurs présupposés idéologiques : une littérature ignorante de la grammaire et des structures des langues, qui croit en un sens littéral des mots masculin et féminin et, par-là même, contribue à créer cette confusion symbolique entre la langue et la société. De telles expérimentations ne reposent que sur la reconduction de préjugés sociaux et un mentalisme primaire ânonné comme une prière (« la langue façonne nos représentations » !). C’est en fait le discours inclusiviste qui invite à confondre les mots et les choses au lieu de les disjoindre, qui néglige le social au bénéfice du symbolique, qui proclame des injustices sans éléments de comparaison et qui décrète des solutions hypothétiques pour des problèmes inexistants. Il n’en reste qu’un discours idéologique qui se substitue aux savoirs. Sur le plan disciplinaire, la note de bas de page et la référence allusive aux auteurs qui « prouvent » la même chose que soi est un scandale méthodologique.


[1] E. Moysan, « Écriture inclusive dans les administrations : savoir de quoi on parle », Libération, 23 février 2021.

[2] A. Chatard, S. Guimont, D. Martinot, « Impact de la féminisiation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ? » L’Année psychologique, 2005, vol 105, n° 2, pp. 249-272.



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Spécialiste de linguistique, professeur en Université et traducteur.

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