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Théorie du genre: quand toute la société est une «micro-agression»

Quand la vie devient un jeu vidéo


Théorie du genre: quand toute la société est une «micro-agression»
Lana Wachowski, la réalisatrice des films "Matrix", San Francisco, décembre 2021 © Noah Berger/AP/SIPA

Le seul fait de ne pas pouvoir choisir à 100% son identité profonde est perçu dans nos sociétés d’êtres hyper sensibles comme une « micro-agression »


Ce n’est pas un hasard si le triomphe de la théorie du genre survient à un moment où le désir d’affranchissement du monde biologique se fait plus que jamais ressentir. La pandémie nous a plongés dans une société où les murs de la ville font de plus en plus office de décor, une société abstraite, virtuelle, où les rapports sociaux sont relégués en grande partie sur les réseaux sociaux. Idéologie fondée sur une volonté de dépassement des barrières physiques, le transgenrisme apparaît comme le produit d’une époque qui cherche à abolir une portion de la nature humaine au nom du progrès. 

Un « techno-existentialisme »

Évidemment, le brouillage des sexes chez certains individus n’est pas nouveau et ne pose aucun problème dans une société libre – on en trouve diverses manifestations dans l’histoire et les cultures –, mais la théorie du genre pousse beaucoup plus loin que ses prédécesseurs cette volonté de dépassement. 

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Il faudrait pouvoir choisir notre identité sexuelle comme de futurs parents veulent sélectionner dans un catalogue les traits de leurs enfants à naître et leurs mères porteuses, allant jusqu’à choisir la couleur de leurs yeux, leur potentielle résistance au stress et leur quotient intellectuel approximatif. Il faudrait se construire un profil personnel à la carte, en faisant fi de tous les déterminismes qui bien sûr conditionnent nos vies. Nous voilà devant une sorte de « techno-existentialisme ».

Désormais, tout ce qui n’est pas voulu et consenti par l’individu fragile est vu comme une menace à son intégrité et à son développement. Qu’il soit justifié ou non sur le plan sanitaire, le port normalisé du masque symbolise bien ce repli sur soi, ce refus de l’Autre et du monde extérieur au profit d’un individu plus que jamais centré sur lui et qu’on s’imagine intérieurement libre comme l’air. Le port du masque nous enjoint d’ailleurs à nous replier sur nos écrans en laissant tomber nos semblables à nos côtés. Le corps même, les racines et l’environnement social deviennent des entraves à cet égo créateur et artiste de lui-même, mais perméable aux nouvelles modes progressistes. 

Société à la carte, identité à la carte

Si nous sommes entrés dans l’ère de ce que Marcel Gauchet appelle « la société choisie », nous sommes aussi entrés dans l’ère de l’être choisi, de l’identité choisie sans limites ni contraintes. Un phénomène qui d’ailleurs entre en contradiction directe avec le penchant essentialiste de la gauche décoloniale, qui au contraire enferme plutôt les individus dans leurs origines. Ce courant survivra-t-il à la virtualisation du monde ?

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Pour Marcel Gauchet, cette société choisie est le fruit de l’usage des réseaux sociaux que la pandémie a renforcé. Il s’agit du « modèle du like » qui consiste « à tenir la « grande société«  à distance autant que possible ». « On tend à se fabriquer une « petite société«  à l’intérieur de la grande, avec des gens qu’on se choisit individuellement, tandis que la vie sociale consiste normalement à vivre avec des gens qu’on ne choisit pas », analyse le philosophe avec Marianne, en novembre 2021.

Le transgenrisme est un transhumanisme

Le transgenrisme obéit à la même logique, mais à l’échelle individuelle. Le seul fait de ne pas pouvoir choisir à 100% son identité profonde est perçu dans cette société d’êtres hyper sensibles comme une « micro-agression ». Dans un élan de violence psychologique contre leur liberté, la société « assignerait » le sexe des individus à la naissance, elle ne le constaterait pas, comme on constate le lieu de naissance. 

Dans cette optique, la seule manière de s’affranchir totalement des normes sociales toutes vécues comme oppressantes (à l’exception des normes sanitaire et woke) serait de s’extraire enfin complètement du monde, pour créer son petit safe space. Un projet dont entend se charger les Mark Zuckerberg et compagnie en offrant un espace d’irréalité, la réalité virtuelle.

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En 2009, des films à grand succès comme “Avatar” anticipaient déjà l’avènement d’un monde marqué par cette scission entre le corps et l’esprit. Si le film de James Cameron se veut d’abord un plaidoyer écologiste, il fait aussi la promotion d’une vision « jeu vidéo » du monde. En 2154, des méchants Terriens (Occidentaux) débarquent sur la planète Pandora habitée par d’innocents extraterrestres (Indigènes). Le personnage principal, Jake Sully, laissera tomber sa culture productiviste pour trouver l’amour et embrasser l’animisme. Mais c’est grâce à l’intégration d’un autre corps (son avatar) et l’abandon définitif du sien, un corps malade qui ne correspond plus à ses aspirations, que Jake Sully parviendra à s’épanouir et à retrouver le bonheur.



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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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