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Enquête: peut-il y avoir un vote musulman pour Zemmour ?

De nombreux musulmans pourraient être séduits par Eric Zemmour...


Enquête: peut-il y avoir un vote musulman pour Zemmour ?
Eric Zemmour lors d'une séance de signature pour la promotion de son nouveau livre, Toulon, 17 septembre 2021. © Nicolas TUCAT / AFP

Beaucoup de Français musulmans se retrouvent dans les propos d’Eric Zemmour : sécurité, immigration, valeurs familiales… Certains seraient même prêts à voter pour lui. Ses attaques contre l’islam pourraient les décourager.


« Je ne fais pas de différence entre l’islam et l’islamisme », mais « je distingue les musulmans et l’islam ». Ces paroles d’Éric Zemmour, potentiel adversaire d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, ont suscité de nombreuses polémiques.

Accusé de stigmatiser les fidèles, d’en faire des boucs émissaires, voire de souhaiter les « jeter à la mer », Zemmour génère des prises de position tranchées au sein de la société dans son ensemble comme chez les musulmans. Au cœur de nombreux débats, comment ces derniers perçoivent-ils l’ascension du futur candidat ? Cette enquête, reposant sur plusieurs entretiens réalisés avec des Français musulmans, illustre la diversité – peu connue – de leurs approches.

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« Je vote pour lui s’il arrête d’attaquer l’islam »

Si les déclarations concernant l’islam heurtent la sensibilité de certains interviewés, d’autres adhèrent aux principaux points soulevés par Éric Zemmour. C’est le cas de Oualid, 35 ans, cadre dans une grande entreprise internationale, qui déclare être « d’accord avec lui sur quasiment tous les sujets, et ce depuis des années ! Sur la sécurité par exemple, j’ai deux enfants : parfois je pense à m’expatrier pour qu’ils puissent vivre dans une société sûre où on ne risque pas de se faire voler, cambrioler, violenter tout le temps ! Personne ne comprend que parmi ceux qui quittent la France, beaucoup le font à cause de l’insécurité : c’est le cas par exemple de tous mes amis qui se sont installés à Dubaï. »

Le thème de la sécurité préoccupe l’ensemble des musulmans interrogés qui expriment une demande de fermeté à laquelle ils considèrent que Zemmour peut répondre. Sakina, mère de famille de 54 ans et habitant en région parisienne, affirme : « Moi je ne comprends pas ce pays. Comment peut-on laisser des gens terroriser la population dans une impunité totale ? Les policiers nous disent qu’ils connaissent bien les délinquants mais qu’ils ne peuvent rien faire ! Un jour, ma fille s’est fait arracher son téléphone portable des mains à la sortie de l’université Paris 8. Elle est restée traumatisée un an ! J’en ai assez que tout soit minimisé, qu’on ne retrouve jamais les coupables, qu’ils ne soient jamais punis sérieusement ! »

Outre la question de la sécurité, les valeurs traditionnelles prônées par Éric Zemmour trouvent un réel écho dans cette population. Myriam, 42 ans et mère de quatre enfants, n’hésite pas : « J’ai beaucoup aimé ses déclarations sur la théorie du genre et ces choses-là : nous avons mis nos enfants dans le privé pour avoir un enseignement normal ! L’école, c’est devenu de la propagande, on fait tout pour détruire ce qui construit les enfants en leur mettant des idées saugrenues dans la tête. Je crois en la famille et j’étais contre le mariage pour tous, je pense comme 90 % des musulmans. Chacun est libre de faire ce qu’il veut et je ne dis pas qu’il faut punir les homosexuels, il ne faut pas caricaturer. Mais je veux seulement qu’on n’influence pas mes enfants à l’école en leur disant qu’ils peuvent changer de genre, ni qu’on déconsidère la famille ! »

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Pour autant, Oualid, Sakina ou Myriam ne semblent pas prêts à voter Zemmour. Malgré de nombreux points d’accord avec lui, ils lui reprochent la mise en accusation de l’islam, comme Karim, 31 ans, en recherche d’emploi. « Je ne comprends pas pourquoi il fait une fixette sur l’islam, nous dit-il. S’il arrête ça, je vote pour lui et je pense que beaucoup de musulmans défendent les mêmes valeurs. Éric Zemmour semble ne pas comprendre que les musulmans souffrent aussi de la délinquance, que dans l’islam il est interdit de voler et qu’on est les premiers à vouloir plus de sévérité contre les délinquants ! Il ramène tout à la religion. Je vote pour lui s’il arrête d’attaquer l’islam ! »

« Je ne l’aime pas, mais au moins il n’est pas hypocrite »

D’autres Français musulmans interrogés rejettent en bloc ce que représente Zemmour tout en lui reconnaissant une forme de franchise, à l’instar de Moustapha, 22 ans, intérimaire dans le secteur du bâtiment : « Je le déteste. C’est physique, je ne le supporte pas. Il met tout sur le dos des musulmans, de l’islam, ne parle que de nous en mal, attaque le Coran. Par contre, je dois reconnaître une chose : il est honnête et franc. Les autres politiques pensent la même chose, détestent l’islam, mais n’osent pas le dire et font les choses de manière cachée. Je ne l’aime pas, mais au moins il n’est pas hypocrite ».

Kahina, 18 ans, étudiante, abonde en ce sens : « Les autres ont une haine contre l’islam et veulent l’attaquer en permanence mais la seule différence, c’est qu’ils se servent de la laïcité pour le faire. Lui, au moins, il est direct, on sait ce qu’il pense. J’ai plus de respect pour une personne comme lui plutôt que quelqu’un qui va se dire de gauche et qui en privé va cracher sur les musulmans. J’en connais beaucoup des comme ça ! »

« Je suis souvent d’accord avec lui : bien sûr qu’il faut moins d’immigration, qu’il faut être plus ferme avec ceux qui foutent le bordel en France. Mais j’ai peur de ce qui peut se passer s’il arrive au pouvoir »

Les raisons du rejet vont au-delà de la thématique religieuse. Jihane, 27 ans, enseignante, indique par exemple que son désaccord le plus profond est lié aux politiques économiques qu’il défend : « Je fais partie d’un mouvement de gauche et pour moi Zemmour est un représentant de l’économie libérale. Je l’ai entendu plusieurs fois proposer des mesures contre les ouvriers, comme sur la retraite par exemple. C’est ça le plus grave pour moi. Je crois que je n’ai pas la même haine que mes camarades qui eux ne sont pas musulmans, mais le considèrent comme un raciste. Peut-être qu’il l’est, mais ce qu’il dit est assez classique dans d’autres sociétés étrangères… Je suis beaucoup moins choquée qu’eux, même sur l’histoire des prénoms. Je comprends ce qu’il veut dire même si je suis contre et je veux laisser la liberté aux gens. »

« J’ai peur de ce qui peut se passer s’il arrive au pouvoir »

D’autres Français musulmans, généralement plus âgés, ont une approche plus nuancée. Tout en partageant le diagnostic du natif de Montreuil, ils craignent que son arrivée au pouvoir ne provoque des discriminations indirectes visant les musulmans. Ibrahim, 71 ans, retraité du monde du textile, explique : « Je suis souvent d’accord avec lui : bien sûr qu’il faut moins d’immigration, qu’il faut être plus ferme avec ceux qui foutent le bordel en France. Mais j’ai peur de ce qui peut se passer s’il arrive au pouvoir. Ils vont mettre tout le monde dans le même sac, ceux qui ne posent pas de problème comme les autres musulmans. Ils vont fermer des mosquées qui n’ont peut-être rien à voir avec tout ça. »

Hamid, 74 ans, retraité lui aussi, renchérit et évoque des « dérapages » possibles : « J’ai connu la police à une autre époque. J’ai même des amis qui ont été violentés, certains torturés par des policiers il y a quarante ans dans les sous-sols de la Préfecture de police de Paris. Ces pratiques-là existaient et il y avait de vrais racistes dans la police. Aujourd’hui, les jeunes crient au racisme pour rien, alors qu’il n’y en a presque pas ! Avant c’était l’inverse, il y en avait mais personne ne voulait en parler, nous non plus ! Le problème avec une arrivée au pouvoir d’Éric Zemmour, c’est que les racistes vont refaire surface, se sentir tout-puissants, se permettre de déraper, d’insulter, de frapper… Moi aussi je veux de la fermeté mais pas n’importe comment. Il faudrait faire comme aux États-Unis, des caméras sur les policiers en permanence tout en leur donnant le droit d’être très sévères. »

Rassemblement devant les locaux de CNews pour protester contre la présence d’Eric Zemmour sur la chaîne, le 2 novembre 2019. © Michel Stoupak / NurPhoto via AFP

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« Il ne voit qu’une partie de l’islam »

Reproche partagé par une partie des interviewés, la « méconnaissance de l’islam ». Ali, 41 ans, ouvrier dans le bâtiment, considère que le discours de Zemmour manque de nuance : « Il parle uniquement d’un certain type d’islam, l’islam sunnite, et encore, l’islam sunnite takfiriste. Il n’y a pas que cette croyance dans l’islam, il y en a beaucoup d’autres. Personnellement, je ne me sens pas du tout solidaire de ceux qui sont dans la mouvance takfiriste ou salafiste, je n’ai rien à voir avec eux. À chaque fois qu’il parle d’islam, j’ai le sentiment que Zemmour parle des musulmans comme s’ils étaient les mêmes, interchangeables, avec la même vision de la religion. Ce n’est évidemment pas le cas ! »

Fatih, 18 ans, étudiant, confirme : « Moi je fais par exemple partie d’une minorité dans l’islam. Je comprends qu’il veuille simplifier, mais personnellement je ne crois pas en l’islam qu’il décrit et qui serait un code civil ! Nous avons tous, y compris dans ma famille, une pratique personnelle de la religion, et au pays c’est la même chose… Il y a plusieurs islams et une multitude de musulmans. Que Zemmour s’intéresse plus aux délinquants, aux terroristes, plutôt qu’à la religion en tant que telle. Ça ne devrait pas être son affaire ! Ou alors qu’il cible uniquement ceux qui appellent à la violence, mais qu’il arrête de parler d’islam dans son ensemble ! »

« On parle de nous matin, midi et soir : ça suffit ! »

Qu’ils soient sensibles ou non aux arguments du potentiel candidat, une partie des musulmans interrogés revendique le droit à l’invisibilité. Carine, 44 ans, exprime son désarroi : « On parle de nous matin, midi et soir : ça suffit ! Je sais que c’est aussi la faute de certains musulmans mais qui les a laissé faire ? C’est l’État le responsable, un État qui est lâche, qui ne sait pas punir, expulser, recadrer. L’État doit punir ceux qui transgressent la loi, ont des comportements inacceptables, remettent en cause l’école, la loi, la police, etc. Le débat se focalise sur les musulmans parce que l’État n’a rien géré du tout et qu’on nous laisse dans une position de victime. J’en ai assez, Zemmour devrait nous laisser tranquilles et s’attaquer plutôt aux pouvoirs publics pour qu’ils fassent leur boulot. »

Fatima, 28 ans, caissière, renchérit : « À chaque élection, on parle des musulmans, de savoir s’ils sont intégrés ou pas, de voir si l’islam est compatible avec la République et je ne sais quoi…. Quand on parle beaucoup, c’est qu’on ne fait pas grand-chose : s’il y a un problème avec certains musulmans, qu’ils prennent des sanctions ! Ce n’est pas ma faute si certains font n’importe quoi, je ne suis pas leur mère. Les problèmes s’accumulent et pour les traiter, on parle des musulmans, de leur prénom, de leur religion… Il faut traiter les musulmans comme les autres, ni plus ni moins. »

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Autant dire que, loin de constituer un bloc homogène, les musulmans français interrogés ont des réactions variées et nuancées au sujet de Zemmour : adhésion forte à certaines déclarations (sécurité et traitement de la délinquance, préservation de la cellule familiale, maîtrise des flux migratoires…), hostilité pour d’autres, y compris au-delà des considérations religieuses. Cependant, force est de constater qu’Éric Zemmour n’est pas loin de séduire une partie de l’électorat musulman qui, comme le reste de la société, est sensible aux thèmes qu’il a imposés dans le débat public. Même si beaucoup partagent le même reproche, quant à sa vision de l’islam qui, en oubliant la diversité des approches et des réalités musulmanes finit par être essentialiste.

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Novembre 2021 - Causeur #95

Article extrait du Magazine Causeur




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