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Fin de vie : hâtons-nous lentement !


Fin de vie : hâtons-nous lentement !

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Le rapport Sicard sur la fin de vie, à peine remis au président de la République, est déjà devenu un abcès de fixation, suscitant d’interminables polémiques autour de thèmes qui n’en constituent pourtant pas le suc : l’euthanasie et le suicide assisté. Qu’y a-t-il donc dans ce fameux rapport, que personne ne semble avoir lu et qui suscite tant d’inquiétudes, par ailleurs légitimes ?

Le préambule de ce texte qui actualise la loi Leonetti se révèle purement statistique. Il nous apprend deux choses essentielles : personne ne souhaite mourir; et si cela devait arriver ce devrait être sans douleur. D’où il ressort que 58% des gens se déclarent favorables au suicide assisté, ce qui a justifié l’engouement du candidat Hollande et la commande dudit rapport au professeur Sicard. Une première partie du texte résume les approches sociétales, à savoir : le vieillissement de la population, les inquiétudes face au cancer, à la maladie d’Alzheimer  et  à la mort sociale de ceux qui deviennent un fardeau pour leurs proches ; les inégalité géographiques etc.

Qu’il nous soit permis d’émettre quelques réserves. Primo, Sicard oublie le jeunisme ambiant et le refus de la finitude même s’il pointe les stratégies d’esquive de la mort à travers l’usage de l’euthanasie. Secundo, le « choix libre et informé depuis 65 ans » qu’il évoque nous fait bien rire car le changement de notre rapport à la médecine dissimule mal le passage du paternalisme au consumérisme. Tertio, Sicard omet d’évoquer la crise économique et ses conséquences sur les politiques de santé publique, bien qu’il souligne avec raison le désordre institutionnel endémique : Etat, sécurité sociale, collectivités et l’absence criante de concertation entre ces différentes strates administratives aboutissent à un regrettable gâchis financier et humain.

Dans un deuxième temps,  il dresse le bilan de la loi Leonetti; et plus particulièrement de sa non-application en dehors des soins palliatifs. En lieu et place des directives anticipées qui ne sont qu’un avis, Sicard appelle de ses vœux la mise en place d’un véritable testament biologique et entend passer d’une suggestion à un impératif. La non-reconnaissance des diplômes de Soins Palliatifs et Douleur entraîne un déficit de vocations. Cette survalorisation de l’acte par rapport au service engendre un déficit de financement pour l’accompagnement non technique aux malades. Sicard fustige également des pratiques d’obstination déraisonnable (le fameux acharnement thérapeutique), particulièrement dans les services d’urgence.  Ajoutons qu’il faudrait revoir les critères d’admissibilité en soins palliatifs. Il arrive encore trop souvent que des sédations terminales soient décidées à l’insu des familles. Sicard déplore par ailleurs le nombre insuffisant d’unités mobiles de soins palliatifs  (un médecin, deux infirmières, un demi-psychologue par exemple) tout en se félicitant de la transversalité de leurs missions.  Il serait pourtant  plus efficace que l’équipe en question s’investisse à plein temps dans les conseils et dans les soins jusqu’au mieux-aller des malades. Les comités d’annonce fonctionnent mal, le patient est laissé au milieu du gué lorsqu’il apprend qu’il ne guérira pas.

Dans un troisième temps, Sicard élargit son enquête à quatre pays : trois qui autorisent à la fois l’euthanasie active et le suicide assisté, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et enfin l’Oregon (Etats-Unis) où ne se pratique que ce dernier. En l’occurrence, le bilan est très mitigé. Notons qu’en Oregon, 50% des « patients » ne prennent pas le comprimé prescrit pour mourir, sachant que son effet létal diffère en fonction des individus : vous pouvez décéder en un quart d’heure comme en vingt-quatre, voire survivre !

Plus fondamentalement, Sicard rappelle un certain nombre de principes, comme l’interdit fondateur de tuer (dont la mise en cause supposerait un changement de civilisation), le serment d’Hippocrate  (précepte essentiel de la médecine :  primum non nocere : d’abord ne pas nuire). Rappelons que la  parution du best-seller de Claude Guillon et Yves le Bonniec, Suicide mode d’emploi (1982),  allait aboutir cinq ans plus tard à la loi définissant le délit de provocation au suicide. Il y a quelques années, la loi Leonetti se fixait pour but de soulager la douleur en préservant la liberté de soigner contre l’impératif d’en finir. Cette tension souligne les tiraillements du malade entre désespoir et envie de vivre jusqu’au bout.

De leur côté, François  Hollande et sa ministre Marisol Touraine préconisent une forme de suicide assisté à la française, supervisée par un médecin prescripteur et un accompagnateur, qu’encadreraient des associations chapeautées par l’Etat. La question sera débattue en juin 2013. Quant au professeur Sicard, il adopte une position critique et considère l’euthanasie comme impensable. Son rapport est une excellente mise à jour de la loi Leonetti, qui dresse un état des lieux lucide du désastre médical en matière de fin de vie. On peut toutefois lui reprocher de pas écorner les politiques de santé publique et d’ignorer (sciemment ?) les mobiles économiques qui sous-tendent la promotion du suicide assisté.  Pour l’exprimer crûment : mourir c’est faire des économies.

*Photo : Ed Yourdon.



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