« Pour donner 1 euro à la Croix-Rouge française, envoyez HAITI au 80 222 ; pour donner 1 euro Secours Populaire, envoyez HAITI au 80 333 ; pour donner 1 euro au Secours Catholique, envoyez HAITI au 80 444. »
15 janvier 2010, trois jours après le séisme meurtrier qui avait ravagé Haïti, les opérateurs de téléphonie mobile français s’étaient inspirés de l’opération organisée aux États-Unis par mGive et la Croix Rouge (« Text HAITI to 90999 ») qui permettait aux américains de donner $10 avec un simple SMS. Alors que nos opérateurs nationaux lançaient leur propre collecte à raison d’un euro le SMS, mGive annonçait sur son blog avoir déjà franchi le cap des 8,5 millions de dollars de donations.
J’ai envoyé quelques SMS.
Oh, n’allez pas croire que je m’en vante. Au regard de mes revenus de l’époque, ces quelques euros ne représentaient pas grand chose. C’était une petite somme ; une goutte d’eau qui ne tarderait pas à rejoindre le fleuve des dons privés qui se déversait du monde entier sur l’île meurtrie. Si tout le monde faisait comme moi, me disais-je, ce seraient des millions d’euros qui viendraient de France. Je n’ai aucun mérite ; j’ai fait ce qu’il fallait ; assez pour ne pas avoir honte de moi, trop peu pour en éprouver une quelconque fierté. Là n’est donc pas mon propos.
Ce qui m’a marqué ce jour-là, c’est la réaction d’une de mes voisines, nous l’appellerons Caroline, quand je lui ai fait part de l’opération. « Avec les impôts qu’on paye, me dit-elle, c’est à l’État de faire des dons. »
Les bras m’en sont tombés. Il faut que je précise ici que Caroline est réellement une femme formidable, le cœur sur la main, toujours prête à donner un coup de main et à se plier en quatre pour distribuer du bonheur autour d’elle. Caroline a une âme d’enfant ; c’est une épouse aimante, une mère extraordinaire et – ma femme en est témoin – une amie des plus fidèles. C’est vraiment quelqu’un de bien. Mais ce jour-là, à ma grande surprise, elle estimait que le montant des impôts qu’on lui réclamait au titre, notamment, de la solidarité la dégageait de tout devoir moral vis-à-vis des Haïtiens.
Dans les jours qui ont suivit, j’ai tendu l’oreille. Alors que la presse internationale célébrait ce gigantesque mouvement de générosité qui, de Tiger Woods (3 millions à lui seul) à Starbucks, avait permis de collecter des centaines de millions de dollars en quelques jours, il y avait, dans notre presse hexagonale et dans les commentaires que l’on pouvait lire sur internet, une sorte de mépris arrogant teinté de méfiance ; on fustigeait l’hégémonie américaine dans les opérations de secours, on suspectait les ONG de malversations, on accusait les gros donateurs de vouloir se donner bonne conscience.
En fait, on se cherchait une bonne raison pour ne surtout pas donner de sa propre poche : c’est à l’État de s’occuper de solidarité, c’est à l’État de distribuer des dons et, de préférence, en faisant payer ceux qui en ont les moyens, c’est-à-dire les autres. De fait, quelques semaines après le séisme, l’opération française avait permis de collecter un peu plus d’un million d’euros… là où celle de mGive dépassait allègrement les 37 millions de dollars : rapportés au nombre d’habitants, les dons américains se sont révélés cinq fois et demi plus élevés que ceux des français !
Et voilà, au-delà des grands discours et des mots ronflants, le véritable visage de ce que nous appelons solidarité. La triste vérité, c’est qu’à force de collectivisme, nous sommes devenus un peuple profondément égoïste ; un peuple qui a remplacé l’empathie, la générosité et la solidarité véritable par un simulacre sordide de justice sociale qui n’a pas d’autre objet que d’organiser le pillage de ceux qui produisent au profit de ceux qui réclament.
*Photo : Brent Gambrell.
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