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Le général Gudin, histoire d’un rendez-vous manqué

Mort en 1812 pendant la campagne de Russie, sa dépouille arrive en France aujourd'hui


Le général Gudin, histoire d’un rendez-vous manqué
La dépouille du général Charles Etienne Gudin à Moscou, juin 2021 © Alexander NEMENOV / AFP

Le retour, de Russie, de la dépouille retrouvée d’un des hommes les plus fidèles de Napoléon, a donné lieu à un vaste imbroglio. La France n’a pas voulu donner l’impression de faire une bonne manière à Vladimir Poutine, et le profil de l’aventurier Pierre Malinowski, qui avait imaginé une cérémonie aux Invalides, déplaisait à l’Élysée. Récit.


Retrouvés lors de fouilles archéologiques dirigées par l’équipe de Pierre Malinowski et destinés à sceller la réconciliation entre la France et la Russie, les restes du général Charles-Etienne Gudin ont fait l’objet d’un conflit diplomatique entre les deux pays. Avec en fond de toile, l’affaire Alexeï Navalny. Retour sur les rebondissements d’un rendez-vous manqué avec notre histoire de France.

Son nom figure en bonne place sur l’Arc de triomphe et reste associé à la Campagne de Russie. Un épisode majeur de l’histoire du Premier empire. Condisciple de Napoléon Bonaparte à l’école de Brienne, César Charles Étienne Gudin de la Sablonnière est né dans la ville de Montargis, au sein de la petite noblesse de l’actuel Centre-Val de Loire. Corps des gendarmes du roi, sous-lieutenant au régiment d’Artois, la révolution française va rattraper cet officier qui n’a pas démérité de ses galons à Saint-Domingue où il a été envoyé en 1791 afin de mater l’insurrection haïtienne. Intégré au sein de l’armée du Rhin et Moselle, dont il sera un des chefs d’état-major, il va briller lors de différentes batailles. Général, Bonaparte suit le parcours de Gudin avec intérêt d’autant que l’homme est exigeant avec ses soldats. L’ordre et la discipline règnent au sein des régiments dont il a le commandement. L’amitié qu’il voue au futur Premier consul est suivie d’une fidélité à toute épreuve. Jamais Gudin ne va réclamer quoi que ce soit à Bonaparte qui se mue peu à peu en Napoléon Ier. Devenu général d’empire, Charles Étienne Gudin participera aux campagnes de Pologne et d’Autriche. Après un passage à vide, pour raisons de santé, il suit Napoléon sur sa route vers Moscou. Un voyage sans retour puisque le 22 août 1812, un boulet de canon le blesse grièvement sur le champ de Valoutina Gora, près de Smolensk. Une bataille qui fera 12000 morts. Il n’a alors que 44 ans. À l’annonce de son décès, l’empereur des Français dira de lui : « Le général Gudin était (…) recommandable par ses qualités morales autant que par sa bravoure et son intrépidité ».

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Un retour en grande pompe troublé

L’histoire va finalement oublier ce brillant officier jusqu’en juillet 2019. Avec la retraite de la Grande armée, ses restes ont été inhumés sur place, abandonnés. Personne ne songe à le récupérer. À la tête de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes, l’ancien assistant parlementaire du Front National et ex-légionnaire, Pierre Malinowski, mandate une équipe d’experts, d’historiens, d’archéologues et d’étudiants français et russes qui réussissent l’exploit de le retrouver. Une fois les analyses ADN effectués auprès de ses descendants qui confirment la découverte, c’est le début d’une vaste polémique qui éclate en France en plein préparatifs du bicentenaire de la mort de Napoléon où Gudin doit faire l’objet d’un hommage national aux Invalides. Mais c’était sans compter le cas Alexei Navalny (et la pandémie de Covid) qui vient troubler le retour en grande pompe de cette figure de l’empire. Stupeur de Pierre Malinowski. « Tout était prêt. Le président Macron avait fait la démarche lui-même d’en parler au président Poutine lors de sa visite au Fort de Brégançon. Puis cela a commencé il y a quelques mois à se refroidir, au moment de la crise Navalny (…) » explique-t-il alors au média russe Sputnik, déplorant cette russophobie permanente qui persiste au sein du Quai d’Orsay. Pis, alors que le palais de la Pompadour prend fait et cause en faveur de ce lointain opposant au Kremlin, des sources affirment que le président Emmanuel Macron craint de se voir associer avec une cérémonie qui serait « trop marquée à droite » et avec un homme considéré trop proche de Marine Le Pen ou de Marion Maréchal.

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D’un point de vue russe, c’est la consternation et l’incompréhension alors que l’événement a bénéficié d’un écho international important et suscité l’engouement. D’autant qu’une cérémonie a été organisée en février 2021 sous les auspices de la réconciliation entre nos deux pays. Reconstitution historique, présence de l’attaché militaire de l’ambassade de France et des descendants des héros de la campagne russe (dont celui du maréchal Murat et celle du maréchal Koutouzov ou encore l’actuel héritier des Tsars Romanov) venus honorer les soldats de chaque camp tombés lors de la campagne de Russie, cette attitude mesquine de l’Elysée, sans cesse en « guéguerre » avec le Kremlin, irrite. Le comble de l’absurde est même donné lorsque le maire (LR) de Montargis, Benoît Digeon, à qui rien n’a été demandé, refuse par voie de presse d’accueillir l’enfant de sa ville au prétexte fallacieux que la municipalité n’a pas les moyens de « lui construire un mausolée ». Tout en dénonçant un coup monté par les Russes. Sur les réseaux sociaux, Pierre Malinowski s’agace et le fait savoir publiquement. C’est sur les fonds privés de sa fondation que le retour de Gudin se fera, via un Airbus affrété par l’oligarque russe Andrey Kozystin, après avoir obtenu de ses descendants que l’on puisse rapatrier les « restes de leur parent ». Un tour de passe–passe habile qui met rapidement le couteau sous la gorge du gouvernement Castex, embarrassé par cette affaire, et qui permet au président de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes de contourner tous les imbroglios juridiques auxquels il doit faire face.

Volte-face

Face à la pression exercée de toute part et à l’exaspération des cercles napoléoniens ou bonapartistes qui ne comprennent pas ce « conflit de bac à sable initié par d’obscurs Raspoutine macroniens », le 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré a soudainement décidé de faire volte-face, à la surprise générale. Le 13 juillet, à l’aéroport du Bourget, c’est donc la ministre des Anciens Combattants, Geneviève Darrieussecq, qui jouera les pompiers de service. Aux côtés des membres de l’association Paris-Napoléon 2021 présidée par la sénatrice (LR) des Français de l’étranger Joëlle Garriaud-Maylam, de représentants de l’ambassade de Russie, elle s’inclinera devant la dépouille de Gudin. Avant que le général d’Empire ne rejoigne son prochain et dernier lieu de repos, probablement un cimetière dans le Loiret (le lieu exact est inconnu au moment de la publication de notre article). Ultime chapitre d’un rendez-vous manqué qui aurait pu réconcilier les Français avec leur histoire.



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Journaliste , conférencier et historien.

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