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Prophète, Shoah, même respect ?


Prophète, Shoah, même respect ?

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Les autorités religieuses de divers bords s’appuient sur l’interdiction du négationnisme pour exiger l’interdiction équivalente du blasphème, ou de l’offense au sacré.
L’excellente philosophe Chantal Delsol avance délicatement un pion dans cette direction, en écrivant un article intitulé « Le sacré des autres doit être respecté », dans lequel elle pose une question faussement ouverte : « Comment expliquer aux salafistes qu’il leur faut, au nom de la démocratie, supporter un discours outrageant sur le Prophète, pendant que d’autres discours sont considérés comme des délits d’opinion ? »J’aurais préféré qu’elle parle de liberté de conscience plutôt que de démocratie ; qu’elle formule sa question en remplaçant « le Prophète » par « leur Prophète », et qu’elle dise clairement : pouvons-nous nous payer la tête de Mahomet et interdire aux autres de dire que la Shoah n’a pas eu lieu ?
Puisqu’elle ne saurait pas comment le leur expliquer et qu’elle a fait preuve de bienveillance envers Causeur, je me propose d’essayer de l’aider modestement.[access capability= »lire_inedits »]
Se moquer de son propre sacré est un exercice cathartique dans lequel ont excellé Diderot et Woody Allen. Le premier a écrit : « Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes et fort peu de ses enfants. » Et le second : « Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. »
On m’objectera que ces impertinents ne se moquent pas de la religion des autres. Je réponds que Blaise Pascal a écrit sur l’islam, dont il n’était pas issu, des choses très vilaines. On les trouve par exemple dans la Pensée 400. À la demande de Causeur, qui espère sans doute booster ses ventes, je me vois contraint de la recopier ici : « Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet, et qu’on peut faire passer pour avoir un sens mystérieux, que je veux qu’on en juge ; mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis, et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. »

Revenons à l’objection des « deux poids deux mesures ». Faut-il interdire de se moquer de ce qui est sacré pour les autres, quel que soit ce sacré, au seul motif que le ressenti est le même que quand ils moquent ce qui est sacré pour nous ? Depuis quand est-ce le ressenti qui permet de caractériser le délit d’offense ou de diffamation ?

Autrement dit, est-ce la même chose, cela relève-t-il du même poids et de la même mesure, de se moquer du Dieu des juifs (ou pire, de dire comme Freud que Moïse n’était même pas juif,) du Dieu des chrétiens et du Prophète de l’islam, d’une part, et, d’autre part, de se moquer des victimes d’une extermination de masse en la niant ? N’y a-t-il pas une différence de nature entre une croyance religieuse qui n’est sacrée que pour ceux qui y croient, et le respect envers les victimes d’un crime monstrueux avéré ?
L’argument des « deux poids deux mesures » confond le blasphème et le négationnisme, qui sont deux choses incommensurables. Cette confusion revient à dire que le respect des victimes de la Shoah (et des victimes d’autres crimes atroces), c’est le respect du sacré des autres. Il n’y aurait donc rien d’universel en droit ? Le respect pour les victimes de la Shoah serait du même ordre et n’aurait pas plus de légitimité pour les musulmans que le respect du Prophète pour les Français pascaliens?

Si c’est cela que pensent ceux qui usent de l’argument « deux poids deux mesures », eh bien, qu’ils le disent ![/access]

  • *Photo : Regina Martínez.
  • Octobre 2012 . N°52

    Article extrait du Magazine Causeur



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    André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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