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L’avenir de la Cisjordanie se joue à Sarcelles et à Brooklyn


L’avenir de la Cisjordanie se joue à Sarcelles et à Brooklyn
Tensions entre des Palestiniens et des soldats israëliens à Hébron, 28 août 2020 © Mosab Shawer / apaimages/SIPA Numéro de reportage: 00978829_000007.

L’immigration en Israël d’un cinquième seulement des communautés juives françaises et américaines, soit un million d’individus, précipiterait à coup sûr l’annexion de la Cisjordanie. Analyse.


Annoncé pour le 1er juillet dernier, le processus d’annexion d’un tiers de la Cisjordanie a été « suspendu » suite à l’accord de normalisation avec les Emirats Arabes Unis. Pour Israël, la concession est mineure. L’application d’une souveraineté pleine et entière sur le territoire occupé militairement depuis 1967 ne présentait aucun caractère d’urgence. L’initiative de Benyamin Nétanyahou obéissait surtout à des considérations électoralistes et n’aurait rien changé sur le terrain.  Cependant, on aurait tort de croire l’annexion de la Cisjordanie enterrée : elle se fera tôt ou tard, en dépit des réticences de Washington, des condamnations de l’Union européenne ou de la pusillanimité de la classe politique israélienne. Mieux : le processus ne se limitera pas à la seule vallée du Jourdain mais s’étendra à l’ensemble du territoire.

Tel-Aviv surpeuplée

Car l’annexion de la Cisjordanie ne dépend ni bon vouloir des dirigeants israéliens ni d’une quelconque offensive d’un groupe de pression tels que les évangéliques américains ou les colons israéliens. Ce processus est tout simplement lié à l’accroissement de la population israélienne. L’expansion dite « naturelle » des implantations répond à une forte demande de logements émanant de jeunes actifs, religieux et laïques, attirés en Cisjordanie par les prix de l’immobilier et un cadre de vie pastoral. L’étroite bande côtière autour de Tel-Aviv sur laquelle se concentre 80% de la population israélienne frise la saturation. Le foncier disponible à proximité des zones d’activité se trouve uniquement en Cisjordanie, à l’est de Tel-Aviv et autour de Jérusalem. La Galilée et le Néguev ne présentant guère d’attrait pour une population très majoritairement urbaine et employée dans le tertiaire.

Cette colonisation économique, non-idéologique, modifie en profondeur la donne. Elle permet à Israël de grignoter toujours plus de territoire et d’obérer définitivement la création d’un État palestinien. Ce sont les colonies laïques ou a-sionistes (orthodoxes) qui permettent aux Juifs de former aujourd’hui un quart de la population de Cisjordanie. Avec un des taux de natalité parmi les plus élevés au monde et face à des Palestiniens qui s’approchent des normes occidentales, les colons israéliens pèsent chaque jour davantage dans la balance démographique. Cette dynamique explique l’immobilisme du gouvernement Nétanyahou dans sa gestion du conflit israélo-palestinien. Il joue la montre en attendant le grand basculement démographique.

La question-clé de l’immigration vers Israël

Mais à ce rythme, les Juifs mettront encore trois décennies à devenir majoritaires en Cisjordanie et donc à pouvoir envisager sereinement l’annexion du territoire et l’octroi de la citoyenneté aux Palestiniens. Un phénomène pourrait toutefois considérablement accélérer le processus : une immigration juive massive. C’est pourquoi les stratèges israéliens observent de près les soubresauts qui agitent les deux dernières grandes communautés juives de diaspora : celles de France et des États-Unis.

À de rares exception près, comme dans le Maroc des années 50, l’État d’Israël n’a jamais soufflé sur les braises de l’antisémitisme pour encourager les Juifs à rejoindre la Terre promise. En revanche, chacun sait que la persécution des Juifs a joué un rôle déterminant dans la réussite du projet sioniste. A chaque phase critique de son histoire, c’est l’immigration juive contrainte qui a sorti le sionisme de l’impasse. Après l’obtention de la déclaration Balfour en 1917, une infime minorité des Juifs de diaspora rejoignirent Israël. La flambée de l’antisémitisme en Pologne puis en Allemagne provoqua d’opportunes vagues d’immigration et permit au Yishouv de peser démographiquement face aux Arabes palestiniens.

Après la deuxième mondiale, Ben Gourion put compter sur les rescapés de la Shoah et sur les Juifs chassés des pays arabes pour peupler le jeune Etat. Plus près de nous, l’effondrement de l’URSS au début des années 90 et l’arrivée d’un million de Juifs en Israël bouleversa la donne démographique. Pour la petite histoire, le Premier ministre d’alors, Itzhak Shamir, dut exercer d’intenses pressions sur le président américain Bush pour qu’il ferme les portes des États-Unis aux Juifs d’URSS les obligeant ainsi à « choisir » massivement Israël.

Palestiniens privés de droits civiques

La grande alya russe renforça considérablement l’implantation juive en Cisjordanie notamment dans le bloc d’Ariel et dans le Grand Jérusalem. Surtout, elle inversa le rapport de force démographique avec les Palestiniens. Un conseiller de Yasser Arafat affirma que cet afflux de Juifs en Israël acheva de convaincre le Raïs de négocier les accords d’Oslo avant que l’écart démographique ne se creuse encore davantage au détriment des Palestiniens.

Des juifs de France faisant leur aliyah (Immigration vers Israël), arrivent à l'aéroport Ben Gurion de Tel Aviv, en 2019 © JACK GUEZ / AFP
Des juifs de France faisant leur aliyah (Immigration vers Israël), arrivent à l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv, en 2019 © JACK GUEZ / AFP

L’immigration en Israël d’un cinquième seulement des communautés juives françaises et américaines, soit un million d’individus, précipiterait à coup sûr l’annexion de la Cisjordanie. Car le gouvernement israélien ne craint ni une flambée de violence palestinienne – très hypothétique-, ni des pressions internationales moins dissuasives que jamais. La véritable menace s’incarnerait dans un mouvement populaire palestinien du type « un homme, une voix » calqué sur celui de Nelson Mandela en Afrique du sud. Cette aspiration à la citoyenneté des Palestiniens serait parfaitement légitime et Israël pourrait difficilement se prévaloir d’être « la seule démocratie du Proche-Orient » en maintenant sous sa souveraineté deux millions de Palestiniens privés de droits civiques.

En l’état actuel du rapport de force démographique, les Juifs représentent environ deux tiers de la population vivant entre la Méditerranée et le Jourdain (bande de Gaza exclue). Avec un million de Juifs adultes en plus, l’État d’Israël s’assurerait une majorité juive écrasante et conserverait son identité nationale même en accordant la citoyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie. En somme, le grand Israël pourrait être à la fois juif et démocratique.

Regain d’intérêt pour l’alya en France et en Amérique

Personne ne sait évidemment si la poussée de l’antisémitisme en France et aux États-Unis débouchera sur une fuite massive des Juifs de ces pays vers Israël. Contrairement au gouvernement allemand des années 30 ou aux pays arabes dans les années 50, la France de Macron et l’Amérique de Trump ne persécutent pas les Juifs mais au contraire les protègent. Nul cependant ne peut exclure un tel scénario à moyen terme tant la haine antijuive se propage dans la rue, à l’université ou sur Internet. Même les communautés juives les plus enracinées et les plus dynamiques comme Sarcelles ou Brooklyn commencent à douter ouvertement de leur avenir.

En Israël, des experts planchent déjà sur des plans d’intégration en cas d’immigration de plusieurs centaines de milliers de Juifs en provenance de France et des États-Unis. L’Agence juive et les organisations spécialisées témoignent d’un fort regain d’intérêt pour l’alya dans ces deux pays.  Si l’histoire devait se répéter, la donne du conflit israélo-palestinien s’en retrouverait une nouvelle fois bouleversée.

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Stéphane Amar est journaliste indépendant installé à Jérusalem depuis 2003. Il a publié en 2018 "Le grand secret d'Israël, pourquoi il n'y aura pas d'Etat palestinien", ed. L'Observatoire.

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