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Où en est la droite en Espagne?

Elle espère revenir au pouvoir grâce à la crise économique


Où en est la droite en Espagne?
Pablo Casado, président du Parti populaire espagnol depuis 2018, le 25 mai 2020 © Mariscal / EFE / SIPA Numéro de reportage: 00963838_000002

De l’autre côté des Pyrénées, après deux ans loin du pouvoir, la droite a des difficultés à se reconstruire alors que le Parti populaire a perdu de sa superbe. Toute ressemblance…


Reléguée dans l’opposition depuis le début du mois de juin 2018, la droite espagnole dans ses différentes composantes a connu une année 2019 en demi-teinte. Les élections régionales et municipales du mois de mai lui ont en effet permis de consolider son ancrage dans certaines communautés autonomes et plusieurs municipalités importantes. Dans le même temps, les formations de droite d’ampleur nationale (principalement le Parti populaire, Citoyens et Vox)[tooltips content= »Nous n’aborderons pas ici le cas des formations régionalistes ou séparatistes relevant de la droite au sens où on l’entend usuellement (Parti nationaliste basque ou Parti démocrate européen de Catalogne). Quoi qu’en disent leurs défenseurs, elles appartiennent bel et bien à ce camp idéologique (et s’avèrent souvent plus réactionnaires que leurs équivalents nationaux, notamment dans leur conception de la chose publique) mais leurs alliances et leur parcours ne sont pas comparables. »](1)[/tooltips] n’ont pas été en mesure de renverser la vapeur face à un Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) qui n’a pourtant jamais obtenu la majorité absolue à la chambre basse du Parlement à lui seul.

Jusqu’à présent, la conjonction d’intérêts qui a porté les sociaux-démocrates au pouvoir après quasiment sept ans de domination de Mariano Rajoy se montre plus solide que prévue.

Notons néanmoins qu’elle se maintient à un prix très élevé à la fois pour l’exécutif en particulier et la nation espagnole en général. Quels phénomènes permettent d’expliquer une telle situation ?

La fin de l’hégémonie du Parti populaire

La fragmentation du panorama politique et électoral espagnol n’est pas à proprement parler une nouveauté. Dès 2014, le bipartisme classique PSOE-PP est remis en cause par l’arrivée en force de la gauche « radicale » de Podemos, qui fait un très bon score aux européennes du mois de mai avant de transformer l’essai un an plus tard, aux municipales, aux régionales et aux générales.

Les années 2015-2018 permettent par la suite l’émergence des centristes libéraux de Citoyens (Cs), dont l’évolution est très favorable jusqu’au scrutin parlementaire de novembre 2019. À cet instant, c’est la droite « radicale » de Vox qui profite de la lassitude de l’électorat et des problèmes structurels du pays (taux de chômage encore élevé, précarité subie par une partie de la population, soubresauts séparatistes en Catalogne) pour devenir la troisième force au Congrès des députés.

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Les derniers mois nous ont montré, avec l’essoufflement palpable de la coalition Unidas Podemos (qui n’a de cesse de reculer depuis 2015-2016, et ce à tous les niveaux), que l’alternance entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens n’était pas morte. Seules ces deux tendances traditionnelles sont encore à même de fédérer autour d’elles des majorités au moins relatives pour gouverner.

Toutefois, là où les socialistes s’appuient désormais sur le déclin incessant de la gauche « radicale » pour reprendre des couleurs, le Parti populaire subit la concurrence directe de Vox. La formation de Santiago Abascal navigue en effet sur des courants favorables et son succès repose sur la déception de franges conservatrices ou libérales de l’électorat à l’égard du PP. Les anciennes ouailles de ce dernier le jugent trop tiède, trop étatiste ou encore trop conciliant avec les forces centrifuges venues de Catalogne ou du Pays basque. Vox aspire ainsi une partie non négligeable des voix dans des zones normalement acquises aux démocrates-chrétiens, comme la Région de Murcie ou la province d’Almería (Andalousie).

En raison de l’organisation des circonscriptions et du système électoral espagnol, la division du bloc de droite le pénalise en lui faisant perdre de nombreux sièges de députés. Seules certaines communautés autonomes (comme la Galice) restent encore dans le giron des populares de Pablo Casado en raison de leur aversion pour le centralisme (relatif) prôné par Vox.

L’incertitude du positionnement

Face à ce défi, le Parti populaire ne sait pas véritablement quelle ligne défendre. Même si l’élection de Casado à sa tête, en juillet 2018, a entraîné le départ des modérés de l’aile Rajoy et le retour en grâce des préceptes de José María Aznar, président du gouvernement de 1996 à 2004, l’on voit encore cohabiter plusieurs courants. D’un côté, la porte-parole du PP à la chambre basse du Parlement, Cayetana Álvarez de Toledo, est la tenante d’une attitude intraitable face au gouvernement et aux séparatistes de tout poil. De l’autre, le président régional galicien, Alberto Núñez Feijóo (qui a été facilement réélu à son poste le 12 juillet dernier), n’a de cesse de critiquer la « crispation » du débat public due, à son sens, à la présence de Vox au sein des institutions.

Ce sont pourtant les bons résultats de cette formation qui ont permis aux démocrates-chrétiens de s’accrocher au pouvoir en 2019 dans plusieurs régions, comme la Communauté de Madrid, et de conserver ou de reconquérir des mairies capitales, à l’instar de Madrid, Cordoue et Saragosse.

Dans ce cadre, les tergiversations de Pablo Casado (qui hésite entre l’intransigeance et la négociation avec le gouvernement Sánchez) ne favorisent pas une réelle cohésion de son électorat.

La crise suffira-t-elle?

C’est davantage cette faiblesse interne que le dynamisme concret de la coalition de gouvernement qui handicape la droite espagnole aujourd’hui. L’alliance entre Pedro Sánchez et Pablo Iglesias, définitivement scellée le 7 janvier dernier, n’a jamais obtenu à elle seule la majorité absolue au Congrès des députés. Il ne serait même pas osé de dire que ses soutiens sociologiques sont minoritaires. Ces derniers sont le plus souvent motivés par la peur d’un « retour du fascisme » au cas où Vox parviendrait au pouvoir, de façon directe ou pas.

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Par ailleurs, la gestion catastrophique de la crise du coronavirus par l’exécutif socialo-« communiste » à la tête de l’État central a servi de repoussoir à un certain nombre d’électeurs modérés ou tout simplement scandalisés. L’économie espagnole souffrira grandement de l’arrêt provisoire des activités décrété entre mars et juin 2020 et sans doute plus encore de la réponse déficiente qu’apportera Pedro Sánchez à l’inévitable crise économique.

Les remous ne commenceront véritablement qu’au moins de septembre, cependant, et l’on est en droit de se demander si, comme en décembre 2011, la droite pourra se contenter d’apparaître comme l’opposition « naturelle » à la gauche pour l’emporter. À l’époque, Mariano Rajoy n’avait pas fait campagne en vue des élections générales car il savait que l’impopularité du PSOE de José Luis Rodríguez Zapatero, empêtré dans la débâcle économique, lui assurerait un excellent résultat.

Mais la situation est-elle encore comparable ? Si la droite espagnole dans son ensemble n’est pas capable de formuler un projet clair et véritablement en rupture avec les tendances en vogue (qu’elles concernent l’économie, l’unité nationale ou la vision générale de la nation), elle risque de commettre une erreur en misant tout sur un simple retour de balancier. Nous avons connu la même chose en France en 2017…



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Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires.

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