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Sur l’inutilité des débats en économie


Le bon sens a des charmes que la subtilité ne connaîtra jamais. L’idée suivant laquelle un excès de dépenses doit être compensé par des coupes budgétaires est une idée simple ; son attrait paraît donc irrésistible. lI est un peu désolant de se dire que trois siècles de science économique ne nous permettent guère de dépasser le stade de la platitude, mais la comparaison de l’Etat et du gestionnaire économe est tellement simple qu’elle fait merveille chez les gens raisonnables.

« Que penseront nos petits-enfants si nous continuons à dilapider l’argent de la famille ? » s’inquiétait il y a peu François Fillon. Il ne faut jamais oublier que Rousseau, à l’article « Economie politique » de L’Encyclopédie, définissait l’économie ainsi: « le sage gouvernement de la maison pour le bien commun de toute la famille ». Quand on sait comment les choses se passent dans une famille, on comprend vite pourquoi notre économie va de crise en crise.
On trouve chez La Perrière (1503-1569) une imagerie familiale tout aussi saisissante – celle du bon père qui se lève tôt, et qui, de ce fait même, gère correctement sa maison. Voilà encore une imagerie qui a tous les charmes de la simplicité. L’individu qui se lève tôt aller pour travailler, ça ne vous rappelle rien ?

Que la science économique repose sur un fantasme familial – un fait inscrit dans le nom même de cette discipline, oikonomia – n’a pas l’air de retenir l’attention des experts. Il est bon de rappeler aux professeurs que leur discipline repose sur des fantasmes parce qu’ils seraient capables de se prendre pour des gens techniquement compétents. Pourtant, entre les « Eléments d’économie politique pure » de Walras et les délires du Président Schreber, la nuance est infime, et il n’est pas toujours facile de distinguer le plus dingo des deux.

Ce délire est si répandu qu’il prend souvent la forme d’un débat scientifique. Il prend aussi la forme d’un appel au sérieux. J’en veux pour preuve ce lecteur vigoureux qui, non content de reprocher à Roland Jaccard son manque de compétence économique, croit pouvoir chapitrer Voltaire pour le même crime. Nous voici en présence d’un digne héritier du Stader de Robert Musil. Visiblement, ce Monsieur a le sentiment qu’il maîtrise quelque chose parce qu’il a étudié dans les bons manuels. Je ne doute pas qu’il puisse nous présenter mille raisons raisonnables qui militent pour la vision économique qu’il s’est choisie. Et je comprends ce que l’amateurisme peut avoir de choquant pour un professionnel de la profession. Il ne fait aucun doute que les experts aiment beaucoup se retrouver entre eux afin d’évoquer posément les meilleures solutions pour la France. Nous savons pourtant qu’il n’en faut pas plus pour qu’ils s’entre-déchirent à coups de statistiques indiscutables et de lois naturelles.

Mais pourquoi diable se donner tout ce mal ? Si l’économie est affaire de fantasme, alors il est parfaitement inutile de convaincre quelqu’un de la justesse d’une politique économique quelconque. Tout au plus pouvons-nous attirer des partisans en fonction d’une affinité mystérieuse, largement inexplicable, qui n’est pas supérieure ni plus raffinée que l’entente tacite qui réunit deux obsédés autour d’une belle blonde.



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