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« L’Égypte a su arrêter le coronavirus à la frontière! »

Entretien avec Abdelrahim Ali


« L’Égypte a su arrêter le coronavirus à la frontière! »
Abdelrahim Ali, député égyptien et président du CEMO (centre des études du Moyen-Orient) à Paris.

Toute personne entrant sur le territoire égyptien est soumise à 14 jours d’isolement. Le député Abdelrahim Ali, qui revenait de France, en a fait l’expérience. Il détaille le dispositif des autorités de son pays contre le coronavirus.


 

Entretien avec Abdelrahim Ali, député égyptien et président du CEMO (centre des études du Moyen-Orient) à Paris.


Causeur. Avec 486 décès seulement au 5 mai et très peu de cas graves, la pandémie du coronavirus semble avoir épargné l’Égypte. Quelle est la situation dans votre pays ?

Abdelrahim Ali. Effectivement, la situation actuelle est rassurante ! Les mouvements des gens ont été restreints en imposant un couvre-feu de 19h à 6h du matin, puis de 20h à 6h du matin, et pendant le Ramadan (mois très important pour les musulmans), de 21h à 6h. Je peux donc vous dire que le nombre des contaminations est limité en Égypte, et que nous allons commencer un prudent processus de retour  à la normale après le Ramadan.

Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Covid-19 ? Quelles étaient les capacités du secteur de la santé en Egypte ?

J’étais alors à Paris, et me préparais à retourner en Égypte. Arrivé là-bas, dès l’aéroport, j’ai été soumis aux mesures strictes des autorités égyptiennes : prise de température et détention de toute personne suspectée d’être contaminée. J’ai vu moi-même le degré de préparation des autorités de l’aéroport et des services sanitaires pour traiter rapidement toute personne arrivée contaminée en Égypte. Si les autorités ont le moindre doute concernant un cas, la personne est retenue et isolée immédiatement, et on lui applique le traitement adéquat. Si elle est négative, elle peut partir, mais les autorités sanitaires de son gouvernorat (équivalent d’une région française) la suivent quotidiennement après l’avoir placée en quarantaine à domicile pendant 14 jours. Moi-même, j’ai dû rester confiné chez moi 14 jours car je suis arrivé de France, pays touché par le Corona.

Quelles sont les premières mesures qui ont été prises et quelle a été la stratégie complète pour affronter le virus ?

Une « cellule de gestion de la crise » sous la présidence du premier ministre Moustapha Madbouli a été formée, avec le suivi quotidien du président Abdel Fattah al-Sissi. Le plan national a été élaboré pour répondre au mieux aux recommandations de l’OMS, et fondé sur la coordination de toutes les agences étatiques concernées. Enfin, tous les services gouvernementaux ont été suspendus, sauf bien entendu la santé. La logique de notre stratégie nationale de lutte contre la pandémie était simple : empêcher autant que faire se peut le virus d’entrer en Égypte et en même temps détecter le plus rapidement possible des cas de contamination et les contenir avant que la diffusion du virus ne s’emballe. Dans cet objectif, des vols vers les aéroports égyptiens ont été suspendus à partir du 18 mars et l’Égypte a mis en place le dispositif que j’évoquais permettant la détection précoce des cas suspects et une intensification de la surveillance sanitaire aux points d’entrée dans le pays. Un effort particulier a enfin été déployé auprès des clients des hôtels à Louxor et Assouan. 

Le climat africain pourrait être une cause essentielle d’éloignement du virus du continent, mais il n’y pas de preuve pour le soutenir…

Pour contenir la contamination, chaque gouvernorat s’est vu affecter un hôpital dont la mission est de traiter les cas avérés. Des nombreux autres d’hôpitaux étaient affectés pour assurer des quarantaines surveillées et l’ensemble du système de santé a été mobilisé pour mettre tous les moyens du pays au service de la cellule de crise. 

Au delà de l’effort d’empêcher le virus de pénétrer le pays, nous avons bien entendu pris des mesures préventives visant à ralentir sa diffusion dans le cas où cette première ligne de défense subissait une percée.

Ainsi, les restaurants, cafés, casinos, clubs et centres commerciaux ont été fermés de 19h à 6h du matin, et à partir du 31 mars, de 20h à 6h, sauf les boulangeries, les épiceries, les pharmacies et les supermarchés. Et avec le début de Ramadan, de 21h à 6h du matin. Plus tard il a été décidé de fermer totalement les cafés et les discothèques, ainsi que tous les restaurants, qui se limiteront à la livraison à domicile. Les cinémas, théâtres ont été également fermés et les activités sportives collectives suspendues.

Les administrations et les services gouvernementaux ont réduit le nombre d’employés présents pour diminuer les déplacements en transport collectif et les regroupements. Ceux dont la présence était jugée essentielle ont vu leur température contrôlée avant l’entrée dans leur lieu de travail. Les résultats laissent croire que cette logique a été plutôt efficace. 

Pourquoi l’Afrique en général a-t-elle été moins touchée que l’Europe et l’Amérique du Nord ?

La situation en Afrique a été au début une énigme qui a décontenancé les experts de la santé, surtout étant donné la régression du niveau des soins de santé dans nombre de pays du continent. Certains disent que le climat africain était une cause essentielle d’éloignement du virus du continent, mais il n’y pas de preuve pour le soutenir. En revanche, comme le démontre le cas de l’Egypte, il y a une logique plus simple et concrète. Le coronavirus vient de l’extérieur et s’est propagé en Afrique plus tard qu’en Europe, en Asie et en Amérique, un fait qui a donné aux pays africains le temps d’élaborer une stratégie préventive fondée sur une limitation de l’entrée du virus de l’étranger. C’est ainsi que dans quasiment tous les pays africains – de façon partielle ou totale – les mêmes mesures ont été prises :  la fermeture des frontières, le dépistage chez les ressortissants de pays contaminés et leur mise en quarantaine, l’interdiction des regroupements et la suspension des études dans les écoles et universités.

La durée de séjour prévu de certains touristes a pris fin, mais ils ont choisi de rester chez nous pour leur sécurité!

L’Afrique n’a ainsi enregistré à la fin de la première semaine de mars qu’un petit nombre de contaminations, essentiellement en Afrique australe et occidentale : 11 cas au Togo, Nigéria, Cameroun, Sénégal et Afrique du Sud, et des cas isolés dans les pays arabes, selon les données publiées, ce qui est peu par rapport au nombre d’habitants du continent, soit plus de 1,3 milliard d’âmes, c’est-à-dire trois fois rien par rapport aux plus de 105000 cas dans le monde à la mi-mars.

Dans une étude publiée par The Lancet sur le degré de préparation des pays africains face au Covid-19, une équipe internationale de scientifiques a trouvé que l’Algérie, l’Égypte et l’Afrique du Sud étaient les pays les mieux préparés à lutter contre le virus lors de son arrivée. Selon cette même étude, le Nigéria, pays particulièrement exposé au danger compte tenue de son importante pollution, était un des pays africains les mieux préparés à traiter avec la maladie, grâce à son expérience dans la lutte récente contre Ebola en 2014. 

Les trois piliers de l’économie égyptienne (le tourisme, le transport maritime par le Canal de Suez et le gaz) ont été très affectés. Comment le gouvernement fait-il face à ce défi ?

L’État a pris des initiatives en faveur des acteurs du secteur touristique consistant à lancer des projets de rénovation d’hôtels fixes et flottants, et de bateaux de transport touristique ainsi que le report des échéances des sociétés du secteur touristique. Un fond de 100 milliards de livres a été créée pour financer un plan plus complet pour soutenir le secteur. Pour soutenir l’ensemble de l’économie, le prix du gaz naturel pour l’industrie été baissé ainsi que le prix de l’électricité et cela pour les 3 à 5 années à venir. Une politique spécifique est mise en exécution pour attirer et garder des investisseurs, soutenir la bourse et encourager le marché du crédit en général pour disposer des capitaux nécessaires au moment de la reprise. Enfin, les pensions de retraites vont être revalorisées et les travailleurs non déclarés – ils sont autour de 1,5 million en Égypte – auront eux aussi une aide spéciale.

Quelles sont vos prévisions concernant le tourisme ?

Nous espérons que les touristes reviendront le plus tôt possible, mais cela dépendra des mesures prises contre le coronavirus dont la décision est entre les mains des autorités sanitaires. Cependant, depuis le début, l’Égypte a décidé de permettre aux visiteurs se trouvant sur son territoire de poursuivre leurs programmes touristiques. Et vous allez être étonnés : la durée de séjour prévu de certains touristes a pris fin, mais ils ont choisi de rester chez nous car ils considèrent que la situation en Égypte est sûre. Et nous allons développer le tourisme intérieur dans un délai de quinze jours après la Fête de rupture du jeûne pour inciter aussi les Égyptiens à visiter leur propre pays. 

La menace terroriste n’a pas été confinée durant la crise. Quelle est la situation au Sinaï en particulier et dans le pays en général ? Les réseaux terroristes sont-ils actifs ? Les terroristes vont-ils essayer de profiter de la situation sanitaire et économique pour affaiblir l’État ?

Effectivement, comme le démontre les récents attentats, le terrorisme est une machine infernale qui ne s’arrête pas, étant donné le soutien financier de la part de certaines entités et États. L’Égypte a le mérite de combattre le terrorisme seule à la place du reste du monde. Mais je dis aussi que la situation au Sinaï n’a pas la gravité que certains veulent vous faire croire. C’est peut-être enfin, ici, l’occasion pour moi d’adresser un message au monde en affirmant la nécessité de s’unir dans un front sans faille contre le terrorisme dont souffrent de nombreux pays. Si l’Égypte est laissée seule dans ce combat, le terrorisme risque de frapper tôt ou tard, directement ou indirectement tous les pays du monde.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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