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Les incohérences du déconfinement

Tout est une question de point de vue, mais...


Les incohérences du déconfinement
Yvonne, 91 ans, photographiée le 25 avril 2020, veuve, vivant à Chavanay, prie chaque jour. © SERFATI LORENE/SIPA Numéro de reportage: 00958403_000018

Deux petites « perles » liées au déconfinement entamé ce jour… D’une part, le gouvernement se refuse à confiner certains plus longtemps (et à discriminer les personnes âgées), alors qu’une telle mesure présentait un intérêt, et que certaines régions sont en revanche bien discriminées par rapport au reste du pays. D’autre part, les églises restent fermées, alors que le métro parisien est ouvert. La relativisation de cet état de fait ne peut que questionner.


Comme tout un chacun, mon actualité des derniers jours a été dominée par la perspective du déconfinement (néologisme doublement ennuyeux par sa connotation carcérale et son soulignement systématique par les correcteurs orthographiques) et par les débats qui l’ont accompagnée… 

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Et je dois bien reconnaître que les maigres illusions dont je m’étais bercé concernant la capacité de remise en question de notre société à l’occasion de la pandémie ont aussitôt volé en éclat ! Parmi les « perles » qui ont émaillé ces quelques jours je retiendrai deux exemples particulièrement significatifs que j’aimerais partager avec vous. 

Les séniors se rebellent

Tout d’abord l’indignation unanime de nos « seniors » (« anciens » me plaisait davantage par sa tonalité quasi chamanique, mais le terme est hélas perçu comme trop stigmatisant) lorsqu’ils ont craint pendant quelques jours de devoir supporter un peu plus longtemps que le reste de la population les rigueurs du confinement. Ce risque a fort rapidement été écarté par le gouvernement – très soucieux du poids électoral de cette catégorie de la population – mais j’ai quand même pu lire avant cela de bien belles tirades, toutes écrites par… des seniors, démontrant avec force arguments combien une telle mesure serait injuste, l’âge physiologique n’ayant rien à voir en pratique avec l’âge civil. C’est effectivement incontestable d’un point de vue médical. Mais il faudra quand même alors m’expliquer pourquoi nous sommes prêts à accepter par ailleurs des règles de confinement différenciées dans les zones géographiques où la densité de circulation virale n’est pas identique. Car dans les deux cas il s’agit exactement du même principe de précaution, issu d’une même évaluation statistique du risque pour une population donnée. Le risque lié à la pandémie est effectivement plus fort pour les personnes les plus âgées, tout comme il est effectivement plus important dans les zones de forte circulation virale. Et ces outils statistiques, même s’ils sont dépourvus de toute significativité à l’échelle individuelle (un septuagénaire « en forme » peut parfaitement avoir à titre personnel moins de risque qu’un quinquagénaire polypathologique), n’en restent pas moins totalement pertinents à l’échelle de la population générale (le risque « global » des septuagénaires est indéniablement plus élevé que celui des quinquagénaires) … 

Querelle de clochers

Deuxième « perle »: la non-autorisation de reprise du culte catholique le 11 mai, en dépit du plan proposé en ce sens par la Conférence des Évêques de France. Que l’on se comprenne bien: à titre personnel, seule m’a vraiment heurté durant le confinement l’absence imposée des baptêmes et mariages et, bien plus encore, de l’onction des malades ainsi que de l’accompagnement des défunts. Je reviendrai d’ailleurs un jour sur ce dernier point qui m’a – en tant que médecin confronté à l’épreuve de la mort – particulièrement blessé. 

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L’impossibilité de communier toutes les semaines ne m’a en revanche pas autant touché – hormis à Pâques – puisque je n’ai jamais considéré l’eucharistie comme un dû et que je m’astreignais déjà à m’en dispenser chaque fois que je me savais indigne de la recevoir (ce qui arrive hélas bien trop souvent). 

Mais là aussi, que d’inanités dans les arguments avancés ! On nous a expliqué que les prêtres (ou les fidèles eux-mêmes) seraient trop âgés, et donc trop à risque. Bien. Mais pourquoi en ce cas autoriser la reprise des visites dans les EHPAD ? Ou encore que la promiscuité serait excessive dans une église. Bien. Mais pourquoi ne le serait-elle pas alors dans un supermarché, un TGV ou un RER ? On nous a expliqué enfin qu’il ne serait pas possible d’autoriser la reprise du culte catholique sans l’autoriser également pour le culte juif ou musulman. Pourquoi donc, alors que ceux-là n’en avaient pas fait précisément la demande ? La République-qui-ne-reconnaît-aucun-culte devrait-elle paradoxalement garantir à ces cultes une égalité formelle en tous domaines ? N’y a-t-il pas là un profond vice logique ? Et imagine-t-on vraiment qu’en ce mois de Ramadan nos amis musulmans de France ne célèbreront pas chaque soir en famille ou avec leurs proches la rupture du jeûne ? Vraiment ? La palme revient quand même à un prélat catholique qui a déclaré – sans rire – qu’il ne serait pas favorable à la reprise du culte « avant les bars et les restaurants » car il plaçait « l’humain d’abord ». Sans épiloguer sur la place cardinale (c’est le mot) des bars et des restaurants pour « l’humain », je m’interroge : le premier commandement laissé par le Christ ne resterait-il pas d’aimer Dieu, aimer son prochain ne venant qu’en second ? 

Un monde d’après pas bien différent

Ces deux exemples, forts différents à bien des égards, relèvent pourtant pour moi du même principe causal fondamental : nous n’avons pas changé notre façon de considérer les choses! Nous continuons à voir les intérêts catégoriels bien au-dessus du bien commun, et nous continuons également à penser en termes relativistes. Or ces deux prismes (individualisme et relativisme) sont précisément ceux qui avaient fait du « monde d’avant » ce qu’il était devenu, pour tant de pire et si peu de meilleur… 

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Je crains donc bien hélas, au bout du compte, que nous n’ayons à supporter tous ces efforts, toutes ces peines et tous ces morts… Pour rien.



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est médecin et auteur/écrivain.

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