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Covid-19: les pesanteurs administratives sont immunisées

Scandale dans la gestion de Covid-19 dans le Grand-Est


Covid-19: les pesanteurs administratives sont immunisées
Photo d'illustration / CHU de Nancy photographié en 2004 © HUMBERT NICOLETTE/SIPA Numéro de reportage : 00489076_000012

Non contente de vouloir maintenir près de 600 suppressions de postes à l’hôpital de Nancy, l’agence régionale de santé du Grand Est aurait tardé à recourir au privé en mars, faute de cadre relatif aux tarifs.


En un week-end, il est devenu célèbre sur les réseaux sociaux. Vendredi 4 avril, lors d’une conférence de presse consacrée au Covid, Christophe Lannelongue, directeur de l’agence régionale de santé (ARS) du Grand-Est, a expliqué à son auditoire médusé que les 598 suppressions de postes programmées sur cinq ans au centre régional hospitalier de Nancy (sur 9000 environ) étaient maintenues, avec peut-être « quelques semaines de retard »

Si les faits sont avérés, ils témoignent d’une coupure préoccupante au sein même de l’État. (…) Des acteurs clé de la machine administrative française n’ont pas changé de logiciel

Le jour même, le maire de Nancy, Laurent Hénart, président du conseil de surveillance de l’hôpital, dénonçait dans un courrier au ministre de la Santé, une position « totalement décalée », un comportement « déconcertant et indécent », ainsi qu’une « incompréhension des réalités du terrain », revenant à « blesser en plein combat » les soignants harassés. Le ministre Olivier Véran a immédiatement fait savoir que le plan de suppressions de postes était suspendu.

Une gaffe de haut-fonctionnaire ? Le problème semble plus profond. Fin mars, l’ARS du Grand-Est a contraint un bus qui transportait des malades de Reims vers Tours, pour soulager des équipes fort sollicitées, à faire demi-tour. Motif, le transfert avait été décidé entre chefs de services, sans être validé par le centre de régulation national…

Gros sous et légers retards

L’intégration des cliniques privées dans le dispositif national de lutte contre le Covid-19 pose également problème. Les débuts ont été laborieux dans le Grand-Est, malgré la gravité de la crise. Alertées très tôt, les cliniques privées se sont organisées rapidement pour se concentrer sur l’accueil et le soin des malades de Covid-19, ou pour soulager les hôpitaux submergés par la vague en prenant en charge d’autres patients. Le 22 mars, Lamine Gharbi, président de la fédération des cliniques et hôpitaux privés (FHP) a envoyé un communiqué aussi clair qu’alarmant : « Aujourd’hui malheureusement, alors que les capacités publiques sont dépassées, les établissements privés restent sous-utilisés. Un grand nombre de nos lits qui ont été libérés restent vides ». Dans le Grand-Est, précisait ce même communiqué, 70 places de réanimation libérées par les structures sont restées vides, faute de coordination. Pour rappel, le célèbre hôpital militaire installé en Alsace et inauguré par le président de la République, déploie 30 places. Pourquoi ce retard ? Selon nos informations, l’ARS savait que le privé avait des disponibilités, mais elle attendait la publication des ordonnances relatives au Covid (parues au JO les 25 et 26 mars) et voulait des précisions sur la facturation des services privés avant de les utiliser !  « La question de l’argent n’est pas vaine, explique une source qui connait bien l’ARS. Les hôpitaux publics trainent déjà des dettes énormes. Il faut négocier la prise en charge avec le privé. Nos voisins suisses sont en train de le faire, mais ils n’ont pas attendu d’avoir bouclé la négociation pour lancer la machine, bien entendu. Dans le Grand-Est non plus, d’ailleurs. Le privé est désormais intégré au dispositif, sans qu’on sache exactement combien il va facturer. Reste qu’on a perdu des jours à penser budget et à chercher des validations administratives incongrues dans un contexte d’urgence ».

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Si les faits sont avérés, ils témoignent d’une coupure préoccupante au sein même de l’État. Tandis que le sommet tient des discours graves, évoquant une crise sans précédent, voire une guerre, des acteurs clé de la machine administrative française n’ont pas changé de logiciel.

Ils ont continué à se couvrir comme en temps normal. Devant une porte cadenassée d’un dépôt de matériel essentiel, ils ont perdu du temps précieux à chercher la clé au lieu de casser la serrure avec une hache. Par peur de recevoir des factures démentielles en septembre ? Or, rien ne leur serait plus facile que de les retourner à l’envoyeur avec copie au Canard enchaîné. Une clinique qui profiterait de la crise pour exiger des tarifs exorbitants commettrait un suicide. 

Quand on entend le canon, on se met en marche vers l’ennemi. Les estafettes de l’Empereur nous rattrapent sur la route. Si on attend des ordres, ce n’est pas vers Austerlitz mais vers Waterloo qu’on s’achemine.  On a besoin de Desaix. Des Grouchy, on en a à revendre. 




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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