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Dans la « guerre » contre le Covid, quel arsenal chimique?


Dans la « guerre » contre le Covid, quel arsenal chimique?
Une soignante dans un service de réanimation à Grasse, le 29 mars 2020 © Frederic DIDES/SIPA Numéro de reportage : 00952889_000001

Il n’existe pour l’heure pas de traitement contre le virus responsable de la « pneumonie de Wuhan » que l’humanité affronte. Toutefois, outre la chloroquine vantée par le Docteur Didier Raoult dont nous rappelons les caractéristiques, quelles munitions la pharmacie offre-t-elle aux médecins sur le front du Covid-19?


Si les médecins de Molière affirmaient qu’on ne pouvait pas guérir une maladie sans la connaître parfaitement et sans connaître parfaitement les remèdes nécessaires à la curation d’icelle, nous autres médecins contemporains sommes plus pragmatiques, au risque de frustrer la pulsion scopique qui pourtant nous habite et nous dévore. De mémoire d’homme, on a vu bien des remèdes incertains venir à bout de maladies tout aussi mystérieuses. Mais les médecins d’aujourd’hui sont avant tout des scientifiques, voire des biologistes. Mécanismes d’action, hypothèses et extrapolations faisant partie de plein droit de la science, nous allons tenter d’y voir plus clair dans les traitements antiviraux proposés pour lutter contre le Covid-19.

Hydroxychloroquine, la superstar

À tout seigneur tout honneur, commençons par l’hydroxychloroquine, qui agite médias et foules depuis que le professeur Didier Raoult en a fait la promotion d’une façon quelque peu « musclée ».

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L’hydroxychloroquine est membre de la grande famille des dérivés de la quinine, qui tous partagent un même noyau actif : la quinoléine. L’usage de la quinine est très ancien. D’abord extraite de l’écorce d’un arbuste andin dont les Amérindiens connaissaient les vertus fébrifuges, la quinine est utilisée à partir du XVIIe siècle par les colons espagnols pour traiter la fièvre tierce, c’est-à-dire la malaria ou paludisme. En 1735 le médecin Joseph de Jussieu, qui participe à une expédition scientifique royale menée par La Condamine, la rapporte en France (avec le caoutchouc et la coca). Depuis, des générations de voyageurs et de coloniaux en ont pris quotidiennement, dissoute dans l’eau, dans un breuvage dit « amer tonique ». Qui ne connaît ce soda suisse, l’indian tonic ? La quinine qu’il contient lui donne un bleu fluorescent à la lumière noire des discothèques, et mêlé au gin cela donne le fameux « gin tonic ». Plus sérieusement, complétons l’histoire avec l’apport essentiel des pharmaciens français Pelletier et Caventou, qui ont réalisé la synthèse de la quinine en 1820. 

La chloroquine, ou hydroxychloroquine, contenue dans les medicaments comme la Nivaquine ou Plaquenil (notre photo) divise les medecins et les politiques apres des tests prometteurs dans le traitement du coronavirus. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00951798_000001
La chloroquine, ou hydroxychloroquine, contenue dans les médicaments comme la Nivaquine ou Plaquenil (notre photo) divise les médecins et les politiques après des tests prometteurs dans le traitement du coronavirus.
© ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00951798_000001

Si elle est encore parfois utilisée telle quelle par voie intraveineuse dans les formes sévères de paludisme, la quinine comme chimioprophylaxie antipalustre s’est effacée dans la seconde moitié du XXe siècle au profit de son substitut synthétique : la chloroquine (nivaquine®) – structure chimique légèrement différente pour un même noyau actif, synthèse aisée et coût modique. Une simple opération d’hydroxylation sur ce même noyau engendre l’hydroxychloroquine (plaquenil®) : même efficacité, meilleure tolérance, indications élargies. Les propriétés anti-inflammatoires de ce médicament le rendent aussi intéressant dans certains rhumatismes inflammatoires comme le lupus. À noter une potentielle toxicité cardiaque, dose-dépendante, pouvant conduire à la mort par « torsade de pointe » (un arrêt cardiaque, pour parler clairement). Ce danger impose d’éviter les surdosages et de surveiller l’électrocardiogramme. L’augmentation d’un paramètre classique, l’espace QT, doit conduire à arrêter le traitement.

L’utilisation des antipaludéens de synthèse comme antiviral a un rationnel très sérieux. Ce sont des bases faibles qui interfèrent avec les fonctions phagocytaires par le biais d’une élévation du pH intracellulaire. En ce qui concerne le Covid-19, l’hypothèse pharmacologique est la suivante : l’hydroxychloroquine perturberait les réactions chimiques nécessaires au parasitisme du virus en jouant sur l’équilibre acido-basique des compartiments intracellulaires où il chemine. D’ores et déjà, il est démontré in vitro qu’elle exerce une inhibition de la croissance du SRAS-CoV-2.

Dans la réalité clinique, c’est-à-dire in vivo, nous n’en sommes pas aussi certain, même si plusieurs études tendent à le confirmer. Des médecins chinois auraient obtenu des résultats encourageants, sans pour autant donner les détails de leur protocole. Mais c’est au Marseillais Didier Raoult que revient le mérite d’avoir publié le premier essai clinique déterminant sur le sujet (Gautret et coll. Int J Antimicrobial Agents, 2020). Raoult est un incontestable spécialiste de l’hydroxychloroquine, devenue grâce à ses travaux le traitement de référence de plusieurs maladies infectieuses comme la maladie de Whipple ou la fièvre Q. Il recommande la prescription d’hydroxychloroquine à la dose de 600 mg par jour, en association à de l’azithromycine qui aurait une activité synergique, pendant 10 jours, et ce dès les premiers symptômes et la confirmation du diagnostic virologique. C’est une dose qui n’est pas négligeable sans être à proprement parler « énorme » comme on lit parfois. En comparaison, les patients souffrant de lupus en prennent au long cours à la dose de 400 mg par jour.

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Le travail de Raoult sur le Covid-19, pour pionnier qu’il soit, a cependant été très critiqué par la communauté scientifique. Et ce, non pas par jalousie, mais parce que sa qualité méthodologique était médiocre. Faible puissance statistique, biais de sélection des patients, insuffisance de suivi… Ces défauts devront être corrigés par les études en cours, notamment l’étude Discovery qui teste et compare plusieurs antiviraux, dont l’hydroxychloroquine. 

Azithromycine, intéressant mais pas en traitement principal

L’azithromycine, est un antibiotique de la famille des macrolides. Tout aussi bien connu, si ce n’est davantage, puisque nous sommes presque un sur six à en prendre au moins une fois dans notre vie !

Les macrolides sont de grosses molécules d’origine naturelle qu’on pourrait qualifier d’arme bactériologique puisqu’elles permettent aux bactéries de lutter contre leurs congénères. Comme les autres macrolides, l’azithromycine inhibe la synthèse des protéines bactériennes en se liant à la sous-unité 50S des ribosomes, leur « usine à protéine ». Vous auriez raison d’être étonné que l’on recommande un antibactérien alors que nous sommes à la recherche d’un antiviral ! C’est que l’hypothétique efficacité de l’azithromycine dans le Covid-19 ne repose pas sur ses propriétés antimicrobiennes, mais sur ses propriétés immunomodulatrices. En plus de prévenir une surinfection bactérienne, redoutable dans ce contexte, elle aurait une action antagoniste sur les facteurs de virulence infectieux et une action anti-inflammatoire assez spécifiquement pulmonaire. La production de mucus par les cellules épithéliales bronchiques en serait également réduite. Ces propriétés pourraient en faire un adjuvant mais non le traitement unique de la maladie.

D’autres pistes médicamenteuses à suivre

D’autres antiviraux plus récents attirent l’attention des médecins. 

Nous citerons les principaux : le remdésivir, fruit des recherches récentes sur le virus Ebola, qui perturbe la synthèse de l’ARN viral ; le baricitinib et le camostat qui empêchent le virus de pénétrer les cellules ; l’association lopinavir-ritonavir qui entrave les dernières étapes de la réplication virale par inhibition de la protéase virale. À noter que ces médicaments sont déjà utilisés chez des patients infectés par le VIH (un autre virus à ARN). 

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Toutes ces molécules sont actuellement étudiées dans le grand essai clinique européen Discovery, dont on attend les résultats avec impatience.

En pratique, on retiendra…

Sous la pression médiatique et du fait de l’urgence réelle, l’hydroxychloroquine vient d’obtenir l’autorisation de prescription, à titre dérogatoire et exceptionnel, dans les services hospitaliers prenant en charges les malades du Covid-19. Elle a aussi été autorisée aux USA, par décision directe du président Trump, dont les compétences en virologie ne sont plus à prouver ! 

Espérons que cette utilisation avant toute AMM (autorisation de mise sur le marché) permettra de répondre aux questions qui restent pendantes : 

Quel traitement ? À quelle dose ? Pour quels malades exactement ? Les formes graves (mais ce pourrait être trop tard) ou les formes bénignes (mais le rapport bénéfice/risque est moins évident) ? 

Ou en prophylaxie, pour couper l’infection avant même qu’elle soit apparente ? 

Le traitement diminue-t-il la contagiosité du malade, en négativant rapidement l’excrétion du virus ? 

Qu’elles que soient les réponses à ces questions, et au-delà de toute polémique bien mal venue dans un contexte aussi dramatique, espérons qu’il se trouvera bientôt un antiviral qui améliorera le pronostic de cette grave maladie. Cela permettra d’attendre la mise au point d’un vaccin – la solution parfaite, idéale, qui nous fait tous rêver. 

Pour favoriser cette issue heureuse, les Parisiens pourront aller déposer quelques fleurs devant le monument à la mémoire de Pelletier et Caventou, situé à l’angle du boulevard Saint Michel et de la rue de l’Abbé de l’Épée. Ce petit pèlerinage sera sûrement toléré par les policiers chargés de surveiller l’application du confinement… C’est pour la bonne cause !

Pelletier-Caventou



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