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Qui veut gagner des milliards ?


Qui veut gagner des milliards ?

Qui ne voudrait pas gagner des millions et avoir en même temps son quart d’heure de célébrité télévisuelle ? Qui peut retenir ses larmes quand un garçon issu des immondes bidonvilles indiens donne toutes les bonnes réponses d’un quizz-télé pour remporter la cagnotte ? Concocté à partir de ces deux ingrédients, Slumdog millionnaire, un conte de fées télévisuel sauce Bollywood, semble bien parti pour rafler la mise.

Ce divertissant produit de l’industrie cinématographique indien n’a rien de très innovant en soi sauf d’être extrêmement bien fait, ce qui est déjà très méritoire. Sauf que Slumdog millionnaire est en train de devenir culte. Sorti en septembre dernier, il apparaît comme une sorte de Bienvenue chez les Ch’tis à l’échelle mondiale. Refusé par 18 distributeurs avant de trouver preneur, il est aujourd’hui lauréat de quatre Globes d’or et déchaîne l’enthousiasme du public. Bref, l’histoire de Slumdog millionnaire commence à ressembler, elle aussi, à un conte de fées bollywoodien.

Le phénomène pose des questions à commencer par celle de la transposition du roman Q & A (titre maladroitement traduit en français par Les Fabuleuses Aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire) du diplomate et écrivain Wikas Swarup qui l’a inspiré. Comme l’admet Swarup lui-même, le scénariste Simon Beaufoy (à qui on doit The Full Monty) et le metteur en scène Danny Boyle (Trainspotting) ont gardé du roman une seule idée : un pauvre orphelin qui participe avec succès au jeu « Qui veut gagner de millions », est arrêté car il est soupçonné de fraude – comment un gamin des bidonvilles aurait-il une telle culture générale ? Au cours de son interrogatoire, il apparaît que ses connaissances presque incongrues, il les a acquises à la dure école de la vie plutôt qu’entre les murs.

Traduction, trahison ? Si le choix du titre du film semble parfaitement légitime, le changement de nom du héros est beaucoup plus contestable. Dans le roman il s’appelle Ram Mohammad Thomas, un nom à la fois hindou, musulman et chrétien et qui donc ne trahit aucune appartenance religieuse particulière. Wikas Swarup voulait justement que son héros fût d’abord indien et non pas membre d’une communauté, un choix que l’on qualifierait chez nous de « républicain ». Trop compliqué pour Danny Boyle et Simon Beaufoy qui savent comme tout un chacun (sauf Wikas Swarup peut-être) que l’Inde est divisée et ravagée par la violence intercommunautaire. On peut avancer que les producteurs avaient peur que le public occidental ne cherche qu’à confirmer ses préjugés sur l’Inde, mais l’ennui c’est que le roman de Swarup, malgré son héros « trop indien » ou peut-être grâce à lui est devenu un best-seller mondial… Peu importe : quand on est au service de la vérité, on ne recule devant rien. Ainsi Ram Mohammad Thomas devient-il Jamal Malik, un musulman laïc, tolérant, cultivé, beau et tout ce que vous voulez et/ou rêvez.

Comme Ram Mohammad Thomas, Jamal Malik est orphelin, mais attention, la mère de Jamal Malik a été assassinée devant lui par des fanatiques hindous pendant un pogrom antimusulman. C’est en se souvenant de cette « expérience » qu’il a su répondre à l’une des questions du jeu télévisé : « Quelle déesse hindoue porte un arc et des flèches dans sa main droite ?… »

Le message est clair: les ennemis ne peuvent venir que de l’intérieur. Aussi la corruption de la police indienne se double-t-elle d’une couche de cruauté presque inimaginable : au commissariat du coin, on torture Jalal Malik à l’électricité pour lui faire avouer qu’il a triché. Plus largement, Boyle et Beaufoy ont supprimé toute référence à la réalité qui ne correspondait pas à leur vision du monde. Dans son roman, Wikas Swarup évoque avec force détails (qui, selon son témoignage, lui ont valu les compliments des militaires indiens), un épisode de la guerre indo-pakistanaise, grande victoire indienne et source de fierté nationale. Sans surprise, aucune trace de ces histoires nationalistes ne se retrouve dans le film. Un ennemi extérieur, et qui plus est, musulman ? Aujourd’hui ?

Contrairement à Danny Boyle et Simon Beaufoy, je préfère laisser le dernier mot à l’auteur. Un peu embêté et non sans crainte avant la sortie du film sur les écrans indiens, Wikas Swarup a eu cette réflexion : « Du point de vue dramatique, le film est mieux focalisé que le roman, et probablement aussi, plus politiquement correct. » Rideau.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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