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Ma guerre confinée

Récit d'un Poilu sédentarisé


Ma guerre confinée
Jogging dans un parc à Toulouse le 21 mars 2020. © Frédéric Scheiber/ SIPA

Il y a la France d’aujourd’hui et celle de demain. Dans cette chronique, Alexis Brunet décrit son combat quotidien, ses attentes et ses rêves…


Lundi 23 mars, j’ouvre les yeux, il est 5h30 et pas un bruit. Déjà deux jours terré dans ma tranchée. J’ai passé les 48 dernières heures confiné à l’écoute du gazouillis des oiseaux printaniers mêlé aux sirènes du Samu. Voilà qui mérite bien une trêve! En mettant le nez dehors, embaume comme un parfum de libération. Mais très vite, la réalité de l’occupation me saute au visage : il est 6h30 du matin et pourtant ils sont déjà là, à croire qu’ils m’épiaient. Ces derniers jours, l’épidémie de jogging a contaminé tout mon quartier.

Qu’ils ne s’imaginent pas me contaminer, je suis un dur à cuire, je fais partie des résistants. Pas ceux qui ont fui sur l’Île d’Yeu mais les vrais, ceux qui arpentent leur huit clos en pantoufles, et qui ont la larme à l’œil en songeant aux soignants, policiers, pompiers et caissières qui échangent des coups de glaive au front contre le virus conquérant. Comme de nombreux Français, je me suis laissé prendre au jeu des applaudissements à 20h sur mon balcon. L’initiative est peut-être infantile, inefficace, bébête, au service du pouvoir et tout ce qu’on veut mais la jolie vendeuse de journaux m’a soufflé « merci pour vos applaudissements ».

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La bienveillance du gouvernement

Déjà vingt minutes de marche en changeant de trottoir pour éviter les joggeurs. Il est bon de se dégourdir les pattes mais que voilà? Je viens de me rendre compte que j’ai oublié le précieux sésame. Je ne voudrais tout de même pas risquer jusqu’à 3700 euros d’amende et 6 mois de prison. Ah, si seulement notre chère ministre de la Justice avait mis autant de zèle à traquer les cons finis qui ont menacé de mort la jeune Mila qu’à traquer les confinés réfractaires… Et le bout de mon nez me gratte à présent, combien de temps vais-je résister? « Restez à la maison », « ne touchez pas votre visage », « lavez-vous très régulièrement les mains », les injonctions bienveillantes de notre gouvernement me résonnent en tête jusqu’à m’en donner le tournis.

Trente minutes d’évasion passées dehors, cela n’a que trop duré. Il est temps de retourner dans ma tranchée. Comme 60 millions de Français, je suis une sorte de « Poilu » confiné et mon devoir m’appelle. Jusqu’à quand allons-nous devoir être des soldats de réserve ultra sédentarisés ? À travers la devanture vitrée d’un hôtel Ibis, un titre de BFM TV : « La chloroquine bientôt testée à grande échelle ». La fin du tunnel en vue pour les confinés bientôt atrophiés que nous sommes ? « Tout le monde l’utilisera », assure le nouveau Messie Didier Raoult dans les pages du Parisien. « Jamais aucun pays au monde n’a accordé une autorisation de traitement sur la base d’une étude comme celle-ci », tempère notre ministre de la santé Olivier Véran dans Le Figaro. Évidemment, où avais-je donc la tête ? Si ce provocateur de Trump s’enflamme autant pour un médicament, ce ne peut qu’être une mauvaise idée…

De nouveau à mon poste dans ma tranchée, je ne baisse pas la garde : à force de me laver les mains une cinquantaine de fois par jour, j’ai les mains fripées comme celles d’une grand-mère. « Utilisez donc un gel hydroalcoolique », me souffle une voix dans ma tête. Sans doute celle de notre bon Ministre de la Santé. Mais ça fait deux semaines qu’il est introuvable, le fameux « gel hydroalcoolique »! Aurais-je dû emmener Olivier Véran faire le tour des pharmacies parisiennes avec moi pour qu’il se rende compte de la pénurie pharmaceutique en cours dans la 7ème puissance économique mondiale ?

Le champ de bataille depuis ma fenêtre

Une petite ronde pour vérifier si tout le monde respecte bien les consignes. Depuis ma fenêtre, j’aperçois un jeune avec un gros masque blanc. Pauvre naïf, il n’a donc pas compris que porter un masque ne servait à rien ? À rien, le Ministère de la Santé nous le répète bien. Quelle idée saugrenue que celle de porter un masque, voilà bien un truc d’Asiatiques. D’ailleurs, si Hongkong ne déplore que quatre victimes de cette saleté de Covid-19, ce n’est sûrement pas parce qu’ils sortent tous masqués, mais parce qu’ils sont dociles et plus disciplinés, eux. Non, qu’on se le dise, avec un peuple latin et fier comme le nôtre, le remède le plus pragmatique, c’est le fameux confinement… Comme au XIXème siècle avec le choléra, comme en Italie avec les brillants résultats que l’on voit ; l’Italie qui, devant l’inertie de l’Union Européenne, a fini par se tourner vers Cuba.

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Il paraît que dans cette résistance face au microbe, notre courbe suit justement celle de l’Italie. C’est effrayant mais c’est ce que soutiennent certains « experts ». On sait donc maintenant ce qui nous attend. Ça tombe bien, j’ai toujours rêvé d’arpenter le Malecón en bonne compagnie. Sitôt que sonnera le glas des hostilités, je quitterai ma tranchée confinée pour un repos bien mérité! La Havane vaut bien une nouvelle quarantaine. Puis pourquoi ne pas rejoindre ensuite « l’armée de l’agriculture », comme nous le suggère le ministre Didier Guillaume? Ce n’est pas parce qu’on doit rester calfeutré qu’on doit s’interdire de rêver.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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