Accueil Brèves Un rêve de mélomane

Un rêve de mélomane


J’ai fait un rêve de mélomane. Chaque samedi soir France 2 diffusait un opéra en prime-time, suivi d’un grand débat sur l’œuvre de la semaine, animé par Eve Ruggieri. Dans les rues – presque toutes rebaptisées de noms de compositeurs illustres – des hauts parleurs diffusaient de jour comme de nuit les plus belles pages du répertoire. Ainsi on pouvait faire son marché en écoutant la 9ème symphonie de Mahler, sortir du Monoprix au son du Concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg, et il devenait possible de faire uriner son chien élégamment sur de l’Igor Stravinsky. Dans ce rêve tous les petits Français sortaient du système éducatif en sachant jouer du piano ou d’un des instruments du quatuor à cordes. Le solfège était naturellement intégré au socle commun de connaissances. Et ne pas savoir décrypter une partition était -dans la vie quotidienne- aussi handicapant que de ne pas savoir lire, écrire et compter.

Un ministère des affaires musicales avait été créé, et placé sous l’autorité du génial compositeur Henri Dutilleux. Pierre Boulez, lui, était ministre de la Défense, et avait entrepris courageusement de complètement réorganiser la musique militaire. Dans ce rêve les femmes ne trouvaient rien de plus excitant chez un homme que sa culture de mélomane, et telle dame se pâmait devant un monsieur connaissant par cœur tous les numéros d’opus des sonates pour piano de Serge Prokofiev, tandis que telle autre avait le cœur qui chavire pour un garçon ayant au-dessus de son lit un poster de Ravel.

J’ai fait ce rêve suite à une déclaration de François Hollande qui propose – s’il accède à la magistrature suprême – de promouvoir les “musiques urbaines”, qu’il souhaite rendre plus “présentes” et “visibles”. Cela m’a frappé. Prokofiev avait vécu à Moscou. Ravel avait résidé à Montfort l’Amaury (dans le “7-8” !) Stravinsky avait longtemps vécu à Paris. Quant à l’autrichien Berg c’est peu dire qu’il avait hanté Vienne. Tout cela me semblait, personnellement, bien suffisamment urbain… Mais quelle ne fut pas ma déception quand une amie m’a apporté une précision nécessaire, tout en raillant ma mauvaise foi : on ne dit plus “urbain” pour n’importe quelle ville. Ainsi sont recalées Vienne, Moscou, Paris ou Montfort l’Amaury. “Musiques urbaines” c’est pour évoquer la musique qui se fait dans certaines villes. A la manière dont on parle des “jeunes des quartiers” pour évoquer certains jeunes de certains quartiers. Le candidat socialiste – s’exprimant sur la radio Génération – voulait donc tout simplement que l’on enseigne le hip-hop à l’école, et que l’audiovisuel public soit contrainte de diffuser du rap. Rien de plus conforme à l’époque en somme. Mon rêve de mélomane s’est brisé.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent A l’ombre des jeunes filles en short
Article suivant Présidentielle : mes points non négociables
Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération