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Quand un ministre nie l’essence même de la laïcité

Interrogé par Mediapart, Julien Denormandie montre qu'il n'y comprend rien


Quand un ministre nie l’essence même de la laïcité
Julien Denormandie le 5 décembre 2019 © Jacques Witt/SIPA

Quand il va chez Mediapart, le ministre chargé de la Ville et du logement estime que « communautarisme, radicalisation, laïcité et immigration » n’ont rien à voir. Quant aux musulmans, il ne serait bien sûr pas correct de leur dire de « croire à moitié ». Analyse.


Interviewé le 8 décembre par Médiapart, le ministre Julien Denormandie a brillamment démontré qu’il ne comprenait rien à la laïcité, ni d’ailleurs à la foi, au point d’ouvrir la porte avec entrain aux éléments de langage des Frères Musulmans, et que – s’il faut l’en croire – l’ensemble du gouvernement partage ce dramatique aveuglement.

Passons rapidement sur les présupposés idéologiques de la journaliste Ellen Salvi, qui participe à l’interview. Elle commence par dénoncer le « mélange » entre laïcité, islam et immigration. Peut-être pense-t-elle que de toutes les religions c’est l’islam qui s’adapte le mieux à la laïcité, et que la proportion de musulmans est dérisoirement faible au sein des populations immigrées ? Elle poursuit en assimilant classes populaires, quartiers populaires et populations issues de l’immigration, ce que la « France périphérique » et les gilets Jaunes de la première heure ne manqueront pas d’apprécier. Julien Denormandie n’est pas responsable de ce bel exemple de la doxa « Terra Nova » débitée d’un air pontifiant, mais peut-être aurait-il pu, et dû, lui apporter un minimum de contradiction.

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Au passage, on ne s’étonnera même plus de cette tendance de certains journalistes (de gauche) à présenter leurs opinions comme des faits avérés devant servir de base à toute discussion, au lieu justement de les soumettre à la discussion.

Pas d’amalgame

Plusieurs propos du ministre (à partir de 19 minutes dans la vidéo) méritent d’être détaillés. « C’est un amalgame mortifère qui est fait entre tous les sujets, c’est-à-dire qu’aujourd’hui plus personne ne différencie quand vous parlez d’immigration, quand vous parlez de lutte contre le communautarisme, quand vous parlez de lutte contre la radicalisation, ou quand vous parlez de combat pour la laïcité et du droit donné à chacun de croire ou de ne pas croire. (….) Moi je l’ai toujours dit, le sujet du moment n’est en rien la question du voile. En rien. Le sujet du moment c’est de faire en sorte que d’un côté on ait un pays dont l’un de nos fondamentaux c’est la laïcité, c’est la possibilité donnée à chacun de croire ou de ne pas croire, et de croire pleinement ou de ne pas croire pleinement, parce que ça ne veut rien dire de dire à quelqu’un : croyez, mais croyez à moitié. » Et de l’autre côté ? Nous ne le saurons pas.

Une fois de plus, voici une présentation qui fait l’impasse sur deux aspects pourtant fondamentaux et fondateurs de la laïcité: le droit de changer de croyance, et la nécessaire distance critique à instaurer entre le croyant et la croyance. Volontaire ou involontaire, cette impasse est dangereuse.

D’abord le droit de changer de croyance, c’est-à-dire le droit à l’apostasie. On pourrait espérer que le « droit de ne pas croire » comprenne en son sein le « droit de ne plus croire », ne plus croire à une religion pour pouvoir croire à une autre, ou ne plus croire du tout pour préférer l’agnosticisme ou l’athéisme. Hélas ! Cela devrait en effet aller de soi, mais ce n’est aujourd’hui pas le cas. Ce droit à l’apostasie est même l’un des points d’achoppement majeurs entre la laïcité et l’islam, puisqu’il fut jadis refusé par les représentants du culte musulman, notamment l’UOIF, lors de la création du CFCM. Sans la précision du droit à l’apostasie, le « droit de croire ou de ne pas croire » n’est qu’un droit à l’existence de communautés juxtaposées : les chrétiens, les juifs, les musulmans, les athées, sans droit pour les individus de passer d’une communauté à l’autre. Et n’est-ce pas justement ce que révèle le terme « d’islamophobie », qui en assimilant la critique d’une religion à du racisme assimile l’appartenance religieuse à une origine ethnique, c’est-à-dire un trait hérité et subi, et non une adhésion librement choisie ? C’est ainsi que les apostats de l’islam sont traités de « collabeurs », autant par les islamistes que par les « indigénistes » et « décoloniaux », et que les ExMuslims sont accusés par la gauche de collusion avec « l’extrême-droite » simplement parce qu’ils osent penser par eux-mêmes et le dire au lieu de se taire.

Le droit à l’apostasie n’est rien de plus que la liberté de conscience, inscrite dans la déclaration des droits de l’Homme comme dans la constitution. Il faut donc le dire et le redire : le droit à l’apostasie est aussi important, sinon plus, que le « droit de croire ou de ne pas croire. » Il est une part non négociable de la laïcité, et l’islam devra bien s’y plier.

Croire à moitié ?

Deuxième point fondamental nié par le ministre : la prise de distance entre le croyant et la croyance qu’impose la laïcité. J’assume le terme : qu’elle impose. La laïcité, avec l’idéal d’émancipation qui lui est central, m’impose de savoir que je crois au lieu de croire que je sais. Sapere aude.

Je peux croire, mais je ne peux pas nier qu’il s’agit d’une croyance, et donc d’un choix. Cette distanciation est nécessaire à la critique de la croyance comme à l’acceptation de cette critique, et donc à la liberté de croire, de ne pas croire, et de changer de croyance. Car ne pas croire, c’est évidemment critiquer la croyance. Ne plus croire, c’est démontrer par l’exemple que l’individu peut se détacher de la croyance, qui n’a donc pas à être une assignation identitaire. Questionner la croyance, y compris pour la réformer, c’est du point de vue de ceux qui y adhèrent sans réserve « croire à moitié », puisqu’il y aura dans la croyance des choses auxquelles on continuera à croire, et d’autres auxquelles on choisira de ne plus croire – pour des raisons rationnelles, éthiques, ou totalement personnelles.

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Pire encore. Dans le cas de l’islam, qui était au cœur de l’interview, que signifie le fait qu’un ministre de la République affirme publiquement que « ça ne veut rien dire de dire à quelqu’un : croyez, mais croyez à moitié » ? Encourage-t-il nos concitoyens musulmans à « croire pleinement » aux croyances de l’islam, et donc aux prescriptions coraniques ? Cette prise de distance, refusée par ce ministre qui voudrait que l’on ne puisse croire que « pleinement », donc sans jamais douter – le rêve partagé de Torquemada et Al Baghdadi – est aussi nécessaire à la foi !

C’est bien parce que je sais que je crois, au lieu de croire que je sais, que je peux choisir de croire.

C’est bien parce que j’accepte que ce choix comporte une part d’incertitude, d’inconnu, de risque, que le « saut dans la foi » est un acte de confiance, un acte de foi. Sans distanciation critique initiale vis-à-vis de la croyance, il n’y a que la répétition mécanique d’un dogme enseigné comme allant de soi, et il n’y a pas, il ne peut pas y avoir véritablement de foi.

Que l’on se place du point de vue de la laïcité ou de celui de la foi, le résultat ici est le même : la liberté de croire est inséparable de la capacité à avoir un regard critique sur sa propre croyance. Ce que trop de religions, faisant passer l’autorité du dogme et le contrôle social avant l’authenticité de la foi, appellent « croire à moitié ». Une abomination pour les fanatiques, une nécessité pour la République.

Un gouvernement irresponsable

Quelques points encore. A propos du hijab, le ministre affirme que : « Au sein du gouvernement, la position il ne faut pas modifier les lois, y compris sur les sorties scolaires, elle est partagée par tous. Par tous. » Grave erreur dans ce cas, puisque de toute évidence l’état actuel de la loi laisse la porte ouverte à des polémiques récurrentes, et qu’il est urgent de clarifier les choses. Ainsi faut-il affirmer simplement que « l’école » n’est pas seulement un lieu, mais aussi – et surtout – un temps pendant lequel les enfants doivent avoir pour seules règles celles visant leur instruction et leur émancipation, ce qui impose notamment qu’ils soient tenus à l’écart de toute manifestation religieuse ou politique ostentatoire et revendicative. L’école hors les murs, c’est encore l’école !

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Mais prenons acte : de toute évidence, il ne faut pas compter sur ce gouvernement pour protéger les enfants de France de l’emprise idéologique insidieuse d’un islamisme qui se banalise – et je pense en particulier à tous ces enfants qui y sont déjà soumis dans la sphère familiale, et dont on pourra ensuite naïvement se demander pourquoi, devenus plus grands, ils sont si nombreux à placer la charia au-dessus des lois de la République, et l’appartenance à l’Oumma avant la citoyenneté (je renvoie à l’étude de la Fondation Jean Jaurès de septembre 2019).

Enfin, répétant et clarifiant certains de ses propos, Julien Denormandie dit en substance que « communautarisme, radicalisation, laïcité, immigration (…) ce sont des sujets qui n’ont rien à voir. » Des sujets distincts, oui, mais prétendre qu’ils n’auraient rien à voir est la marque d’un aveuglement criminel ! Une dizaine de jours à peine après la « mobilisation des Préfets face à l’islamisme », lors de laquelle Christophe Castaner déclarait pourtant que la radicalisation et le terrorisme étaient les symptômes de l’islamisme et du communautarisme, un ministre nous confirme qu’en réalité rien ne change en Macronie. Le Président fait de très beaux discours devant des cercueils, mais ces discours ne sont que des mots emportés par le vent, et les cercueils s’accumulent pendant que l’islam littéraliste théocratique travaille à enterrer nos libertés.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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