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« Le regroupement familial est la première cause de l’échec de l’intégration des réfugiés »

Entretien avec Ayyam Sureau


« Le regroupement familial est la première cause de l’échec de l’intégration des réfugiés »
Ayyam Sureau, fondatrice de l'association Pierre-Claver © Hannah ASSOULINE

Fondatrice de l’association Pierre-Claver, Ayyam Sureau œuvre à l’intégration des réfugiés. Loin du laxisme dominant, elle invite les bénéficiaires du droit d’asile à assimiler les us, mœurs et coutumes qui font l’art d’être français.


Causeur: On entend fréquemment que la France est un pays atroce pour les migrants, un pays qui se ferme et refuse d’accueillir.

Ayyam Sureau: Ce n’est pas mon sentiment. Je ne suis pas dupe de cet abattement perpétuel, je soupçonne les Français de ne pas l’être non plus.

Reste que, pour beaucoup de gens, l’identité de l’Europe, c’est l’ouverture. L’accueil des immigrés est-il un impératif catégorique ou un sujet politique dont il faut discuter ?

Ayyam Sureau: La construction de l’Europe a consisté, après un cataclysme historique, à créer un ensemble aux intérêts partagés, à abolir les frontières entre les pays afin de protéger l’Europe contre sa propre violence. Aujourd’hui, l’Europe apparaît souvent, à l’inverse, comme une source de vulnérabilité pour les nations qui la composent. Après s’être construite, l’Europe semble se déconstruire. Or, si on peut penser que l’Europe au sens historique est porteuse d’un héritage philosophique singulier, d’un rêve humaniste ou d’un projet de paix raisonnable, il me paraît malhonnête d’affirmer que le fondement de la construction européenne est d’accueillir. C’est à nous de perpétuer le projet politique dont nous avons hérité sans nous mentir sur son origine qui était de nous protéger contre nous-mêmes et non du reste du monde. Mais je crois que s’inquiéter sans cesse d’une identité insaisissable est un des plus grands accomplissements de l’Europe. L’Europe est en crise par nature, elle a inventé la critique. C’est cela qu’elle devrait exporter. C’est par ailleurs ce que le reste du monde continue à attendre d’elle.

La question migratoire n’en est pas moins devenue un marqueur politique et idéologique.

Ayyam Sureau: La crise migratoire est une épreuve pour l’Union européenne. Le projet initial était d’abolir les frontières intérieures, de fluidifier la circulation des idées, des hommes, des ressources, des biens, de l’argent. Et, surprise, on nous arrive de l’extérieur ! Les nations européennes ont réagi de façons très différentes à l’arrivée des réfugiés. Les pays à peine sortis du communisme, par exemple, n’ont pas accueilli les demandeurs d’asile de la même manière que les anciennes puissances coloniales. La France, l’Angleterre n’ont pas réagi comme la Hongrie ou la Bulgarie. Il me semble qu’à la faveur de cette intrusion, nous avons découvert que, malgré la construction européenne, la mémoire des nations était encore vivante et que ces frontières intérieures que nous croyions avoir abolies, ces différences dont nous avons cru être débarrassés, étaient encore présentes.

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Peut-être parce que l’Union européenne n’a plus grand-chose à voir avec la civilisation européenne.

Ayyam Sureau: Vous vous trompez. J’ai passé les dix dernières années de ma vie auprès des réfugiés. L’Europe doit bien encore être quelque chose puisqu’elle continue à les attirer, et pas seulement –  croyez-le bien  – pour des raisons matérielles. La France n’est pas limitrophe de l’Irak ou de l’Afghanistan. Si les demandeurs d’asile voulaient s’abriter des bombes, ils chercheraient la sécurité juste à côté où ça ne pète pas. Mais pourquoi parcourir 10 000 kilomètres, parfois à pieds dans des conditions infernales  ? Pour trouver quelque chose de précieux que nous avons tant de peine à définir…

Nos libertés ou notre niveau de vie, notre culture ou nos allocations ? Ou simplement un endroit où élever leurs enfants. Mais ils ne viennent pas chercher notre conception de l’égalité des sexes.

Ayyam Sureau: Qu’elle le veuille ou non, l’Europe raconte encore au monde une histoire de liberté, de justice, de prospérité, de solidarité et de droit. Saura-t-elle la défendre ?

Les États-Unis aussi !

Ayyam Sureau: Oui, s’ils pouvaient, les demandeurs d’asile iraient sans doute en Amérique ou au Canada qui sont également des émanations de ce que vous appelez la civilisation européenne.

Si vous le dites. Cependant, il y a bien deux modèles d’intégration. Le modèle français, républicain, assimilationniste – « À Rome, fais comme les Romains » –, et le modèle multiculturel qui confère des droits égaux à toutes les cultures. Tous les pays où il avait cours (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas…) ont constaté ses limites ou son échec patent.

Ayyam Sureau: Le multiculturalisme, je ne sais pas ce que c’est. Mon expérience personnelle m’a appris qu’il existait une trame unique de vertu. Elle peut être tissée d’un fil juif, d’un fil copte, d’un fil musulman. La trame est faite de franchise, d’honnêteté, d’engagement – vertus communes à toute culture digne de ce nom ou alors elle ne m’intéresse pas. Si le multiculturalisme aboutit à la considération égale de toutes les habitudes et les pratiques des uns et des autres, cela signifie qu’en France, nous accorderions égale dignité à une culture qui recommande l’excision ?

Mais en Angleterre, il y a des tribunaux coraniques ! Notre loi contre le voile à l’école est vilipendée dans le monde anglo-saxon.

Ayyam Sureau: Revenons à des choses concrètes : certaines pratiques sont incompatibles avec nos lois. L’égalité des hommes et des femmes n’est pas un trait culturel, c’est le résultat d’une histoire, laquelle a engendré des lois. Pour moi, ce sont nos lois qui forment nos frontières réelles. La France n’est pas un terrain vague où des canards migrants pourraient faire leur nid, mais le territoire où s’applique la loi française, dont l’une nous impose de protéger les réfugiés.

Sauf que, justement, sur certains territoires, cette loi ne s’applique pas du tout, quand, par exemple, une femme ne peut pas s’habiller comme elle veut.

Ayyam Sureau: Vous avez une acception très grande de la loi. Je ne crois pas qu’il y ait des lois, en France, sur l’habillement des femmes.

Il est illégal de contraindre quelqu’un à s’habiller d’une certaine façon. Mais cela ne protège pas les jeunes filles obligées de porter des joggings. Parce que, sauf à créer un État policier, les mœurs sont souvent plus fortes que la loi.

Ayyam Sureau: On peut en effet s’inquiéter que les nôtres, fruits d’une histoire absolument unique d’émancipation, n’exercent plus le même attrait. Mais les demandeurs d’asile ne viennent pas au pays de la minijupe, ils viennent en France chercher la protection de nos lois. C’est extraordinairement grave un être humain qui dit : « Je ne suis pas protégé par mon État, je demande la protection du vôtre. » Ces personnes viennent se soumettre à nos lois, parce que nous en avons, qui sont humaines, garantes de nos libertés, de l’équilibre entre le bien-être de tous et le respect de chacun, et ils n’en ont pas. Ceux qui militent pour un accueil inconditionnel et prônent l’indifférence culturelle se croient infiniment généreux tandis qu’ils manifestent à mes yeux le plus grand mépris pour ces gens qui ont quitté des contrées d’arbitraire, d’oppression, de discrimination pour trouver un État de droit.

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Sauf qu’à partir de l’été 2015, il y a eu une immense vague de « demandeurs d’asile ». Non seulement la plupart demandent le statut de réfugié sans être persécutés, mais une fois déboutés, ils restent.

Ayyam Sureau: Cet élargissement du droit d’asile n’est pas sans rapport avec le mépris dont je parlais. La convention de Genève, dont la France est signataire, a défini des critères pour octroyer la protection d’un État. Ce texte qui, pour l’essentiel, date de l’après-guerre a été rédigé sur mesure pour les réfugiés de la guerre, puis pour les victimes du communisme. On offrait asile aux combattants de la liberté, à ceux dont la vie même se trouvait en péril en raison de leurs actions, de leurs idées, de leurs convictions. Nous avons gardé ces mêmes critères sans nous interroger sur les situations nouvelles et en multipliant les amendements pour que ce texte mal taillé pour notre temps puisse continuer à s’appliquer. On peut désormais demander l’asile pour échapper à l’excision, cette mutilation génitale étant en effet une violation des droits de l’homme. En pratique, cela signifie que l’on consent à ce que l’Histoire s’arrête dans certains pays. Au lieu d’aider les gens à se battre pour l’abolition d’une pratique barbare, on accepte qu’il n’y ait plus d’autre solution que la fuite. L’Histoire progresserait désormais dans l’espace plutôt que dans le temps. C’est insultant, comme si seuls les Européens savaient se battre.

Accorder l’asile à une femme dont la petite fille est menacée d’excision, ça vous choque ?

Ayyam Sureau: Cela ne me choque pas, mais c’est une modification significative des critères. Cela revient à admettre l’échec de la résistance, sans même exiger la preuve que les gens ont résisté. De fait, les personnes qui quittent des pays de dictature ont le sentiment qu’il ne sert plus à rien de se battre chez eux, qu’il faut aller là où le droit se trouve, en Europe, au Canada et aux États-Unis. Si nous ressentons, vis-à-vis des réfugiés, un mélange de compassion, d’indignation, de honte, de colère et de remords, c’est parce que nous savons que les raisons qui les font fuir leur pays ont partie liée avec nos relations vis-à-vis des dictatures. Nous savons que l’Europe contribue, comme en témoigne l’augmentation massive des ventes d’armes ces dernières années, au maintien de dictatures, par peur des effets, et notamment des migrations, qui découleraient de leur instabilité. Ce faisant, elle contribue immanquablement au terreau de migrations à venir.

Non, tout n’est pas de notre faute ! Nous n’avons pas choisi les généraux en Algérie. Pour autant, l’effondrement de l’Algérie ne serait pas une bonne nouvelle pour la France !

Ayyam Sureau: Et le maintien d’un despote non plus. Le résultat de ce coupable paradoxe, c’est qu’il nous interdit de nous demander qui sont précisément ces gens qui nous arrivent et qui nous sommes pour eux. Nous feignons de croire que ce sont de pauvres voyageurs sans bagages et qu’avec un travail et un logement, nous allons réussir leur intégration. Or, les réfugiés sont marqués par des décennies de violence et de corruption, par la douleur et l’humiliation de l’exil… Notre hypocrisie politique et notre angélisme de façade nous incitent à ne pas en considérer les effets dans l’avenir.

Cours de français à l'association Pierre-Claver Hannah ASSOULINE
Cours de français à l’association Pierre-Claver
Hannah ASSOULINE

Avant de parler des réfugiés, parlons des déboutés qui restent.

Ayyam Sureau: C’est un autre problème. L’intitulé de la loi «  asile et immigration  » m’a mise très en colère parce que le «  et  » consacre toutes les confusions possibles. Le devoir de donner asile, inscrit dans la Constitution, est l’une des choses les plus honorables en France, comme en Europe. Elle consacre le commandement d’ouvrir sa maison au frère opprimé, lequel suppose avant tout que votre maison soit suffisamment bien tenue pour que vous en soyez toujours capable. Maintenant, si on considère que quiconque souhaiterait vivre en Europe peut bénéficier du droit d’asile, on en détruit le fondement et la spécificité, en subordonnant une obligation internationale aux variables économiques et politiques qui légitimement régulent l’immigration au sein d’un pays souverain. Ce miroitement dans notre conception du droit d’asile nous rend incapables de traiter le problème des déboutés qui restent. Après tout, pourquoi ne resteraient-ils pas, en effet ? Seule une application juste du droit d’asile nous permettrait de renvoyer sans état d’âme ceux qui cherchent à abuser d’un droit sacré.

En effet, une partie de la population française, probablement majoritaire, est désormais réticente vis-à-vis de toute immigration.

Ayyam Sureau: Je ne crois pas qu’il y ait en France une population qui accepte d’accueillir les immigrés de manière inconditionnelle et l’autre qui les rejette. Il y a en chacun de nous une tension naturelle entre le commandement moral d’accueillir et de protéger les personnes en danger et la responsabilité politique que nous avons vis-à-vis de notre avenir commun. Je suis moi-même en permanence partagée entre les deux et je tiens à le rester.

Ayyam Sureau et Montasser Idhhiba, chef de cuisine Hannah ASSOULINE
Ayyam Sureau et Montasser Idhhiba, chef de cuisine
Hannah ASSOULINE

Vous êtes une « spectatrice engagée », ditesvous selon la formule de Raymond Aron.

Ayyam Sureau: Les deux penseurs qui m’ont le plus marquée comme étudiante sont Jankélévitch et Aron. Tous deux considéraient l’action comme un prolongement de la pensée, le comble de l’honnêteté intellectuelle. Tous deux sont des réalistes, avec ce que cela suppose de contradictions et d’inquiétude.

L’association Pierre-Claver – que vous avez fondée en 2008 – promeut une forme d’intégration « à la dure ».

Ayyam Sureau: C’est une association qui s’efforce de rester réaliste. Notre idée est que, si l’État français accorde sa protection à des personnes, leur intégration harmonieuse au sein de la société est l’affaire de chacun. Nous cherchons à conjuguer ce double temps  : l’urgence d’accueillir et la patience d’intégrer. D’un côté, appliquer les yeux fermés le commandement d’ouvrir sa maison  ; de l’autre, garder les yeux ouverts sur l’avenir de la France. Cette association accueille donc deux publics : d’une part, les réfugiés que la France a décidé de protéger et, d’autre part, les Français qui estiment qu’il est de leur responsabilité de les aider à s’intégrer.

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Vous créez un petit choc des cultures ?

Ayyam Sureau: En tout cas, cette rencontre engendre souvent pour les deux parties une forme de déception. Les réfugiés arrivent en se disant : « Chic alors, on nous offre des cours de français gratos dans un lieu idyllique où le thé vert coule comme le lait et le miel. » Et que découvrent ils ? Un monde d’obligations. En somme, que quelque chose est aussi attendu d’eux. Finalement, ils se montrent plutôt contents de cette exigence de réciprocité qui est le contraire de la compassion. Nous avons toujours situé notre action dans un cadre d’échange entre adultes responsables, conscients d’être de futurs concitoyens.

Et pourquoi les Français sont-ils déçus ?

Ayyam Sureau: Parce qu’ils découvrent également que ces étrangers ne sont pas les pauvres chatons qu’ils imaginaient pouvoir aider, mais des hommes et des femmes comme eux, avec des vices et des vertus, porteurs de préjugés comme eux, habitués à des pratiques sociales différentes, pas toujours agréables. On les prévenait : « Il faudra dire ce que vous n’aimez pas, ce à quoi vous tenez. Il faudra dire  : “Je tiens à la laïcité, je tiens à l’égalité des hommes et des femmes, je déteste l’antisémitisme !” Vous devez le dire, et ce n’est pas facile… » Les volontaires qui étaient venus tout feu tout flamme accueillir, prêts à se laisser fasciner passivement par la merveilleuse diversité des cultures, se sont rendu compte que celles-ci étaient pour une large partie incompatibles avec la leur, et qu’il leur revenait d’incarner eux-mêmes, dans leur discours, leurs pratiques, leur comportement et leurs réactions, l’exigence de la France. Le projet consiste à chercher un terrain d’entente. Au fil des années, nous continuons à déterminer ce qui est inadmissible et ce qui est précieux pour nous et que nous défendrons sans faiblesse. Ce qui est propre à Pierre-Claver est, je crois, la sincérité du rapport entre Français et étrangers.

« Qu’on ne vienne pas m’emmerder avec la différence des cultures »

Donc vous les accueillez dans un pays qui existe et qui ne va pas se saborder pour les mettre à l’aise.

Ayyam Sureau: Nous ne feignons pas d’oublier que les demandeurs d’asile ont « demandé » l’asile. Et nous ne feignons pas d’ignorer qu’ils vivront définitivement avec nous, et leurs enfants avec les nôtres. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de l’asile qui pourrait être temporaire, auquel cas il ne serait pas nécessaire d’intégrer des personnes de passage. La citoyenneté est accordée aux réfugiés après cinq années seulement de séjour en France. Cela change considérablement les choses.

Que leur dit-on à Pierre-Claver au sujet de la citoyenneté ? On leur rappelle que ces lois qui les ont attirés chez nous, qui assurent la paix entre les religions, qui régissent les relations justes entre les personnes, sont le fruit d’une histoire extrêmement violente. Que la laïcité, par exemple, est le pis-aller que nous nous sommes imposé au terme de siècles de combats et de souffrance et que ne pas la respecter équivaut à pisser dans nos cimetières. Mais on leur dit aussi que l’expression la plus simple de la laïcité, son expression maximale, c’est celle de l’amitié et de la courtoisie. À Pierre-Claver, nous n’admettons absolument pas les rigidités religieuses qui empêchent un homme de serrer la main d’une femme. Simplement parce que c’est un défaut d’amitié. Je ne connais personne sur cette terre, quelle que soit sa culture, qui ne soit pas blessé par le refus d’une main tendue. Qu’on ne vienne pas m’emmerder avec la différence des cultures. Cela s’applique au paiement de l’impôt et aux obligations civiques. Il règne en Europe une amitié primordiale entre les hommes, c’est le socle même de nos démocraties, ce sans quoi elle ne serait que des dispositifs politiques vides de sens.

Sur les milliers de réfugiés passés par votre association, certains sont devenus français. Savons-nous encore fabriquer des Français ?

Ayyam Sureau: Encore faut-il fabriquer un sentiment d’appartenance qui fait fi des origines. Pour beaucoup, nous y parvenons. Ce qui me peine parfois, c’est d’avoir à ramer à contre-courant de l’esprit du temps. Nous disons à nos élèves réfugiés – nous pourrions le dire aussi à nombre de Français – que pour compter comme un citoyen coresponsable de l’avenir de ce pays, il faut en connaître l’histoire, partager ses doutes, ses remords et ses aspirations, baigner dans sa littérature et, qui sait, peut-être un jour, l’enrichir de sources nouvelles. Nos cours d’introduction sur l’histoire des femmes, la laïcité, l’antisémitisme, les orientations sexuelles ne sont pas une occasion de propagande républicaine, mais une invitation à prendre part à nos efforts. Et puis, il s’agit d’être heureux avec les Français, de comprendre les blagues qu’ils racontent, connaître les films qui font référence, savoir faire une vinaigrette, trouver l’équilibre entre galanterie et camaraderie… Nous sommes une tribu, nous aussi, avec des pratiques absurdes.

Connaissez-vous des échecs et à quoi tiennent-ils ?

Ayyam Sureau: Une réponse abrupte  : au regroupement familial. Nous voyons bien des jeunes hommes peiner durant des années à s’intégrer dans notre pays et, soudain, à l’arrivée d’une épouse, souvent une cousine germaine, ils disparaissent, rattrapés par la puissance familiale. Aucun effort réel ne sera fait visà-vis de cette femme, dont nous savons cependant qu’elle assurera l’éducation des enfants. Jetons vite un voile de fumée respectueuse sur ses conditions d’existence en France, sur son absence d’autonomie, sur la validité au regard de la loi française de ces mariages arrangés, sur le consentement de cette jeune femme arrachée à son pays et à sa famille tandis que son mari, lui, a choisi de les quitter. La grande majorité des épouses arrivées par regroupement familial ne parlent pas français, ne savent pas lire et n’auront jamais les moyens de faire partie du tissu social français. Mères de Français, épouses de réfugiés devenus français, curieusement, elles ne deviendront pas françaises. Le succès de l’intégration des réfugiés sera un jour mesuré à l’aune de leurs enfants. Peut-être faudrait-il considérer avec un peu plus de sérieux l’insertion des familles dans leur totalité.

Pierre-Claver est un formidable laboratoire. La France est-elle capable de faire le même effort pour ceux qu’elle accueille ?

Ayyam Sureau: Si par la « France », vous entendez les Français, oui, ils en sont parfaitement capables. Pour beaucoup d’entre eux, ils sont désireux de le faire. L’État peut déterminer les normes, inciter, autoriser, interdire… Ce sont les Français qui seront, en fin de compte, amenés à vivre et à faire vivre la France avec les étrangers venus les rejoindre.

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Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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