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Julien Aubert (LR): «Le libre-échangisme a laminé les classes populaires»

Entretien avec le député du Vaucluse, candidat à la Présidence de LR


Julien Aubert (LR): «Le libre-échangisme a laminé les classes populaires»
Julien Aubert à l'Assemblée nationale, en mai 2019 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00906654_000050

Avec sa ligne gaulliste, Julien Aubert se présente comme le plus à droite des trois candidats à la Présidence des Républicains. Élu, il entend mettre fin aux divergences de ligne. Le bureau politique deviendrait alors le reflet de la ligne majoritaire et non plus celui de la diversité idéologique du parti. Quitte à voir certains pontes s’éloigner… Vote le 12 octobre.


 

Daoud Boughezala et Martin Pimentel. Le 14 août dernier, le quotidien Le Parisien Aujourd’hui en France vous affiche en Une avec vos concurrents MM. Larrivé et Jacob. Titre du journal : “LR, une élection sans ambition.” Selon vous, y a-t-il un véritable enjeu dans cette élection?

Julien Aubert. Oui ! Depuis près de sept ans, ce parti a refusé de faire son inventaire, sa mue, ses métamorphoses. Il refuse de changer ses pratiques et de s’interroger sur lui-même. Il y a pourtant un enjeu central : est-ce que l’on continue comme d’habitude, ou souhaite-t-on un sursaut ?

Le rabougrissement constaté dans votre parti a abouti à ce fameux 8% aux européennes. N’est-ce pas lié au rétrécissement de la ligne, engagé par Laurent Wauquiez, et dont le symbole a été François-Xavier Bellamy et sa déroute aux élections?

Je pense que c’est plus complexe. Il y a certes un effet général, un raidissement. On devient très dur et il y a un caractère presque obsessionnel sur certains sujets à l’extérieur du parti. Mais en même temps, il y a un décalage dans la manière de vivre notre mouvement. Dans notre ADN hérité de l’UMP, nous avons un rassemblement de toutes les tendances.

Je veux mettre fin à l’auberge espagnole chez LR! Je ne suis pas du tout social-démocrate

C’est ce qui pose problème: vous tenez un discours qui est très net, et en même temps dans la pratique, le mouvement continue à vivre comme s’il y avait un autre Président ou comme s’il y avait n’importe quel discours politique par-dessus. 

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Cette fracture se retrouve dans les différentes candidatures, non ? Nous avons d’un côté M. Larrivé et vous-même, avec des lignes assez proches: M. Larrivé proposait la suppression de la Commission européenne il y a quelques années, et d’être ferme sur l’immigration ou d’inscrire le refus de la GPA dans la Constitution. De l’autre côté, Christian Jacob a une ligne beaucoup plus consensuelle pour préserver le statu quo à l’UMP.

Il y a deux types de clivages. Avec Guillaume Larrivé, nous avons l’approche commune de vouloir renouveler par les idées. Nous sommes conservateurs tous les deux. Mais nos lignes sont moins proches que vous semblez le penser ! Guillaume Larrivé est plutôt un giscardo-sarkozyste. Il ne remet pas en cause le logiciel économique que nous avons depuis trente ans. Il est assez orthodoxe de ce point de vue là. Deuxièmement, sur l’Europe, il refuse de franchir le rubicon juridique. S’il fait le constat de perte de souveraineté et d’efficacité, il ne va pas jusqu’à en tirer les conséquences nécessaires sur le fonctionnement de l’Union européenne. Je suis plus audacieux que lui sur le plan juridique. Et sur le plan de l’économie, contrairement à lui, je ne pense pas qu’on peut avoir aujourd’hui les mêmes idées que dans les années 80.

La souveraineté ne veut pas forcément dire, comme le veut Florian Philippot, qu’il faille sortir de l’euro ou un Frexit

Avec Christian Jacob, nous avons un clivage sur la méthode! Il pense qu’il faut rester fidèle au fameux ADN de l’UMP, c’est à dire l’union de la droite et du centre… Guillaume Larrivé n’est pas précis là-dessus. Moi je dis que nous ne devons pas être un parti de droite et du centre, mais un parti de droite. Par conséquent, la ligne majoritaire que je souhaite doit incarner cette réorganisation. Je veux en quelque sorte mettre fin au concept de l’UMP, cette auberge espagnole de différents courants de pensée !

A vous écouter, on a l’impression que vous voulez revenir au RPR des origines (discours d’Egletons, appel de Cochin, campagne de Seguin contre Maastricht)… Aujourd’hui que la France est embarquée dans la mondialisation, ses contraintes et sa zone euro, cette idée d’une volonté d’un travaillisme à la française n’est-elle pas obsolète ?

Je récuse cette idée de travaillisme à la française. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Cela correspondrait au Labour britannique ? Bref, ce sont les sociaux-démocrates… Je ne suis pas du tout social-démocrate. Je m’inscris effectivement dans la ligne gaulliste séguino-pasquaienne. 

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Si l’on considère que la France ne peut plus avoir les moyens d’une politique indépendante dans la mondialisation, il faut abolir la démocratie. On reviendrait dans les années 90, à dire qu’il n’y a qu’une seule politique possible, la même que l’on mène d’ailleurs depuis trente ans et qui nous a conduit au résultat où nous en sommes rendus aujourd’hui. Je dis que Séguin et Pasqua avaient raison dans les années 90. Notamment sur l’euro, qui est une monnaie qui était effectivement mal configurée. Cette monnaie est assez fragile, elle a régressé. Loin de concurrencer le dollar, elle est incapable aujourd’hui de nous protéger de la prédation économique pratiquée par les Américains. Avec leur dollar et leurs sanctions extra-territoriales, ils n’hésitent pas à nous attaquer. Il y a un vrai sujet de souveraineté. Après, on peut faire l’autruche en disant “on a mal construit le mur, mais il faut le tenir comme il est”. Ou alors prendre le taureau par les cornes et mettre le sujet sur la table.

La souveraineté ne veut pas forcément dire, comme le veut Florian Philippot, qu’il faille sortir de l’euro ou un Frexit. Cela provoquerait une crise encore plus grande. Mais il faut réfléchir à une refonte de façon beaucoup plus courageuse.

Ce discours souverainiste est repris au sein de l’Union européenne. A l’étranger, que ce soit Orban, Salvini ou le gouvernement autrichien tombé récemment, des gens que l’on qualifie facilement de “populistes” mettent en place certaines actions. Vous reconnaissez-vous dans ces gens largement diabolisés en France?

Quand on veut noyer son chien, on lui accole de nos jours de préférence un adjectif qui se termine en “iste” : populiste, souverainiste… Je n’ai jamais compris ce que les gens craignaient dans le terme de souveraineté. C’est l’indépendance et la maîtrise de son destin. Mon idée n’est pas que la France soit le Québec de l’Union européenne, ni de « démondialiser ». Mais je ne veux pas que l’on devienne une colonie numérique des Etats-Unis (je pense à Facebook) ni être dépendant de Gazprom concernant l’approvisionnement gazier de l’Europe. Dans ce sens là, oui, je suis souverainiste ! S’il s’agit en revanche de fermer les frontières comme le souhaite Marine Le Pen, non je ne le suis pas. 

Dans les gouvernements diabolisés que vous avez cités, il y a aussi des choses qui n’ont rien à voir avec la souveraineté… C’est un mouvement général. Par rapport à trente années d’ouverture économique qui ont fait beaucoup de mal aux classes moyennes, il y a un phénomène de déstabilisation démocratique qui est en train de se produire dans un grand nombre de pays occidentaux. Les travailleurs ont été lésés par la concurrence internationale. En réaction, une forme d’autoritarisme émerge. Et dans les pays non-occidentaux, on observe la montée de l’islamisme. 

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Pour un gaulliste, l’enjeu n’est pas de verser dans le populisme ou l’autoritarisme, mais d’expliquer aux classes moyennes que la déliquescence et la désindustrialisation de l’économie française viennent d’une mauvaise politique économique dont on peut changer. On ne peut pas dire qu’on défend les classes moyennes et laisser l’industrie disparaître sous nos yeux.

Laurent Wauquiez a été très critiqué sur ses atermoiements vis-à-vis des gilets jaunes. On a eu l’impression générale que la droite LR était écartelée entre la volonté de défendre l’ordre et en même temps la volonté de défendre les classes moyennes déclassées en révolte. Quel message leur adressez-vous ? Qu’est ce que vous pourriez faire pour la France périphérique si LR revenait aux responsabilités ?

Il faut défendre les gilets jaunes, mais pas la rébellion contre l’ordre, voilà la distinction qu’il faut faire. Les gilets jaunes n’arrivent plus à vivre de leur travail, car le travail ne paie plus. Là est le vrai problème. Il y a deux axes sur lesquels la droite doit travailler. Premièrement, la justice sociale. Aujourd’hui, le mécanisme d’indemnisation de l’inactivité est tellement confortable qu’on a des gens qui ne travaillent pas qui se retrouvent avec plus de pouvoir d’achat [que des gens qui travaillent NDLR]. Il faut établir la République des droits et des devoirs. Deuxièmement, on a organisé structurellement la liberté des capitaux – ce qui n’est pas propre à la France, bien sûr – qui fait que la rémunération du capital est partie en flèche alors que la rémunération du travail a stagné. Dans le même temps, l’immobilier est un terrible effet ciseau, qui pèse de plus en plus lourd dans le panier des ménages. Vous ne pouvez pas suivre car votre salaire ne prendra jamais 200% comme l’immobilier en dix ans. La droite, si elle veut défendre son projet d’accès des gens à la propriété, doit trouver un moyen d’augmenter la rémunération des salariés si elle ne veut pas se condamner à avoir une France de HLM ou de locataires. Je veux renouer avec l’une des grandes idées du Général de Gaulle, à savoir la participation. C’est à dire développer une société capitaliste où les salariés deviennent actionnaires de leur entreprise. Il faut que les dividendes données aux salariés deviennent beaucoup plus conséquents que les revenus du capital. 

Vous parlez du travail. A la rentrée, une nécessaire réforme sur les retraites est prévue. Comment le Président Macron et le gouvernement doivent-ils l’aborder ?

Ils ont l’ambition de faire une réforme globale. En soi, c’est assez sain, mais il ne faut pas que cela se noie dans la concertation généralisée. A un moment donné, il faudra bien trancher, notamment sur l’allongement de la durée de travail. 

Le point central dans cette réforme, c’est la justice. La plupart des actuels retraités ne sont pas concernés par la réforme. Vous avez des gens qui ont des droits acquis. Il faut éviter que ceux qui seront concernés par la réforme se retrouvent avec de graves injustices du fait de la modification des règles en cours de leur vie. Tout le monde anticipe, fait des plans et souhaite avoir une retraite convenable. Il ne faut pas que la réforme se traduise à tout niveau de la société par des écarts trop grands. Il faut rentrer dans le détail, c’est très compliqué et je ne pense pas que la concertation le permette. La clé de la réforme des retraites sera le séquençage. On ne peut pas faire cette retraite comme on a réformé l’impôt sur le revenu, en disant que l’on bascule du jour au lendemain. 

Quelqu’un comme Valérie Pécresse serait peut-être plus à l’aise dans un parti qui serait le frère du mien et qui aurait sa propre ligne, mais qui resterait dans une même confédération

Il va falloir au-delà du séquençage temporel annoncé proposer un séquençage sectoriel. Les gens veulent savoir : “qu’est ce que cela va changer pour moi?” Il faudrait s’astreindre, tous les ans, à envoyer à tous les Français un relevé de leur situation au regard des règles actuelles, et indiquer ce que cela donnera une fois la réforme appliquée. 

Votre parti est encore sonné par le départ de Laurent Wauquiez. Si vous décrochez le grand rôle que vous espérez, comment entendez-vous relancer une dynamique en son sein ? 

D’abord, il y a la réforme des statuts. Je veux créer un référendum d’initiative militants, pour permettre à la base d’imposer les sujets au plan national. Ensuite, il faut réformer les instances dirigeantes. La commission nationale d’investiture sera composée de membres permanents et de membres tournants, issus du territoire faisant l’objet de la décision de la procédure d’investiture votée. Deuxièmement, le bureau politique sera beaucoup plus restreint, de manière à être beaucoup plus décisionnel. Troisièmement, l’équipe dirigeante ne sera pas le reflet de la diversité idéologique des Républicains mais le reflet de la ligne majoritaire. Et puis quatrièmement, le conseil national tranchera sur quatre grandes lignes de clivage, ce qui permettra à ceux qui ne sont pas d’accord avec la ligne majoritaire de se diriger vers un autre modèle, qui ne soit donc pas un parti unique. 

Parlons des personnes. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse pourraient-ils revenir dans un parti dirigé par vous ? 

Nous avons la possibilité de continuer de faire vivre notre richesse interne, à condition d’être tolérant et bienveillant sur les opinions des autres. Mais cette richesse ne doit plus se retourner contre nous. Il ne faut pas qu’un même mouvement puisse dire une chose et son contraire. Voilà pourquoi j’évoquais à votre question précédente la possibilité de deux partis frères, qui auraient des lignes beaucoup plus claires. Quelqu’un comme Valérie Pécresse serait peut être plus à l’aise dans un parti qui serait le frère du mien et qui aurait sa propre ligne, mais qui resterait dans une même confédération avec un Président unique. Ensuite, il y a le sujet des primaires. Je pense qu’il faut mettre fin à la primaire ouverte. Il faut de plus avoir la certitude que le scrutin sera honnête, qu’il n’y ait pas de tricherie. Les Républicains doivent en quelque sorte apprendre la démocratie. Quand je vois que certains voulaient un seul candidat pour cette élection interne ou que certains qui se prétendaient neutres ne le sont pas vraiment, je me dis que nous avons encore des progrès à faire. Brice Hortefeux, par exemple, comme beaucoup d’autres gens, avait demandé à Guillaume Larrivé et à moi-même de nous retirer. Avant même nos candidatures, d’autres disaient qu’il ne fallait qu’un seul candidat… Cette idée qu’on est mieux en étant uni dès le départ est un fausse bonne idée. En réalité, on confond l’unité et le rassemblement. Certains sont pour l’union coûte que coûte ? Regardez le résultat aux élections européennes, il y avait une union et ce n’est pas pour autant que l’on a gagné ! 

Guillaumé Larrivé s’est abstenu sur la loi Avia, j’ai voté contre, estimant qu’elle est liberticide (…) Christian Jacob est un néo-gaulliste, un chiraquien

Je crois au rassemblement dans la clarté : vous avez une ligne et ensuite, autour de cette ligne, on se rassemble. Et il ne s’agit pas de faire une “synthèse” à la façon du Parti Socialiste. Je défends une ligne très claire. Guillaume Larrivé est un giscardo-sarkozyste et Christian Jacob est un chiraco-sarkozyste. Nous nous référons à des personnalités différentes et à des lignes différentes qui par le passé se sont déjà affrontées. Je maintiens pour ma part que si demain les militants font le choix d’une ligne gaulliste, ce sera une ligne de rassemblement.

Reparlons une dernière fois de vos deux concurrents… Guillaume Larrivé se présente volontiers comme libéral économiquement et conservateur sur le plan sociétal. Il a certes le même âge que vous, mais n’êtes-vous pas en revanche plus proche de Jacob que de lui idéologiquement, finalement?

A vrai dire, c’est difficile de vous répondre. Christian Jacob ne fonctionne pas en termes d’idéologies. C’est ce qu’on appelle un néo-gaulliste, un chiraquien. Christian Jacob, ce n’est pas un choix idéologique, c’est le choix de la multiplicité et de la diversité. Derrière lui, vous trouverez Eric Ciotti et Christian Estrosi [qui s’affrontent dans le pays niçois NDLR], Martine Vassal et Bruno Gilles [qui s’opposent à Marseille NDLR], Aurélien Pradié et Fabien Di Filippo qui s’opposent sur la PMA… Bref, vous avez tout ce que je regrette. Je ne critique pas tous ces gens qui sont par ailleurs mes amis, mais cette absence de clarté. Il vaut mieux trancher avant, car il faudra bien trancher après. Moi sur la PMA, j’ai donné mon opinion qui est conservatrice. Sur le libéralisme, Guillaumé Larrivé s’est abstenu sur la loi Avia, moi j’ai voté contre, estimant qu’elle est liberticide. Et en même temps, j’ai voté contre la privatisation d’Aéroports de Paris, alors que lui était plutôt pour. 

Je suis libéral, certes, mais je veux aussi que la campagne réponde à cette question : être libéral veut-il toujours dire être néolibéral ? Je dis moi que le libre-échangisme a provoqué une problème de compétitivité, de balance commerciale et laminé les classes populaires. Si la droite veut renouer avec ces classes populaires, elle doit changer de logiciel économique et sur les frontières et sur le rôle de l’Etat.



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