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Islamophobie: une arme de propagande massive

Entretien avec Philippe d'Iribarne


Islamophobie: une arme de propagande massive
Philippe d'Iribarne est Directeur de recherches au CNRS © Hermance Triay / Opale / Leemage

Le sociologue Philippe d’Iribarne décape la notion d’« islamophobie ». Véhiculée par des groupes fondamentalistes, cette imposture idéologique a pour but de diviser nos sociétés en les accusant de racisme. Or, les Français craignent l’islamiste, pas le musulman.


Causeur. Le mot « islamophobie » semble être entré dans le langage courant, il figure dans le dictionnaire depuis 2005. Quand et comment ce terme a-t-il surgi dans l’espace du discours intellectuel et politique occidental ?

Philippe d’Iribarne. Le discours de l’islamophobie a pris son essor lors la conférence de Durban contre le racisme organisée par l’ONU en 2001, laquelle a été un haut lieu de manipulation idéologique. Ce discours vise à faire croire que l’Occident rejette globalement et aveuglément l’islam et les musulmans. Tout regard critique porté sur quelque trait que ce soit de ce monde, aussi problématique que ce trait puisse être, tel le statut des femmes ou le déficit démocratique, est immédiatement accusé de n’être qu’un pur symptôme du rejet global de l’islam. Le « musulman », en tant que tel, est présenté comme victime d’un Occident hanté par un refus xénophobe et raciste de l’« autre ».

Comment expliquez-vous la persistance dans l’intelligentsia française du hiatus entre un islam-spiritualité qu’on accepte, voire qu’on célèbre, et un islam-ordre social qu’on minore systématiquement ?

L’existence de ces deux dimensions de l’islam est au cœur de nos difficultés. L’ordre social dont l’islam est porteur refuse à la fois la liberté, comme celle pour un musulman de se convertir à une autre religion ou pour une musulmane d’épouser un non-musulman, et l’égalité entre hommes et femmes, spécialement dans le droit de la famille. Cet ordre social est clairement incompatible avec les valeurs cardinales de l’Occident. Si l’on se pose en défenseur de l’islam, il est donc vital de détourner les yeux de tout ce qui s’y rapporte. Un moyen privilégié de ce faire est de focaliser l’attention sur la dimension spirituelle de l’islam. Célébrer avec enthousiasme ce qui relève de cette dimension est un bon moyen d’assurer une telle focalisation.

De l’affaire Salman Rushdie aux attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, être désigné à la vindicte comme islamophobe suscite l’effroi. Cette intimidation par la terreur a-t-elle atteint ses objectifs ?

Cette intimidation opère à coup sûr. Il est impressionnant de rencontrer des personnes qui vivent sous protection policière du fait des menaces islamiques. Il y a aussi l’intimidation par crainte de procès. Quand on écrit sur un sujet lié à l’islam, on a intérêt à se faire relire par un bon avocat. Mais la résistance n’est pas morte. Pour ma part on me dit parfois que je prends des risques avec ce livre mais, face à l’ampleur du mensonge, on ne peut se taire.

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Vous analysez longuement ce mensonge en observant l’écart entre la doxa sur l’islamophobie ambiante et les faits tels que les enquêtes les dévoilent. Prenons l’exemple des discriminations à l’emploi. Porter un nom musulman n’est-il pas préjudiciable ?

Selon la doxa, les musulmans, ou présumés tels, spécialement du fait de leur prénom, sont discriminés en tant que tels par des employeurs aveugles à ce que chacun peut apporter du fait de ses qualités propres de travailleur. Les enquêtes montrent une réalité bien différente. Ce qui est craint par les employeurs n’est pas l’islam en soi, indépendamment de la manière dont il est pratiqué. C’est un islamisme militant qui est craint du fait qu’il risque d’être source de troubles dans l’entreprise, en particulier si un homme refuse d’être soumis à l’autorité d’une femme ; des manifestations exacerbées d’un honneur méditerranéen sont craintes également. Dès que des éléments du curriculum vitae conduisent à écarter ces craintes, par exemple, concernant celle d’avoir affaire à un islamiste militant, du fait que le CV mentionne une activité chez des scouts laïcs, les employeurs ne font plus de distinction entre musulmans et non-musulmans. Une expérience menée avec des CV « anonymes » a même montré que le fait d’avoir un patronyme qui suggère à l’employeur potentiel qu’il a affaire à un musulman est de nature à susciter son indulgence à l’égard d’éléments défavorables du CV, telle une orthographe approximative.

Vous évoquez une « cape d’invisibilité » pour désigner les aspects socioculturels islamiques incompatibles avec les mœurs et les principes occidentaux. Qu’entendez-vous par là ?

Chaque fois qu’on a affaire à un trait de l’ordre social islamique inacceptable pour le monde occidental, les tenants du discours de l’islamophobie le mettent à l’abri de toute critique, voire retournent l’opprobre contre ceux qui le dénoncent en les accusant de « blâmer la victime  ». Cela est fait avec talent. Les aspects du monde musulman les plus évidemment incompatibles avec les valeurs occidentales, telle l’absence de liberté de conscience dans les pays musulmans, sont professés « n’avoir rien à voir avec l’islam » ; le fait qu’ils marquent l’ensemble de ces pays relèverait d’un pur hasard. Les textes de la tradition islamique sont cités de manière tronquée, en censurant des passages vengeurs, de manière à présenter l’islam comme une « religion de paix ». Le respect de la « religion » est mis en avant pour défendre l’emprise d’un ordre social et stigmatiser ceux qui s’opposent à cette emprise.

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Comment les militants de la lutte contre l’islamophobie fabriquent-ils les preuves de ce qu’ils dénoncent ?

Ceux qui accusent l’Occident d’islamophobie prétendent effectivement détenir des preuves fournies par nombre d’études produites par des institutions officielles, nationales ou internationales. En France, la CNCDH – Commission nationale consultative des droits de l’homme – est en pointe en la matière. En fait, toutes ces études reposent sur un même postulat : on aurait affaire à des réactions négatives à l’égard du monde musulman pris en bloc. Mais un regard attentif montre que les données mêmes sur lesquelles ces études reposent sont incompatibles avec ce postulat : on a affaire en fait à des réactions très sensibles à la diversité des aspects de l’islam et à la diversité des manières d’être des musulmans présumés. Mais en se contentant d’élaborer des indicateurs de réactions supposées globales, les études passent cela sous silence et, de fait, le masquent. De plus, pour étayer la représentation des musulmans comme pures victimes, elles fournissent des interprétations tendancieuses des questions portant sur leurs réactions à l’égard des sociétés d’accueil, ce qui conduit à présenter ces réactions comme beaucoup plus positives qu’elles ne le sont.

Rassemblement contre la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l'école, dote loi Stasi, Toulouse, 2 avril 2011. Photo : AFP PHOTO / REMY GABALDA
Rassemblement contre la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école, dote loi Stasi, Toulouse, 2 avril 2011.
Photo : AFP PHOTO / REMY GABALDA

Les islamistes ont surfé jusqu’à présent sur une combinaison d’inconscience et de pusillanimité.

 

En quoi la question de la tenue islamique est-elle au cœur du discours dénonçant une « islamophobie d’État » ? 

Cette question tient une place centrale dans les revendications du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), comme dans les critiques faites à la France par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, critiques savoureuses quand on sait la place que les représentants de pays qui n’ont cure de ces droits tiennent dans ce comité. Les enjeux sont considérables. On sait l’importance que l’État islamique attache à cette tenue, et la place que tient son rejet dans les pays musulmans de la part des mouvements inspirés par les idéaux de liberté et d’égalité. Les débats le concernant sont d’autant plus virulents que deux regards s’opposent. Le discours de l’islamophobie présente cette tenue comme relevant d’une démarche spirituelle et cette qualification est largement admise par notre justice. Mais la majorité du corps social n’est pas dupe. Elle perçoit bien que le voile islamique joue un rôle stratégique dans l’emprise d’un ordre social. Les femmes qui la portent contribuent à faire de cette tenue une norme sociale. Les unes s’inscrivent dans une perspective militante de création d’une contre-société islamique, quand d’autres subissent les pressions de leur environnement et d’autres encore sont victimes de prêcheurs habiles qui leur font croire que c’est pour elles la seule manière de se montrer « pudiques ». Ces femmes contribuent ainsi à rendre difficile  la vie de celles qui résistent à cette norme, à l’instar de nombreuses femmes des pays musulmans, tel l’Iran, qui vont jusqu’à risquer la prison quand elles se rebellent. En fait, avec la tenue islamique, il n’est pas trop difficile de voir qu’on a bien affaire à l’expression d’un ordre social. Il suffit de constater que, dans l’islam, tant que l’on est dans le registre spirituel porté par les cinq piliers de l’islam (la profession de foi, la prière, le jeûne, le pèlerinage, l’aumône), il y a une stricte identité des devoirs des hommes et des femmes, des « croyants » et des « croyantes ». C’est seulement dans le registre social, héritage, témoignage, mariage… et tenue, que les différences entre hommes et femmes sont considérables. En outre, le registre spirituel est marqué par une grande homogénéité du monde musulman, ce qui est loin d’être le cas dans le registre social.

Les Frères musulmans utilisent l’accusation d’islamophobie pour maintenir les musulmans occidentaux dans l’enfermement de l’oumma afin de former une contre-société islamique. Ceux qui veulent être des Français musulmans plutôt que des musulmans en France ont-ils encore des raisons d’espérer ? 

Rien n’est perdu. Les islamistes et leurs compagnons de route ont surfé jusqu’à présent sur une combinaison d’inconscience et de pusillanimité de la part des autorités et de la société civile. Les actes de résistance, telle la loi visant à interdire le voile à l’école, qui a été déguisée en refus global des signes religieux, ont été rares. Les appels à une prise de conscience se sont largement heurtés à un refus de voir et d’entendre. Mais le vent paraît tourner. Les propos du président de la République concernant l’emprise d’un islam politique et les menaces de sécession islamique, lors de sa dernière conférence de presse, n’ont rien eu de complaisant. Reste à agir. Un point crucial est de tracer précisément la frontière entre d’un côté ce qui, dans l’islam, est proprement religieux, relève du respect de la liberté de conscience et avec lequel l’État n’a pas à interférer, et de l’autre ce qui relève d’un ordre social et politique, ennemi des valeurs de liberté et d’égalité, contre lequel l’État a le devoir de lutter. Les musulmans attachés aux valeurs de l’Occident et qui se trouvent voués aux gémonies – traités de mauvais musulmans, voire d’apostats par ceux qui travaillent à la construction d’une contre-société islamique – ont besoin eux aussi de cette clarification pour ne pas se laisser impressionner par l’injonction à rejeter l’Occident. Ils ont spécialement besoin de mieux voir que s’attacher au cœur spirituel de l’islam est compatible avec une pleine appartenance à l’Occident. C’est à eux tout autant qu’à ceux que l’islam inquiète que j’ai pensé en écrivant ce livre.

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Été 2019 - Causeur #70

Article extrait du Magazine Causeur



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est enseignante.

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