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Quand « Le Parisien » veut faire regretter le Brexit aux Anglais

Apparemment, "les Anglais s'en mordent les doigts"


Quand « Le Parisien » veut faire regretter le Brexit aux Anglais
Des manifestants anti-Brexit n'acceptent pas le verdict des urnes à Londres, octobre 2016. SIPA. SIPAUSA30160648_000004

La Une du Parisien d’hier veut absolument nous faire croire que « les Anglais se mordent les doigts » d’avoir voté pour le Brexit. Mais à l’intérieur du journal, la vérité est tout autre…


Hier, 26 juillet, Le Parisien nous a offert une analyse de qualité sur un sujet brûlant. Reportage inédit, point de vue innovant, observations inspirées : tout y était pour que le lecteur sorte édifié et grandi du dossier « Brexit, les Anglais s’en mordent les doigts », auxquelles sont consacrées la une et les pages 2 et 3 du quotidien.

Celui-ci a en effet décidé de mander un envoyé spécial à Londres et à Boston pour couvrir l’actualité de ces derniers jours, lesquels ont vu des événements et des conflits importants se produire dans le cadre des négociations sur le Brexit. Démission de David Davis et Boris Johnson, reprise en main des négociations par Theresa May, renouveau de l’idée d’un Brexit « no-deal » (sans accord avec l’Union européenne) : tout cela agite en effet beaucoup la presse et le monde politique britanniques, tout comme les technocrates bruxellois.

Mon Royaume pour douze anglais

Cependant, le journaliste et la rédaction du Parisien avaient décidé que ces informations ne valaient pas la peine d’être disséquées pour le public français, ou si peu. Non, ce qui est intéressant, c’est de savoir que, après avoir voté pour le Brexit, les Anglais – redisons-le – « s’en mordent les doigts ». Et cela nous est démontré par une série d’articles.

Se pose tout d’abord la question des Français installés outre-manche. L’article commence ainsi : « Les Anglais ont le blues, mais le Brexit va-t-il faire revenir les Bleus expatriés ? » Et au vu des réponses – ce qui a certainement surpris l’auteur – une partie d’entre eux est décidée à rester, et même à demander la nationalité britannique pour cela. Il ne manque pas cependant d’insister sur les start-uppers qui décident de rentrer, grâce à la « politique plus accommodante » – nous dit l’un d’entre eux – menée par Emmanuel Macron.

Sans doute déçu, le journaliste s’est ensuite baladé dans les rues de Londres et de Boston, et a tendu le micro à des personnes rencontrées au hasard dans la rue, méthode privilégiée pour « prendre la température » (expression consacrée) de ces deux villes. Et ainsi de titrer : « A Boston, le ‘‘Brexitland’’ en proie au doute », et « A Hackney [quartier londonien], les anti-Brexit résignés ». Douze personnes en tout ont été interrogées, ce qui ne constitue pas exactement une force collective gigantesque. Mais même sur la foi de ces douze personnes, on n’arrive toujours pas à comprendre en quoi « les Anglais s’en mordent les doigts ». Dans le reportage sur Boston, sur les cinq personnes interrogées ayant voté pour le Brexit, seules deux disent qu’elles hésiteraient si c’était à refaire, les autres sont catégoriques et pestent seulement contre l’indécision du gouvernement. Il semblerait que le journaliste n’ait pas réussi à en trouver d’autre pour illustrer son postulat ; c’est sans importance, celui-ci est quand même considéré comme validé. Ainsi, l’édito du dossier peut se conclure par ces mots : « Et les Britanniques s’inquiètent, réalisant peu à peu que ce vote était un saut dans le vide… sans parachute ». Le Royaume-Uni, comme chacun sait, va s’écraser au sol, ayant capricieusement quitté le vaisseau bienheureux de l’Union européenne.

Vous êtes bien sûrs que vous ne voulez pas d’un deuxième référendum ?

De plus, dans le reportage sur Hackney, où les personnes interrogées ont toutes voté contre la sortie de l’Union européenne, seule une se déclare favorable à un nouveau référendum. Nouvelle déception pour le journaliste du Parisien, qui sous-titre « Les électeurs anti-Brexit ont du mal à se ranger à l’idée d’un second référendum ». Tiens donc, les électeurs devaient ainsi « se ranger » à cette idée ? Etait-ce le commandement de la loi, du gouvernement, d’une autorité morale ? Non, seulement celui du Parisien. Car on perçoit l’espoir à peine voilé du journaliste à la fin de l’article principal. Après le seul sous-titre auquel il semble que celui-ci ait droit, « L’idée d’un deuxième référendum », on lit : « Depuis peu resurgit l’idée d’un deuxième référendum. […] Réponse ferme du 10 Downing Street qui a affirmé que cela n’arriverait ‘en aucune circonstance’. Mais prudence. ‘La situation n’a jamais été aussi volatile’, prévient Christian Lequesne ». La plus grande partie de la classe politique et des personnes interrogées est contre un nouveau référendum ? Qu’importe : Le Parisien en fait un sujet central de son papier. Et pour renforcer la vigueur du propos, le maquettiste n’a pas oublié de faire figurer, à cheval sur les deux pages du quotidien, une grande photo d’un militant anti-Brexit brandissant les drapeaux britannique et européen entremêlés et une pancarte où on lit : « Brexit : is it worth it ? » (c’est-à-dire : « Le Brexit : est-ce que ça en vaut la peine ? »).

Contrairement au Parisien, « les Anglais » veulent passer à autre chose

En réalité, ce qui ressort des courtes phrases des Anglais cités par ce reportage, c’est que presque tous, à la fois pro et anti-Brexit, veulent tout sauf remettre en question le vote de 2016. Ce qui est aujourd’hui problématique, c’est l’incertitude quant à la façon dont va se dérouler la sortie de l’Union européenne. Les Anglais n’ont qu’une envie : être fixés pour pouvoir passer à autre chose, et retourner à leurs propres affaires.

Pas de quoi s’étonner de cette tentative poussive du Parisien de présenter les résultats du référendum comme sujets à remise en question. Déjà, juste avant le vote de 2016, le quotidien mettait cette photo peu équivoque à la une :

La Une du "Parisien", 23 juin 2016.
La Une du « Parisien », 23 juin 2016.

Cette dérisoire velléité d’autopersuasion exprime, avec la même fraîcheur qu’il y a deux ans, la dissonance cognitive impossible à surmonter pour les européistes, les empêchant de croire à une « démocratie contre les traités européens ».



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