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#Metoo, la révolution antisexuelle

Le camp néoféministe a placé les relations sexuelles et amoureuses sous le signe de la peur


#Metoo, la révolution antisexuelle
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Avec #Metoo, le camp néoféministe nous fait vivre sous le double régime de la plainte et de la colère. Sacralisant la parole victimaire des femmes, ce mouvement sacrifie le mâle hétérosexuel blanc, pourtant depuis longtemps tombé de son piédestal. Hygiéniste, égalitariste et inquisiteur, le nouveau monde nous fait déjà regretter l’ancien.


Le métro est une jungle, on le sait depuis que la parole des femmes s’est libérée. (Jusqu’à la chute de Weinstein, les femmes se taisaient, on me l’a souvent reproché.) En mars, une campagne d’affichage montrait des femmes menacées par diverses bêtes féroces… dans les transports publics. « Voilà ce que nous vivons tous les jours », racontaient des jeunes filles aux innombrables micros qui se tendaient. Alors, nous ne sommes pas tous des bombasses de 25 ans et il est possible que certaines soient moins harcelées que d’autres… Mais en été, des bombasses, il y en a pas mal, de toutes origines et souvent court vêtues, qui trottinent dans nos villes. Elles n’ont pas l’air de réaliser qu’elles se baladent à Jurassic Park, mais peut-être les touristes sont-elles ignorantes de nos mœurs préhistoriques.

Le monde est une rame de métro

Justement, l’autre jour, sur la ligne 1, à Paris, j’étais assise sur un strapontin quand, à Nation, un spécimen (local) à longues jambes est entré, casque sur les oreilles, en tenue de sport, short, brassière et queue-de-cheval blonde et impeccable, seules quelques gouttes de sueur témoignant qu’elle venait de courir. Elle s’est plantée au milieu, accrochée au mat d’acier prévu à cet effet, parfaitement indifférente au monde qui l’entourait. Et comme, dans le métro, personne ne se pense observé (à raison en général), j’en ai profité pour mater. Pas la fille, les hommes autour. Il y en avait une quinzaine à portée de vue, de tous âges et origines. Pas un n’a levé le nez, même pour zyeuter en loucedé. Ceux qui n’avaient ni livre, ni journal, ni téléphone regardaient devant eux, croisant inévitablement le ventre bronzé de la fille. Rien, pas une lueur, pas un soupir pour la beauté se trouvant devant eux. Bienvenue dans le nouveau monde, ai-je pensé.

Une féministe acharnée peut jouir d’être un objet sexuel

On me dira que la rame suivante était certainement pleine de frotteurs, harceleurs et autres abuseurs. Et qu’il faudrait justement que la planète soit à l’image de ce métro : sure et asexuée. Sûre parce qu’asexuée. Il y a un point sur lequel les metooistes ont raison – d’ailleurs, on ne les avait pas attendus pour le savoir –, c’est que la sexualité est une affaire dangereuse : pas parce que tous les hommes sont des violeurs en puissance, parce qu’elle met en jeu des pulsions que nous ne savons pas bien contrôler, et dévoile nos ressorts intimes, ce qui fait qu’une féministe acharnée peut jouir d’être un objet sexuel. Mais il y avait jusque-là un consensus dans les sociétés humaines pour penser que le jeu en valait la chandelle et que les délices, autant que les tourments, valaient qu’on prît quelques risques. Il est vrai que la survie de l’espèce était en jeu. Quand nous aurons adopté la PMA-GPA pour toutes et tous, on pourra procréer sans avoir à croiser l’autre sexe, même pour un coup d’un soir. Quel soulagement. Et quel ennui.

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Il ne s’agit pas de regretter le temps où le corps des femmes était à la disposition des hommes, révolu depuis plusieurs décennies dans nos contrées – ce qui ne signifie pas, évidemment, qu’il n’en reste aucune séquelle ni qu’il ne se trouvera pas toujours des individus des deux sexes pour transgresser la règle selon laquelle mon corps m’appartient. La libération des femmes n’a pas commencé avec Sandra Muller, l’ineffable créatrice de Balance ton porc, traumatisée parce qu’un homme lui avait dit dans une soirée : « Tu as de gros seins, je vais te faire jouir toute la nuit. » (Promesse ou menace non suivie d’effet.) Pour Marcel Gauchet, ce ne sont pas les fracas de #metoo qui constituent la véritable révolution, mais « la fin de la domination masculine », bouleversement initié avant que les victimes de Weinstein ne songent à faire du cinéma : « Dans le monde occidental, la page est tournée, écrit-il. Cela ne veut pas dire que l’égalité s’est miraculeusement imposée sans partage. Cela veut dire que l’inégalité n’a plus le moindre ancrage légitime, ce qui libère la place pour le travail, toujours difficile, de l’égalité. »[tooltips content= »Marcel Gauchet, « La fin de la domination masculine », Le Débat, n° 200, mai-août 2018. »]1[/tooltips]  Et, alors qu’on nous décrit des vieux (c’est-à-dire quinquas et plus) mâles blancs accrochés à leurs privilèges, Gauchet ajoute que la perte de leur pouvoir a au contraire été accueillie « sans déplaisir par le plus grand nombre des intéressés » : « Jamais dominants ne se seront accommodés avec autant d’aisance de l’abandon de leurs prérogatives. » Il faut croire que, la domination, ce n’était pas non plus marrant pour les hommes.

Un tableau complètement délirant des relations entre les sexes

Au lieu de nous réjouir des immenses progrès accomplis, nous vivons depuis plus d’un an sous le double régime de la plainte et de la colère. Il faut donc s’interroger sur les desseins cachés et sans doute largement inconscients de la croisade féministe actuelle. Le camp #metoo détient l’arme absolue, la parole victimaire sacralisée – qu’il est donc proprement sacrilège de mettre en doute. Ainsi a-t-il réussi à installer dans les médias et dans pas mal d’esprits, notamment jeunes, un tableau complètement délirant des relations entre les sexes en France. Dans ce récit, les porcs ne sont plus l’exception, mais la règle, et la vie des femmes est un enfer, dans tous les milieux, de la chambre à coucher au boulot, de la maternité à la retraite. Pour découvrir ce monde fantasmatique, on peut s’infliger sur YouTube la vidéo d’un « Concours d’éloquence » contre le sexisme organisé en grande pompe le 10 juin par France Culture et la Fondation des femmes : du génocide des femmes au partage des tâches ménagères, en passant par les petites filles éduquées pour le plaisir des hommes, ce fut une litanie de pleurnicheries performatives. Pour signaler aux participantes qu’elles devaient conclure, on faisait passer sur la scène un énorme utérus en peluche, appelé « Roudoudou » – non je n’invente pas, même Christiane Taubira, présidente du jury, a trouvé douteuse cette forme hygiéniste d’exhibitionnisme. L’une des participantes, après avoir longuement ratiociné, chiffres à l’appui, sur le scandale de l’épisiotomie, a conclu en citant Milan Kundera, qui ne méritait pas cette offense : « Qui perd son intimité a tout perdu. » Certes. Seulement, sur les réseaux sociaux, la parole ne se libère que pour renoncer volontairement à toute intimité – comme si le comble de la liberté, pour les femmes, était de pouvoir montrer leur sexe sans que cela n’offusque ni n’intéresse personne. Les victimes, réelles ou supposées, se font un devoir d’exposer l’intimité dont elles se plaignent qu’on l’ait agressée, mais aussi celle des présumés coupables qui voient leur vie, ou plutôt un récit à charge de celle-ci, jetée en pâture à des journalistes que le goût du sang excite et que les scrupules n’étouffent pas. « Donne les noms et les détails », ordonnait le tweet inaugural de Sandra Muller.

Avocate-pénaliste, Sophie Obadia intervient souvent dans des affaires de crimes sexuels, pour les victimes ou pour les auteurs, comme on dit. D’après elle, la consigne est enfin passée dans les commissariats où aucun policier n’oserait plus renvoyer en ricanant une femme qui dit avoir été agressée ou violée. Il est trop tôt pour dire si la vie des vrais prédateurs sera réellement plus difficile (ce qui est fort souhaitable), mais il est salutaire que l’on écoute les victimes, quitte à démontrer plus tard qu’elles ont menti ou réécrit l’histoire. L’avocate s’attend en effet à une recrudescence de plaintes inspirées par le remords d’avoir cédé ou, plus souvent encore, par le désir de vengeance : « Récemment j’ai vu débouler dans mon cabinet une jeune femme qui avait porté plainte contre un gars avec qui elle avait eu une histoire et qui, disait-elle a posteriori, l’avait violée après une soirée arrosée. Le type, du même âge qu’elle, présidait l’association étudiante à laquelle elle appartenait et elle se racontait, tout excitée, une affaire d’abus de pouvoir : “moi aussi ça m’arrive”. J’ai refusé l’affaire. Les victimes imaginaires ont toujours existé, et les accusations de viol contre des puissants aussi. Mais maintenant que tout sort sur la place publique, ce genre d’accusation est une bombe ! » Tout, à commencer par les noms des présumés coupables et le récit circonstancié de leurs turpitudes présumées. Depuis les débuts de l’affaire Weinstein, des centaines d’hommes célèbres ou connus, puissants ou influents, ont été condamnés à la mort sociale, sans pouvoir faire appel de cette sanction qu’aucun juge n’a prononcée (voir l’article « Justice pour les mâles blancs »). Expéditive et vengeresse, la justice des réseaux sociaux ne connaît ni le doute ni la clémence.

« La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome »

Ces victimes collatérales sont autant d’exemples qui doivent faire réfléchir tous les hommes, en particulier ceux qui ont le tort d’aimer trop les femmes pour n’en aimer qu’une, qu’on les appelle dragueurs, hommes à femmes ou salauds. Les féministes du siècle dernier, qui croyaient que l’égalité produirait une harmonieuse réconciliation des hommes et des femmes, ont sans doute contribué à jeter le soupçon sur la différence qui les attirait les uns vers les autres, source de nombreux emmerdements depuis Ève. Celles d’aujourd’hui, qui s’emploient en même temps à nier cette différence – « la biologie n’existe pas, tout est construction sociale » – et à la naturaliser – « les hommes sont des porcs » –, sont peut-être en train de hâter la séparation annoncée par Vigny dans La Colère de Samson : « La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome ; Et, se jetant, de loin, un regard irrité, Les deux sexes mourront chacun de son côté. »  Sauf que personne ne mourra puisque, répétons-le, la procréation se passera bientôt de la rencontre.

Peggy Sastre affirme que la révolution sexuelle n’a pas eu lieu. Avec #metoo, nous assistons même à une révolution antisexuelle. « Faisons la révolution du désir ! », proclamait la comédienne Nathalie Portman (qui a subi des abus très jeune) lors de la Marche des femmes de Washington, le 20 janvier. Il y a quelques raisons de craindre que cette révolution soit une disparition. C’est aussi une affaire de générations : ce sont surtout des jeunes femmes qui jugent désirable un monde où les femmes ne seront plus des objets de désir, pour la bonne raison qu’on en aura fini avec le désir, masculin en tout cas, celui-ci étant par nature brutal pour ne pas dire vicieux et dégoûtant. Et ce sont des jeunes gens qui battent leur coulpe sur la poitrine de leurs aînés, et qui, malgré leurs 20 ans, ne semblent pas avoir envie de sauter sur tout ce qui bouge. Taratata, me souffle un ami, ils font semblant pour draguer, c’est tout. Pas sûr. Ces nouveaux hommes ne sont sans doute pas majoritaires, même dans la jeunesse. Mais ils sont peut-être le visage de l’avenir.

Nous assistons à la naissance d’un nouveau monde

Aucune féministe, évidemment, ne proclame qu’elle veut éradiquer le désir, tout au plus prétendent-elles le pacifier. Peut-être cette entreprise de normalisation butera-t-elle sur les innombrables ruses de la libido humaine, mais elle marque des points. Ainsi les candidates au concours Miss America ne défileront plus en maillot de bain ni en robe de soirée, mais devront, à la place, dialoguer avec le jury et présenter, ce n’est pas une blague, un projet humanitaire. « Ce ne sera donc plus un concours de beauté, mais de charisme, d’intelligence, d’engagement dans le monde », précisent les organisateurs.

Qu’une jolie femme n’attire plus les regards des hommes prouve bien que nous assistons à la naissance d’un nouveau monde où ce que nous appelons aujourd’hui séduction n’aura plus cours, en tout cas pas dans ses modalités actuelles qui reposent, non pas sur une inégalité, mais sur une dissymétrie selon laquelle la femme cherche à plaire et l’homme à conquérir. Certes, nous pouvons heureusement, comme individus, échapper à ces partitions ou les panacher avec d’autres. Reste que cette petite musique, qui accompagne les jeux sexuels depuis des millénaires, a dû s’imprimer dans notre cerveau reptilien. Sinon, comment expliquer que même les femmes les plus « humanitaires et engagées » continuent à claquer en fanfreluches des sommes que leurs coquins trouvent très exagérées ? Faudra-t-il, pour parfaire l’égalité, que nos amants soient dingues de godasses et de produits de beauté ?

#Metoo a placé les relations sexuelles et amoureuses sous le signe de la peur

En attendant que les hommes deviennent des femmes comme les autres, on pourrait se dire que la vie concrète continue, avec ses aléas, ses rencontres, ses plaisirs, ses déceptions et ses souffrances. Sauf que, déjà, de nouvelles règles, écrites ou pas, s’imposent aux rapports amoureux, en particulier dans la zone grise du consentement, là où la bouche dit « non » et les yeux « oui ». Et ne croyez pas que « qui ne dit mot consent ». Pionnière en la matière, la Suède vient d’adopter une loi qui définit comme viol « tout acte sexuel commis sans accord explicite, même en l’absence de menaces ou de violences ». Qu’une telle définition autorise le revirement, la vengeance ou la pure et simple crasse n’a pas gêné le législateur. Pour les hommes, ce consentement que l’on peut retirer a posteriori est une épée de Damoclès plutôt tue-l’amour. Beaucoup ne couchent pas avant que l’élue, ou l’élu, leur ait signifié son accord, par écrit et très clairement. Et quand ils ont oublié cette précaution élémentaire, ils s’emploient dès le lendemain à obtenir par la ruse des commentaires élogieux et toujours écrits sur leur performance. Autrement dit, l’une des principales réalisations des metooistes aura été de placer les relations sexuelles et amoureuses sous le signe de la peur. D’ailleurs, ils s’en vantent.

A lire aussi: Philippe Muray: Quand le désir devient délit

Tout cela, bien sûr, Muray l’avait prédit. Dans un texte génial intitulé « Sortie de la libido, entrée des artistes », paru en 2000 dans Critique, il écrivait : « Il est d’ores et déjà envisageable que l’on organise, pour tout ce qui relève de la sexualité, du désir, de l’orgasme, de la virilité, de la féminité, et aussi de l’éventail complet des anciennes “perversions”, et même, dans un temps proche, de l’homosexualité à son tour normalisée, des journées “portes ouvertes”, des semaines du patrimoine coïtal, comme on le fait déjà pour tant d’autres chefs-d’œuvre qui ne sont même plus, hélas, en péril. » Cependant, il s’est trompé sur un point. On ne commémore pas les plaisirs perdus de la sexualité d’antan. Au contraire, une propagande intensive s’emploie à nous convaincre qu’ils n’étaient qu’une déplorable survivance des cavernes, et que nous n’en avons plus besoin pour vivre. Sachez-le, sous la domination féminine, on ne rigolera pas.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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