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The Artist, une bluette compassée


L’intouchable succès critique et public du film The Artist et l’avalanche de prix le récompensant[1. Prix d’interprétation masculine à Cannes et Meilleure comédie, meilleur acteur, meilleur film aux golden Globes, meilleur film, réalisateur et acteur au London Critics’ Circle, 19 prix et 39 nominations dans divers festivals] m’obligent à me poser une question cruciale : pourquoi est-ce un film muet qui représente le cinéma français dans le monde entier ? Qu’arrive-t-il au cinéma du pays qui, avec les Etats-Unis, a produit le plus grand nombre de chefs d’œuvre ? Songez donc Bresson, Demy, Garrel, Godard, Guitry, Melville, Pialat, Renoir, Rohmer, Truffaut ont mis en scène des films inoubliables qui célébraient la parole et l’art de la mise en scène, le politique, la pensée philosophique et les sentiments amoureux. Ainsi, comment se peut-il que ce film soporifique, apparemment divertissant pour un grand nombre de personnes, soit le parangon de ce qui se fait de mieux dans notre beau pays ?

Quelques mimiques, grimaces et claquettes esquissées par Bérénice Béjo et Jean Dujardin suffisent à emporter l’adhésion des jurys et du public international. Ne se rappelle-t-on plus des comédies hilarantes de Laurel et Hardy, du burlesque désopilant de Buster Keaton et Harry Langdon, du génie comique de Charlie Chaplin acteur, de la magnificence émotive que produisaient ses beaux films à la mise en scène limpide ? Il faut croire que non puisqu’une série de pitreries tournées dans un noir et blanc du plus bel effet vintage font rire la France et la planète entière.

Jean Dujardin est un bien meilleur acteur quand il parle et se démène dans une comédie en couleurs comme OSS 117, Le Caire, nid d’espions du même Michel Hazanavicius (la scène où il chante « Bambino » de Dalida ou celle où il fait taire le muezzin qui l’empêche de dormir en pleine nuit sont drôles, rythmées, inventives sont un bel hommage au cinéma d’aventure). Rien de tel dans The Artist : le scénario est mince et convenu. Les gags lourds et peu inspirés. Pas de poésie ou de déclaration d’amour à un genre disparu comme on veut nous le faire croire (la poésie flamboyante du cinéma muet, nous pouvons la voir à l’œuvre dans les films de Philippe Garrel ou de F.J.Ossang).

Heureusement, quelques films récents comme Hors Satan de Bruno Dumont, Pater d’Alain Cavalier, La Religieuse portugaise d’Eugène Green, Jeanne captive de Philippe Ramos ou L’exercice de l’Etat de Pierre Schoeler nous démontrent que le cinéma français est encore inventif du point de vue esthétique, poétique, politique et philosophique.

Le paradoxe est que ce soit ce film muet qui représente l’art cinématographique français dans le monde. Mais est-ce vraiment un paradoxe de la part d’une nation qui voudrait abandonner son histoire et ses Humanités au profit de la seule distraction ? « La culture est une résistance à la distraction » disait Pier Paolo Pasolini. Souvenons-nous en.



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est directeur de cinéma.

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