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Le Suriname, une Babylone équatoriale à 5 minutes de la France

Casinos, melting-pot et corruption


Le Suriname, une Babylone équatoriale à 5 minutes de la France
Cérémonie en l'honneur du président Desire Delano Bouterse lors de son élection en 2015. SIPA. AP21778314_000005

Ancienne colonie néerlandaise, où l’optimiste Candide tomba des nues en rencontrant un esclave noir, le Suriname, indépendant depuis 1975, est un petit pays niché entre le Guyana et notre région de la Guyane, en Amérique du Sud. En se rendant depuis Saint-Laurent-du-Maroni à Paramaribo, la capitale – où vit plus de la moitié de la population du pays – on peut contempler la foisonnante forêt amazonienne, où de mignons pavillons de style colonial hollandais côtoient des bicoques en bois de prolétaires. Lors du passage par le « check-point », l’employé en uniforme regarde à peine mon passeport (en règle) avant de laisser repartir le taxi collectif. Les plus téméraires s’y risquent sans visa : il est toujours possible de soudoyer un douanier.

Quinze dialectes, des casinos et des filles

Le Suriname semble très enclin à faire entrer l’argent des touristes. Dans le centre de Paramaribo, on trouve myriade de casinos qui semblent tirés du film du même nom, et des hôtels de luxe avec piscines et bars à cocktails à faire trembler Le Loup de Wall Street. Au bord de la piscine du Torarica, hôtel et casino « de luxe », Paul, un Français en vacances qui a longtemps vécu en Guyane, n’y va pas par quatre chemins : « Ce que j’adore à Paramaribo, confie-t-il entre deux verres de Borgoe – le (très correct) rhum du pays – c’est qu’on trouve de tout pour une bouchée de pain : l’alcool, la cuisine, les filles. Au Diamond – boîte de strip-tease connue jusqu’à Amsterdam – la passe d’une demi-heure, ça coûte 40 euros ; mais ailleurs, si on connaît la fille, ça peut vite baisser à 20, 15 euros ». Paul n’est pas le seul touriste à s’amuser: les taxis jaunes se pressent devant ces établissements aux néons scintillants.

La capitale, qui n’a rien à envier au multiculturalisme canadien, fait la joie des guides touristiques. On y croise des personnes de couleurs de peau et d’ascendances culturelles pour le moins variées : le Paramaribien peut être d’origine noire-marron (les plus nombreux), créole, indienne, indonésienne, chinoise, amérindienne, européenne. A quoi s’ajoutent les immigrés cubains, dominicains, vénézuéliens, philippins, etc. De fortes nuances et des mélanges : une simple flânerie dans le centre-ville permet de constater que l’endogamie n’est pas la norme. Il en va de même pour les langues : néerlandais, sranam-tongo, hindou, indonésien, chinois, japonais,… Pas moins de 15 dialectes s’y côtoient. Sans compter que tous les Surinamais que j’ai croisés sont plus familiers de l’anglais que la plupart des Français.

Le Suriname Coexist…

Dans cette petite Babylone, la mosquée Keizerstraat, la plus importante de la capitale – et elles sont nombreuses – a été édifiée volontairement aux côtés de la synagogue Neve Shalom, l’unique lieu de culte juif du pays (la deuxième sert aujourd’hui de cybercafé). Un symbole, et pas des moindres, du fameux vivre-ensemble, qui pourrait faire bondir de joie nombre de progressistes français. A Paramaribo, je n’ai pourtant croisé aucune femme voilée, y compris dans le marché indonésien.

Quant aux chrétiens, ils s’entassent sur le trottoir de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul (la plus ancienne cathédrale en bois du Nouveau Monde), lors de la messe du dimanche de Pâques.

…ou presque

Mais sous ce tableau lissé, les différents fragments de la mosaïque multiculturelle sont plus fragiles qu’ils ne le laissent paraître. En me conduisant – toutes portières verrouillées – dans le centre historique, un chauffeur de taxi d’origine indonésienne – mais qui, insiste-t-il, se sent totalement surinamais – m’enjoint « à faire très attention, à ne pas rester seul dans la rue car ici, les Noirs sont très dangereux et peuvent me voler tout ce que j’ai ». Une jeune femme d’origine indienne me confie, par ailleurs, qu’elle « ne supporte plus les ‘chips’, lourds sifflements venant de jeunes hommes généralement noirs ». Fausses alertes pour ma part.

Mais entre 1986 et 1992, le pays a connu une sanglante guerre civile,  en partie due au fait que les Noirs-Marrons se sentaient discriminés. « Cette époque a été très dure, rapporte Michaël, Noir-Marron à l’approche de la soixantaine. Heureusement que j’ai pu travailler en Guyane française pendant ce temps, sinon je ne sais pas où j’en serais. Mais encore maintenant, nous sommes discriminés ». Ivana, jeune informaticienne d’origine noire-marron – et qui se sent, elle aussi, complètement surinamaise – n’en pense pas moins : « Les Noirs-Marrons sont plus intégrés qu’avant. Mais encore aujourd’hui, à CV égal avec les autres, ils ont plus de difficultés que les autres à décrocher un emploi ». Les plaies du mal-vivre-ensemble ne cicatrisent pas en deux décennies.

Drogue et liberté de la presse

En face de la statue du général Bolivar, offerte par le Venezuela en 1955 (durant l’autonomie du Suriname), on trouve désormais les bureaux d’une entreprise dénommée « TeleSur ». Une annexe de la chaîne de propagande du gouvernement vénézuélien ? Non, il s’agit en fait d’une compagnie de télécommunications du même nom. Reste que le pays de Desi Bouterse entretient de bonnes relations avec celui de Nicolas Maduro. D’ailleurs, l’ambassade de ce dernier propose des cours d’espagnol gratuits pour tous  les Paramaribiens.

En 2017, « Reporter sans frontières » place cependant le pays à la 21ème place mondiale en matière de liberté de la presse, quand la France, elle, n’est que 33ème. Sa mauvaise réputation vient principalement de son histoire depuis l’indépendance : une longue période de trafics de drogue, mêlée aux cartels de Medellin et de Cali. Dans la longue liste des épisodes de cette histoire mouvementée, Dino Bouterse, le fils du président, a notamment été extradé vers les Etats-Unis où il a été condamné à 16 ans de prison pour trafic d’armes, de cocaïne et soutien au Hezbollah, alors qu’il était responsable de l’unité antiterroriste du Suriname. Quant à son père, s’il a été élu de façon démocratique, il est aussi l’ancien dictateur du pays, dont il avait pris le pouvoir en 1980 à la suite d’un coup d’Etat. Il est même au cœur d’un long procès où il est accusé d’assassinats d’opposants politiques lors du « massacre de Fort Zeelandia ». En 1999, il a en outre été condamné par contumace à onze ans de prison par la justice néerlandaise pour trafic de drogue. Dans les années 1990, on estime que 60 % de la cocaïne arrivant à Rotterdam transitait par le Suriname. Si depuis l’importance de la poudre blanche dans l’économie a fortement diminué, 30 % du PIB du pays proviendrait de l’économie informelle : la drogue, l’orpaillage illégal et les fameux casinos…

Billets en euros et immigrés cubains

Dans certaines rues du centre-ville de la capitale, ou plus en périphérie, des junkies errent. Certains, dès la nuit tombée, semblent prêts à vous chercher des noises pour deux euros. D’après les estimations, plus d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, le pays est en récession et l’inflation est galopante (55,5 % en 2016, 22 % en 2017). Une jeune femme employée dans un hôtel le confirme : « Il y a neuf, dix ans, avec Ronald Venetiaan, le précédent président, l’économie du pays était correcte. Mais maintenant, c’est vraiment difficile ». Un chauffeur de taxi travaillant notamment pour un hôtel de luxe, et préférant rester anonyme ne mâche pas ses mots : « L’économie est vraiment mauvaise depuis ces dernières années, tout est cher pour les Surinamais. Les prix augmentent tout le temps et les salaires ne suivent pas. Le président actuel pense qu’il a été choisi par Dieu. Mais c’est un ancien dictateur, un ancien trafiquant de drogue qui ne sait pas gérer un pays. Il n’a rien à faire au pouvoir ». La prochaine présidentielle n’aura lieu qu’en 2020.

En attendant, des travailleurs étrangers semblent trouver leur compte dans la capitale. Alberto, réfugié politique cubain et employé dans un hôtel, s’estime satisfait de son sort car il peut aider sa famille restée à Varadero. Il assure d’ailleurs que, d’après ses parents, « lors du temps de Batista, le système cubain fonctionnait mieux que par la suite, notamment parce qu’il y avait des casinos ». D’autres ont décampé pour des lieux moins festifs, mais non moins rémunérateurs. Après avoir travaillé un an à Paramaribo, Diana, une jeune dominicaine, loue dorénavant ses charmes dans la bourgade de Maripasoula, en Guyane. Elle peut maintenant « envoyer plus d’argent à sa famille » car elle est payée en euros. A la frontière est du Suriname, gît l’Union européenne.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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