Alors que le ministre français des Affaires étrangères s’inquiète des opérations américaines contre le narcotrafic au large du Venezuela, il est nécessaire de regarder la situation sans naïveté ni œillères idéologiques. Le Venezuela, miné par les cartels, déstabilise toute la région… jusqu’à la Guyane française.
C’est l’un des navires les plus modernes au monde. L’USS Gerald R. Ford, 340 m de long, 100 000 tonnes, 4 000 marins, une escadre aérienne complète d’environ 70 appareils, tout cela pour un prix avoisinant les 13 milliards de dollars. Il a quitté la Méditerranée il y a quelques jours. Depuis la semaine dernière, il mouille dans les Caraïbes, à quelques centaines de kilomètres du Venezuela, puissance pétrolière devenue narco-État corrompu. Dans sa ligne de mire : le régime de Nicolás Maduro, bête noire de Donald Trump. Devant cette montée des tensions, la réaction de la France, puissance diplomatique, membre permanent du Conseil de sécurité… et puissance régionale, était attendue.
On oublie trop souvent que la Guyane, ce sont 84 000 km² de territoire français en Amérique du Sud, l’équivalent du Portugal ou de l’Autriche. Le 12 novembre, au G7 diplomatique au Canada, Jean-Noël Barrot a condamné fermement la stratégie américaine, estimant que ces opérations «s’affranchissaient du droit international».
On connaît l’anti-trumpisme du Quai d’Orsay, mais la réaction à tout de même de quoi surprendre. Car en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, la France est en première ligne face au narco-État vénézuélien. Les routes maritimes et aériennes en provenance de Caracas structurent un trafic devenu un défi sécuritaire majeur. En 2024, les saisies de cocaïne ont bondi de plus de 30 % en Guyane, et de 180% en Martinique et en Guadeloupe. Et si les « narcos » vénézuéliens n’en sont pas les seuls responsables, leurs réseaux alimentent une violence hors-normes dans ces territoires, où le taux d’homicide est sept fois supérieur à celui de la métropole.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles
On peut débattre de la légalité des frappes américaines visant les embarcations chargées de drogue au large du Venezuela. Mais les faits sont connus : la criminalité a explosé parallèlement à l’effondrement économique du pays. Les cartels ont trouvé dans le chaos vénézuélien un terrain idéal où prospérer, corrompant police, armée et responsables politiques.
Les accusations de connivence entre autorités vénézuéliennes et narcotrafiquants ne sont pas infondées. Les États-Unis, dont la population forme le principal marché de la drogue, ont des raisons d’être mécontents, ne serait-ce que de l’inefficacité des mesures déployées par Caracas pour lutter contre les narcotrafiquants.
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Dans ce contexte, il n’est pas illégitime qu’un État cherche des moyens pour se protéger de cette menace criminelle transnationale. Les frappes américaines relèvent de cette logique défensive. Selon Reuters, l’armée américaine a déjà détruit quatorze embarcations, tuant leurs occupants. Ces éliminations sommaires, sans jugement, posent la question de leur fondement juridique. Des experts du United Nations Human Rights Council les ont ainsi qualifiées d’«exécutions extrajudiciaires». S’il faut tenir compte de cette opinion, il faut aussi faire remarquer que ces frappes restent limitées
et précisément ciblées. Elles relèvent de mesures exceptionnelles, non d’une attaque contre la souveraineté vénézuélienne.
Un élément trop peu commenté tend à le confirmer : non seulement les forces armées et la police du Venezuela n’ont jamais été ciblées par les Américains, mais elles ne cherchent pas à protéger les embarcations visées. C’est pourquoi les pays latino-américains se sont contentés de protestations de façade. Tous savent que le Venezuela est devenu un narco-État dont les trafics empoisonnent le continent.
L’administration Trump use d’un ton abrupt, mais sa stratégie reste coercitive et calibrée. Rien qui ne ressemble à une invasion en préparation. Nous sommes loin des interventions à Grenade, Panama ou au Nicaragua qu’a pu opérer dans le passé « Oncle Sam ».
Regarder la situation avec lucidité
La France doit tenir compte de cette réalité. Le Venezuela n’est pas seulement un théâtre de confrontation entre Washington et Caracas : il s’agit d’un État effondré dont les réseaux criminels frappent notre propre territoire. Avant de condamner les États-Unis, il faut peser les responsabilités de chacun, les risques régionaux, et le coût humain de l’impuissance vénézuélienne.
L’Amérique latine n’a ni besoin d’un affrontement idéologique supplémentaire ni même de postures diplomatiques «de principe». Elle a besoin d’un réalisme froid : reconnaître les causes profondes de la crise et, surtout, oser affronter un narcotrafic qui dépasse très largement les frontières du continent. On sait depuis Thomas Hobbes que la principale justification à l’existence des États est la sécurité qu’ils apportent aux individus. Qu’ils soient américains ou européens, les États ne peuvent donc pas perdre ce combat.
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