Entre 1978 et 1997, la revue (A Suivre) a fait entrer la BD dans l’âge adulte. Dans son éditorial du 1er numéro (février 1978), Jean-Paul Mougin annonçait la couleur bien que ce mensuel édité par Casterman soit, à l’époque, imprimée sur du papier noir et blanc. Son rédacteur en chef prévenait ses lecteurs : « (A Suivre) sera l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature ». Deux ans plus tard, en novembre 1980, il enfonçait le clou : « Il s’est passé des choses depuis la parution de Bécassine. Il n’y a pas plus aujourd’hui UNE bande dessinée qu’il n’y a UNE littérature ».
« Pour moi, la bande dessinée est très étroitement liée à l’idée du feuilleton, donc de la périodicité de presse »
Le 9ème art en avait assez d’être pris pour cette sous-culture à destination exclusive des enfants, méprisée à la fois par les intellectuels et les professionnels de l’édition. Comme disait Sarkozy en son temps, la BD, c’est du sérieux ! Le Festival d’Angoulême avait été lancé seulement quatre années plus tôt, en 1974 et les auteurs commençaient à faire exploser, une à une, toutes les cases préétablies. La BD belge de papa, conformiste et moutonnière, était secouée par un vent de panique. Toute une génération biberonnée au magazine Pilote s’émancipait des Tintin, Spirou, Pif et Astérix, sans pour autant snober ces classiques. A la différence des romanciers et cinéastes élitistes qui daubent toute forme d’expression populaire, les dessinateurs savaient ce qu’ils devaient à Hergé, Franquin ou Goscinny. Malgré leur envie d’élargir les horizons, ces jeunes transgressifs ont toujours respecté les maîtres de leur jeunesse.
L’aventure (A Suivre) et son incroyable succès dans les kiosques est raconté par Nicolas Finet aux éditions PLG. Pour fêter le quarantième anniversaire de cette revue, le conférencier et commissaire d’expositions, entre autres, spécialiste des bandes dessinées asiatiques, a augmenté son ouvrage de référence paru en 2004. Au total, 24 entretiens avec les figures de ce magazine devenu mythique (Ted Benoit, Tardi, Jacques de Loustal, Benoît Peeters, François Boucq, Jacques Ferrandez, etc…), 39 portraits de héros (Corto Maltese, Ray Banana, Nestor Burma, Le Chat, Léon la Came ou Jonas Fink) et tous les secrets de fabrication de ce titre (entre parenthèses) au nom si étrange. Cette histoire totalement méconnue du grand public est passionnante pour ce qu’elle dit des années 70 et 80. En matière de BD, l’esprit de « Mai 68 » aura, au moins, eu un effet bénéfique sur la création et le renouvellement d’un genre ankylosé. Nicolas Finet porte un regard vif sur les transformations techniques, la place de la presse magazine dans le dispositif commercial d’alors ou la volonté, par exemple, de sortir de la dictature des « 48 pages standard ». « Largement acquise aujourd’hui l’idée d’une bande dessinée développée sur des formats longs, sans trop de contraintes de pagination est également tout à fait neuve à l’époque » écrit-il. La marque de fabrique d’(A Suivre) sera de remettre le feuilleton au cœur de l’actualité. Ce que confirme Jacques Tardi, l’un des porte-étendards de la BD dite de « longue haleine » : « Pour moi, la bande dessinée est très étroitement liée à l’idée du feuilleton, donc de la périodicité de presse ». Rue Madame, en plein 6ème arrondissement, dans « trois soupentes et un grenier » selon la formule de son directeur Didier Platteau, (A Suivre) va devenir l’épicentre d’une BD aussi ambitieuse graphiquement que littérairement.
L’aventure (A Suivre), Nicolas Finet – Éditions PLG – Collection Mémoire Vive.
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