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Marlène Schiappa: « Je n’ai jamais soutenu l’écriture inclusive ni son enseignement à l’école! »

Entretien exclusif avec la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa (2/2)


Marlène Schiappa: « Je n’ai jamais soutenu l’écriture inclusive ni son enseignement à l’école! »
Marlène Schiappa à l'école Simon Bolivar, Paris XIXe, septembre 2017. Numéro de reportage : 00821293_000028.

Retrouvez la première partie de l’entretien ici. 

Malgré ces drames, le sexe faible a globalement triomphé de la société patriarcale. Les féministes ne sont-elles pas « mauvaises gagnantes », selon la formule d’Alain Finkielkraut ?

Non. Si des avancées ont effectivement été faites, beaucoup de chemin reste à parcourir. Vous semblez croire à ce que Christine Delphy appelle le mythe de « l’égalité-déjà-là ». Regardez combien de femmes dirigent une entreprise du CAC 40 en France. Une seule ! Et combien y a-t-il de femmes expertes à la télévision ?

Le nombre de femmes patronnes ou expertes n’est peut-être pas le bon critère. Il y a une majorité de femmes magistrates et nul ne dit que les hommes sont discriminés. Et dans les médias, quoi qu’on dise, il n’y a pas une discrimination globale des femmes. 

Tout dépend des métiers. Dans des secteurs exposés comme les nôtres, c’est parfois une chance d’être une femme. Une chef d’entreprise au Havre m’a confié que c’était aussi un atout, pour elle, d’être une femme dans un milieu d’hommes.

Il y a cependant des endroits en France où l’infériorité des femmes est acceptée, ce sont les quartiers qui connaissent une islamisation rampante. Or, interpellée à ce sujet sur LCI, vous avez déclaré qu’il y avait aussi du harcèlement boulevard Saint-Germain, même s’il était moins visible.

Mon propos a été déformé dans une retranscription sur Twitter, où sorti du contexte. Ce jour-là, sur LCI, je répondais à un débatteur prétendant que les femmes ne se faisaient pas harceler dans les beaux quartiers. Alors qu’on me montrait des images réalisées par Sofie Peeters, victime d’agressions à Bruxelles, j’ai simplement déclaré que le harcèlement était réparti sous des formes différentes dans tous les quartiers.

Il semble qu’on ait cependant du mal à affronter le réel. Vous avez cité Sofie Peeters qui s’est faite incendier pour avoir dénoncé des harceleurs de rue d’origine immigrée ! Et rappelez-vous ce qui s’est passé après Cologne : ceux qui ont analysé ces événements comme une manifestation aiguë du choc des cultures ont été accusés d’avoir « de la merde raciste dans les yeux ». 

L’affaire de Cologne me tient à cœur. Dans mon livre Où sont les violeurs ? (L’Aube, 2017), je dénonce les viols et les agressions de Cologne. J’ai été l’une des seules parmi les féministes à le faire. Et j’ai insisté sur le fait qu’on ne devrait pas excuser un viol sous prétexte de la couleur ou de l’origine de la personne qui viole. Je l’ai répété à l’Assemblée nationale où on m’a répondu : « Ne croyez-vous pas que ça va stigmatiser les quartiers ? » J’ai répliqué que l’origine n’était ni une circonstance aggravante ni une circonstance atténuante. Je me fiche de l’origine du violeur, l’acte reste tout aussi grave.

Mais elle est parfois un facteur explicatif. Du reste, vous concédez que certaines cultures, plus patriarcales et moins égalitaires, traitent beaucoup moins bien les femmes que la nôtre.

Il y a des problèmes spécifiques dans ces quartiers. Récemment, j’ai reçu le réseau de femmes Mamans en marche qui m’ont parlé de deux problèmes totalement ignorés : la sortie de polygamie et l’enfermement conjugal. Comment fait-on, en arrivant en France, pour sortir de la polygamie, quand votre mariage n’est pas reconnu et que vous bataillez pour obtenir la garde des enfants ? Des immigrées de première génération de l’association Femmes unies m’ont appris que beaucoup d’épouses restaient enfermées chez elles en permanence, isolées par le fait qu’elles ne parlent pas le français. Et il faut aussi parler de l’excision dont beaucoup croient qu’il est légal de la faire subir aux femmes à l’étranger avant de les ramener en France ! J’ai mené une campagne sur ce thème dans les quartiers dits « à risque ». Mais je ne dirais pas que l’inégalité femmes-hommes est une donnée forcement culturelle.

Ah bon ? L’excision n’est guère répandue chez les « vieux Français ». Alors pourquoi nier l’évidence ? 

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais j’ai également reçu une délégation de femmes saoudiennes qui venaient d’obtenir le droit de conduire et qui étaient très déçues de constater que nous avions ici un tel écart salarial entre les femmes et les hommes. De même, en France, les femmes d’origine européenne n’échappent pas aux violences. Il suffit d’aller au 3919, le numéro d’appel de détresse, pour s’apercevoir à quel point ce fléau est également réparti.

La violence n’épargne pas non plus les couples homosexuels. 

J’ai soulevé ce problème très tôt. Alors maire adjointe au Mans, j’ai d’ailleurs organisé un colloque sur les violences au sein des couples lesbiens.

On comprend votre attachement viscéral à l’égalité. Mais comment pouvez-vous défendre l’écriture inclusive dont l’Académie française dit qu’elle est un péril mortel pour notre langue ? Vous sentez-vous opprimée par la grammaire ? 

Il est temps de rétablir la vérité : je n’ai jamais soutenu l’écriture inclusive ni son enseignement à l’école ! Enseigner aux enfants que la phrase commence par une majuscule et se termine par un point tout en leur expliquant qu’on doit parfois mettre un point au milieu d’un mot serait tout simplement ubuesque… En revanche, je suis favorable à la féminisation orale des noms. Cela me paraît important de « visibiliser » les femmes – excusez le néologisme – en disant « Françaises et Français », « celles et ceux », etc.

Le reformatage du langage est toujours un préalable à celui de la pensée. Que vous inspire cette négation de la différence sexuelle ?

Le Reseau que j’ai créé il y a dix ans est intitulé : Maman travaille. Maman et non les parents quel que soit leur genre…  J’ai aussi coordonné un livre qui s’appelle Lettres à mon utérus (La Musardine, 2016). Je me sens proche des féministes différentialistes et essentialistes tout en admettant, avec Élisabeth Badinter, que l’instinct maternel est une forme de construction sociale. Cependant, je conçois que le congé paternité n’ait pas la même durée que le congé maternité, qui existe aussi pour des raisons biologiques.

Dans votre lettre ouverte à Manuel Valls publiée en 2014, vous dénonciez la dénonciation de l’antisémitisme des banlieues comme « un dangereux cliché, stéréotypé et stigmatisant ». Le pensez-vous encore ?  

C’est une ancienne tribune. Je répondais à une phrase attribuée à Manuel Valls accusant les quartiers populaires d’être intrinsèquement, en bloc, antisémites. Mais j’y condamnais aussi fermement l’antisémitisme puisque j’écrivais : « c’est un fléau, une horreur, une abomination ». Quand j’ai été nommée au gouvernement, j’ai fait ma première visite avec Iannis Roder, co-auteur des Territoires perdus de la République, dans le collège dans lequel il lutte contre le sexisme, l’homophobie, l’antisémitisme avec une grande intelligence. Il faut le voir et le combattre, évidemment, sans caricature d’aucune sorte. Quant à Manuel Valls, nous nous sommes rencontrés plusieurs fois depuis, il m’arrive de le consulter, comme d’autres, sur mes projets de loi. J’ai du respect pour l’ancien Premier ministre qu’il est.

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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