Accueil Édition Abonné Marlène Schiappa: « Je suis opposée à une présomption de vérité pour les accusations de harcèlement »

Marlène Schiappa: « Je suis opposée à une présomption de vérité pour les accusations de harcèlement »

Entretien exclusif avec la secrétaire d'Etat, Marlène Schiappa (1/2)


Marlène Schiappa: « Je suis opposée à une présomption de vérité pour les accusations de harcèlement »
Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes. Photo: Hannah Assouline

Causeur. Après le scandale Weinstein, des femmes dénoncent des hommes sur les réseaux sociaux, parfois avec force noms et détails, sans la moindre preuve, sinon leur parole. Vous avez déclaré que tout ce qui contribuait à la libération de la parole des femmes était positif. Votre rôle, comme secrétaire d’État chargée de « l’égalité entre les femmes et les hommes » n’était-il pas de mettre en garde contre ce lynchage ?

Marlène Schiappa. Je n’ai pas vu de lynchage. Si c’était le cas, je serais intervenue. Mais comme la garde des Sceaux et tant d’autres, je considère que cela contribue à faire parler les femmes de ce qu’elles subissent. Pour autant, mon rôle n’est pas d’encourager à utiliser le hashtag « balance ton porc » : ma toute première réaction sur le sujet a été de dire que Twitter ne remplaçait pas le tribunal, même si tout ce qui permet de libérer la parole des femmes va dans le bon sens. Et je rappelle que la présomption d’innocence prévaut pour tout le monde – Tariq Ramadan, un député ou le voisin d’à côté. La justice doit se faire dans les deux sens : il faut poursuivre les présumés harceleurs, mais la justice condamne aussi la diffamation.

Vous n’avez peut-être pas encouragé, mais vous n’avez pas condamné. L’initiatrice de Balance ton porc demande des noms et des détails.  Ni vous, ni la garde des Sceaux n’avez alerté sur cette suppression de la garantie essentielle de toute justice qu’est la procédure contradictoire. N’êtes-vous pas effrayée par la mécanique qui s’enclenche ? Toute femme qui s’est sentie offusquée, ou qui n’a pas obtenu la promotion qu’elle escomptait, peut trouver un micro ou une caméra devant lesquels proclamer « Je suis victime ». À en juger par le récit médiatique, nous vivons dans le pays le plus invivable du monde pour les femmes. À votre avis, cela correspond-il à la réalité ? 

Vous me demandez mon avis. Ce que je vis n’est pas forcément représentatif de la vie des femmes en France. Je n’ai jamais été harcelée sexuellement dans ma vie professionnelle et ne fais pas le ménage chez moi. Or, les chiffres nous disent que 72% des femmes font les tâches ménagères, ce qui prouve bien que la vie des femmes n’est pas la même que celle des hommes.

Mais je vous demande votre opinion sur l’état de la France, dont on nous raconte qu’elle est un enfer pour les femmes !  

Un jour, une de mes grands-mères m’a expliqué qu’elle avait arrêté de travailler pour ne pas être obligée de supporter son patron, qui lui mettait la main sur la cuisse. Des progrès ont été accomplis génération après génération. Mais aujourd’hui, à peine 10 % des viols donnent suite à une plainte, car l’auteur provient généralement de la famille ou de l’entourage de la victime. Globalement, les femmes sont moins bien payées, sont davantage victimes des violences sexuelles, et quasiment toutes ont été harcelées au moins une fois dans les transports en commun. On peut aussi dire que tout va bien si vous le souhaitez, mais ce serait faux ! Pourquoi ignorer ces faits ?

Il est difficile de croire à cette étude, mais passons. Demandez aux gens s’ils sont victimes de ceci ou de cela, ils vous répondront tous « oui » !

Ne critiquons pas un excès en formulant une opinion elle aussi caricaturale. Il ne s’agit pas d’imposer une victimisation générale. En revanche, il est important de faire prendre conscience aux auteurs d’actes de harcèlement la portée et la gravité de leurs actes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre campagne contre les violences sexuelles est tournée vers les agresseurs et non pas uniquement les victimes de ces actes. Trop de choses inacceptables sont encore tues aujourd’hui.

Peut-être, mais la victimisation triomphe dès lors que la parole des femmes ne saurait être mise en doute. Ex-fan de ces actrices aux allures de femmes fortes, un de nos camarades se désole que ces tueuses de dragons se transforment en petites choses plaintives. Comment va-t-il encore pouvoir fantasmer sur elles ?

Je trouve cette réflexion très hétéro-centrée ! Il est étrange qu’un homme aborde le sujet des violences sexuelles contre les femmes en se plaignant de voir son fantasme abîmé.

Quoi qu’il en soit, derrière la dénonciation des violences sexuelles, évidemment légitime, on sent poindre une véritable haine de la sexualité, notamment masculine. Le mâle hétérosexuel blanc est-il donc votre ennemi ? 

Pas du tout ! J’adore les hommes, j’ai été élevée par mon père et je compte énormément d’amis garçons. Tout au long de mon parcours, ce sont des hommes qui m’ont aidée, du maire du Mans qui m’a mis le pied à l’étrier en politique, à Emmanuel Macron qui m’a fait entrer au gouvernement en passant par mes éditeurs, tous masculins. Je me répète, mais évitons les caricatures !

Quel parcours hétéro-centré ! (rires)

En effet, mais je suis en même temps très gay-friendly puisque beaucoup d’entre eux le sont !

Vos amis masculins mènent-ils une vie si confortable pour vous laisser croire qu’il est plus facile d’être homme que femme aujourd’hui en France ?

Sur certains points, la vie des hommes est tout aussi difficile. Je dis toujours que les femmes sont globalement discriminées sur le plan professionnel et les hommes souvent sur le plan familial. Quand vous êtes un homme et que vous voulez prendre un congé « enfant malade », c’est compliqué dans une entreprise, vous subissez des stéréotypes. Les hommes devraient pouvoir pleurer en public sans être moqués.

Le monde de l’entreprise est agité par de plus en plus d’accusations de harcèlement sexuel. Sous l’influence de groupes féministes ultra-minoritaires, n’est-on pas en train de criminaliser l’art délicat de la séduction ? 

Je suis justement en train de rédiger avec des députés et la garde des sceaux le texte du projet de loi contre les violences sexuelles pour caractériser ce qu’est le harcèlement dans l’espace public. Lorsque le législateur a voulu définir le harcèlement moral au travail, certains soulevaient une objection comparable à la vôtre : « On ne pourra plus demander à son collègue de faire une heure de travail supplémentaire ! » Finalement, on a clairement défini le harcèlement moral et les juges ont parfaitement réussi à rendre des jugements sur ce sujet. Je crois que vous savez aussi bien que moi faire la différence entre la drague et le harcèlement !

Un homme qui passe, admire votre décolleté et vous lance : « Il y a du monde au balcon ! » Cela relève-t-il du harcèlement ?

Non. Pas une fois. Et je me suis fait houspiller pour avoir dit que siffler une femme une fois n’est pas la harceler. Tout est dans la nuance. Il faut préserver l’espace intime de chacun. Si je me mettais à dix centimètres de vous et vous regardais intensément, je crois qu’à un moment vous vous sentiriez intimidé. De même, lorsque quelqu’un vous demande sept fois de suite votre numéro de téléphone et vous suit dans le métro, il y a un problème. Pourtant, dans la vie réelle, il est compliqué d’y répondre : si vous voulez porter plainte parce que quelqu’un vous a demandé sept fois votre numéro de téléphone, la police va dire qu’elle ne peut rien pour vous.

Oui, nous rencontrons dans la vie toutes sortes de problèmes qui ne relèvent pas du droit et prétendre que le droit les règlera, c’est mentir. De plus, il existera toujours une zone grise dans les relations amoureuses. Aux États-Unis, les plus radicaux ont gagné, empêchant tout compliment à une femme sous peine de procès. Allez-vous créer une police des braguettes ?

Je ne veux pas légiférer sur les rapports sexuels, voyons. À partir du moment où les gens sont majeurs et consentants, ils peuvent faire ce qu’ils veulent.

Personne ne le nie. Mais de là à sacraliser la parole des femmes comme Muriel Salmona qui réclame une« présomption de vérité » pour les accusations de harcèlement, il y a un pas… 

J’y suis totalement opposée. Je crois à l’Etat de droit, c’est notre cadre.

Parfois un bon coup dans les parties, ça peut aussi faire du bien !

Vous ne croyez pas si bien dire ! Je me suis sortie d’une agression dans le métro en appliquant le conseil de mon père : « Si un jour un mec t’attrape, tu lui envoies un coup de genou bien placé, il sera obligé de se baisser et tu t’en serviras pour partir en courant. » Mais toutes les femmes n’ont pas la présence d’esprit de le faire sur le moment ou se trouvent dans un état de sidération tel qu’elles ne peuvent pas se défendre.

Retrouvez ici la seconde partie de cet entretien

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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