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Vivement l’autre journée des femmes!


Vivement l’autre journée des femmes!
Manifestation pour la journée internationale des droits de la femme à New-York, 8 mars 2017. SIPA. 00797043_000012
Manifestation pour la journée internationale des droits des femmes à New-York, 8 mars 2017. SIPA. 00797043_000012

Des hijabs, il y en a de toutes les couleurs. Des bleus, des blancs, des rouges, des noirs, des jaunes. A carreaux comme nos torchons ou en soie bien plus coquets, parfois un peu transparents, laissant deviner une crinière ondulée ou sensuellement lissée, souvent brune de surcroît. De quoi ravir certains adeptes de l’érotisme à l’ancienne, dont je fais partie.

Quand la République gagne

Mais dans le cadre des cours de français que je donne aux migrants adultes, je viens de recevoir quatre élèves voilées, et mes fantasmes ont vite décampé. Une Marocaine d’une cinquantaine d’années mariée à l’âge de treize ans, une autre Marocaine (berbère) de vingt ans, récemment mariée mais ne semblant pas si asservie (me regardant toujours droit dans les yeux), une Sénégalaise fraîchement débarquée en France ne semblant guère épanouie et ayant peur de parler français, et Malika[1. le prénom a été modifié], une jeune algérienne tout juste arrivée du bled, mariée – de force ? – à un routier arabe rasé de près d’une cinquantaine d’années. Mine hagarde et teint rosé, le monsieur était terriblement nerveux la seule fois où je l’ai rencontré, parlant le poing serré tandis que madame baissait les yeux.

Après deux semaines de cours, Malika, à la fois voilée et maquillée, était capable de regarder un homme dans les yeux et avait même partiellement repoussé son hijab pour dévoiler ses cheveux. Un vendredi, elle a débarqué plus coquette encore : complètement dévoilée (des cheveux j’entends bien). Ses trois comparses de voile, dans un mélange de stupeur et d’admiration, se sont empressées de l’interroger en arabe sur sa soudaine émancipation. Une « blédarde » retirant son hijab à peine arrivée en France, c’est peut-être peu, mais symboliquement, voilà un vrai coup de pied au derrière de l’islamisme. Consciemment ou non, Malika était sensible à la visibilité heureuse du féminin évoquée par Alain Finkielkraut. Courageuse, elle venait tous les jours en cours cheveux ondulés au naturel ou laqués. La République avait eu sa petite victoire.

Et quand elle se soumet

Pas pour longtemps. A peine trois semaines après, elle avait de nouveau perdu: Malika est revenue, un lundi matin, la mine soumise et le regard visiblement absent. Fagotée comme un sac très serré, elle étouffait non plus sous un mais deux hijabs ! Choix volontaire d’expression de sa piété ? C’est peu concevable : Malika semblait plus gaie sans foulard. Réserve professionnelle oblige, je ne lui ai pas demandé pourquoi elle l’avait mis à nouveau à nouveau, mais nul besoin d’être une lumière pour comprendre que son époux et sa réputation dans son quartier de Montreuil n’y sont probablement pas pour rien. J’ai donc  continué à faire cours comme si de rien n’était, me suis cantonné à mes fonctions. Dans ce cadre républicain, je me suis plié à mon devoir de réserve légitimé par le « vivre-ensemble ».

Ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas le seul. Le jour de la journée internationale des droits des femmes, j’ai entendu sur France Info Raphaëlle Remy-Leleu, porte-parole d’Osez le Féminisme. Elle parlait lutte contre les stéréotypes femmes-hommes. Du sexe et des métiers : une routière, un baby-sitter, une déménageuse, un secrétaire, etc. Chouette alors ! Mais Malika dans tout ça ? Comme l’a très bien dit Marc Molk dans ces colonnes ou Fatiha Boudjhalat dans le Huffington Post, les associations féministes semblent avoir d’autres chats à fouetter que celui de Malika. Peut-être sont-elles dépassées ? Je ne sais pas. C’est pourtant simple : la jeune femme a été amenée ici d’Algérie pour faire le ménage et la cuisine, satisfaire les pulsions sexuelles de son mari, et sans doute assumer ses fonctions reproductrices que cela lui plaise ou non (en cours, elle a dit qu’elle ne voulait pas avoir d’enfants). Pourquoi même s’enquiquiner à parler un bon français dans ce contexte ? Son déprimant destin est tout tracé.

Rendez-vous le 10 juillet

Tandis que j’échafaudais dans ma tête l’idée d’une journée des femmes sans voile, j’ai appris que cela existait déjà, en juillet, grâce au collectif Femmes sans voile. Je ne savais pas, j’ai une excuse : l’édition de 2015 n’a rassemblé, place de la République, que 150 personnes. Mais la féminisation des noms des rues est sans doute une préoccupation plus importante que l’émancipation des Malika.

Certes, il y aura toujours une musulmane voilée et cultivée de Saint Germain-des-Près pour nous expliquer qu’on peut très bien porter le voile par conviction spirituelle tout en étant indépendante et libre de choisir son époux (voire son amant). Mais les (nombreuses) autres ? Et qu’en est-il de toutes les musulmanes sans voile qui ne supportent plus de passer pour de mauvaises croyantes dans certains quartiers parce qu’elles vivent les cheveux à l’air ? Qu’il serait plaisant de voir de nombreuses adeptes du hijab s’en solidariser, se dévoilant rien qu’une journée, celle des femmes sans voile le 10 juillet prochain. Je rêve sans doute, je sais. Mais quand même, hommes ou femmes, notons la date. Et allons, croyants ou non, prêter main forte à ces femmes courageuses qui, cet été, mériteraient d’être au moins 300.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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