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Nicolas Dupont-Aignan, en campagne pour l'élection présidentielle de 2017, lors du congrès annuel de Debout la France à Paris, 2 octobre 2016
Dupont-Aignan Debout la France
Nicolas Dupont-Aignan, en campagne pour l'élection présidentielle de 2017, lors du congrès annuel de Debout la France à Paris, 2 octobre 2016

Du grand Charles à Seguin et Pasqua, le gaullisme a toujours eu de la gueule – et pas celle du gendre idéal. Nicolas Dupont-Aignan, on l’aurait plutôt vu à la tête d’un parti centriste – promettant de faire de la politique autrement, égrenant devant des caméras complaisantes quelques propositions pour une République numérique et participative, écologique et citoyenne. Pour l’eau tiède, il aurait été parfait. Charmant, plein de repartie. Le Petit journal, Libé, Les Inrocks auraient adoré. Au lieu de quoi, on le raille volontiers. Paris ne pardonne pas les erreurs de casting.

Sauf que, sur ce fichu réel qu’on appelle élections, c’est un peu plus compliqué. Bien que coincé entre LR et le FN, non seulement son mouvement ne disparaît pas, mais il progresse (800 000 voix aux dernières régionales). Le mépris n’aura eu raison ni du bonhomme ni de ses quelques amis – militants fidèles qui voient aujourd’hui arriver, non sans inquiétudes, des premiers ralliements.

Au culot, et sans autre argument que ma curiosité, je suis allé rencontrer l’homme.

11 h 34, ce vendredi matin. Le train part dans moins de trois minutes. Nicolas Dupont-Aignan arrive sur le quai, à peine essoufflé : costume bleu marine de bonne coupe, chemise blanche et, autour du cou, un large chèche en coton imprimé bleu et blanc. Séduisant, dans le coup. Tout sourire, frais, affable, heureux, il salue son jeune directeur de campagne, pose une main légère, amicale, sur son avant-bras, lance un « Ça va, Laurent ? », me découvre au même instant d’un regard sec, mais sans hostilité – Ah oui, c’est vrai, c’est vous… – et glisse dans le compartiment.

Vivre vite, c’est ça leur truc à tous, la drogue qui les fait tenir. Au programme : un marathon de vingt-huit heures dans la grande périphérie de Marseille où vont se succéder rencontres, interviews, réunions avec les élus, meetings publics. La vraie vie, quoi.
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13 h 00. Laurent Jacobelli m’avait prévenu. Le patron et lui devaient régler quelques problèmes. Une demi-heure. Après vous pourrez lui parler. J’observe pendant plus d’une heure trente les mille et un SMS, mails, coups de fil, tantôt souriants, tantôt graves, voire agacés. Cette interminable partition où alternent remontrances et encouragements, impatiences et satisfactions. Les « appelez-le », les « dites-lui » et les « passez-le moi ». Ping-pong électronique à travers le pays et qui se joue à dix, quinze contre un. Enfin, Nicolas Dupont-Aignan relève le nez. Ça vous dit d’aller grignoter quelque chose ?

Au bar du TGV, le candidat à la présidentielle se contente d’une salade et d’une eau minérale. Un inconnu nous adresse un sourire de loin, Dupont-Aignan hoche aimablement la tête. J’aborde les questions traditionnelles : exister pendant la primaire de la droite, ou face au Front national. Imperceptiblement, son corps se resserre, le regard, le geste de la main se font plus précis. Le séducteur veut maintenant convaincre. Sur un ton de confidence, il brocarde la primaire – « un scrutin qui voudrait en abolir un autre : le premier tour. Mais il y aura des déçus. » Je comprends qu’on s’apprête à les accueillir. Au risque de froisser les combattants de la première heure. Tout mouvement politique est confronté à cette gageure : retenir les anciens sans décourager les nouveaux.

14 h 40. Nous arrivons à Aix-TGV. Le candidat est accueilli par le maire de Cadolive, village des environs de Gardanne, Serge Perottino. C’est justement une nouvelle recrue de DLF. Et c’est lui qui a organisé ce déplacement, c’est son épreuve du feu. Costume cintré gris clair, la poignée de main franche, ce chef d’entreprise a le regard droit, concentré, le sourire un rien retenu. Au tennis, j’imagine qu’il joue pour gagner. Le contraste avec Nicolas Dupont-Aignan, qui ne boude pas son plaisir d’être là, sous ce soleil éclatant, humant la brise, s’arrêtant pour photographier le massif de la Sainte-Victoire, est flagrant.

15 h 10. Nous arrivons à Gardanne, dans une zone d’activités. Militants et responsables nous rejoignent sur le parking. Le patron de France Arrosage, une PME spécialisée dans le négoce de matériel d’irrigation, accueille notre caravane avec chaleur, aisance – pantalons de toile claire, chemise bleu ciel, mocassins, l’homme appartient à cette bourgeoisie entrepreneuriale énergique et cool. Bientôt Roger Meï, le maire communiste de Gardanne nous rejoint, un dialogue « républicain » est entamé dans le vaste entrepôt où s’amoncellent asperseurs, tuyaux et autres kits faciles-à-poser. Les journalistes de La Provence prennent des notes. France 3 n’a pas voulu se déplacer. Nicolas Dupont-Aignan montre qu’il écoute – » nous voudrions plus de flexibilité, moins de charge  » –, puis reprend son credo économique, libéralisme pour les PME et État stratège, détaille quelques mesures techniques. L’assemblée hoche la tête. Nous repartons au pas de charge visiter l’entreprise suivante, entendre et dire les mêmes choses.

17 h 05. Serge Perottino nous conduit dans son fief, le village de Cadolive. Un employé municipal reconnaît de loin le véhicule, déplace les barrières, nous sourit. Tout est simple, fluide, facile. Magie du pouvoir qui explique tant de choses. Sur la place de l’hôtel de ville, le général Christian Piquemal vient, en voisin, saluer Nicolas Dupont-Aignan. Le militaire en retraite, arrêté cet été lors d’une manifestation à Calais contre l’arrivée des migrants et depuis lourdement sanctionné par la hiérarchie, est devenu un héros et un martyr de la droite. Le candidat et le général s’enferment un quart d’heure dans un bureau de la mairie. Une femme à l’élégance discrète attend avec moi dans le hall. C’est Virginie Angevin, élue de Sète, armateur de pêche, qui a fait le voyage spécialement. Avec beaucoup de naturel, d’aisance, une douce autorité, elle justifie son engagement à Debout la France (« Quand on travaille dans mon secteur d’activité, on ne peut être que contre Bruxelles« ), puis elle évoque ses origines mêlées, juive pied-noir et protestante, qui l’éloignent des extrêmes.

17 h 55. La réunion peut commencer. Huit maires sont présents, dont le charismatique Georges Cristiani, maire sans étiquette de la commune voisine de Mimet et président de l’Association des maires de France dans les Bouches-du-Rhône. De son regard farouche, il me toise un court instant. L’homme exsude l’énergie, une sorte de colère contenue. Les huit maires présents expriment leur désarroi face au durcissement de la loi sur le logement social « qui leur tombe dessus ». Paris, toujours Paris. Et puis cette satanée métropole d’Aix-Marseille, monstre administratif récemment créé et qui se confond presque avec le département (elle rassemble l’essentiel de la population). Les paroles fusent, entre accablement et révolte. Le candidat écoute, se présente en élu de terrain, raconte ses propres difficultés. Dans le brouhaha du village gaulois, sa parole s’impose, lentement. La force de Nicolas Dupont-Aignan ne vient ni de son sourire ni de sa bonne tête, mais de sa voix, limpide. Elle se détache des autres, force l’attention. Dès que le candidat se tait, le brouhaha reprend.

19 h 20. Quelques mètres seulement séparent la grande salle de la mairie de celle où nous attend un groupe d’étudiants de Sciences Po-Aix. Un autre monde. Ces jeunes gens veulent interviewer le candidat de Debout la France. Ils ont été invités par Valentin Rebuffat, un tout jeune homme au visage doux, quasi enfantin, un peu triste dans son costume sombre de responsable « jeunes » à DLF. Face à eux, Nicolas Dupont-Aignan sort le grand jeu. « Qu’est-ce que la politique pour vous ? » lui demande-t-on. « La dernière aventure romantique », réplique-t-il tout de go, séchant un instant son interlocuteur. Le candidat a quitté son chèche bleu dans le train mais retrouve avec ces jeunes sa flamboyance. Il ne triche pas, j’en suis certain. Il aime ça – séduire, emballer son monde.

20 h 00. À peine le temps d’avaler un verre de jus d’orange, et nous traversons la place à grandes enjambées. 280 personnes se sont massées dans la petite salle des fêtes de Cadolive, et je joue des coudes pour me trouver une place au fond. Drapeaux, grandes affiches, pupitre de Plexiglas, on a bien fait les choses. Nicolas Dupont-Aignan commence son discours. L’assemblée est dominée par les cheveux gris – j’estime au doigt mouillé qu’ils forment une grosse moitié de l’assistance. Mais j’observe aussi quelques jeunes gens. Certains ont l’air de militants, bien mis, de sortie. D’autres non. Ceux-là sont vraiment venus là par curiosité, en sortant du travail. J’en repère trois, non loin de moi. Je ne les quitterai pratiquement pas des yeux, observant leurs réactions. Ils applaudissent très fort le discours de fermeté sur l’immigration, sur l’Europe. Et boudent lorsque le candidat refuse la préférence nationale. Mais quand arrive la question des travailleurs détachés, l’enthousiasme les fait se dresser sur leurs jambes. Après le discours, j’irai à leur rencontre. Trois copains, trois « manuels », l’un porte encore un vêtement de travail. Deux votent FN, le troisième était pour Sarkozy. « Dupont-Aignan nous réunit », me glisse l’un d’entre eux. C’est presque trop beau – comme un désir de complaire. Mais si c’était vrai, NDA aurait réussi son pari.

21 h 30. Nous quittons Cadolive en trombe. Un cocktail dînatoire nous attend. Une rencontre « avec des acteurs de la vie économique » – comprendre des patrons. Autour d’un buffet, une vingtaine de personnes bien mises discutent par groupes de trois ou quatre. Ici un architecte, là un entrepreneur en bâtiment ou le créateur d’un magazine local. Dupont-Aignan a repris sa casquette d’homme à l’écoute des forces vives de la nation. La fatigue commence peut-être à se faire sentir, le visage est peut-être un tout petit peu moins aimable. À deux invités qui lui lancent du « french-tech ceci, french-tech cela », le candidat finit par demander, avec cette fausse candeur qui masque, d’ordinaire, son ironie profonde : « Mais en deux mots, french-tech, ça veut dire quoi ? » Nos deux apôtres se regardent, mi-consternés, mi-paniqués. Ils bafouillent, s’embrouillent, s’agacent. Finissent par sortir un grossier : « Vous savez tout de même ce que sont les nouvelles technologies ? » Dupont-Aignan ignore encore l’art de déplaire et oublie de tourner les talons.

23 h 30. Dans la voiture qui file vers notre hôtel, Serge Perottino se félicite de cette soirée, souligne la qualité de ses invités, et notamment ces gens du magazine local « qui tire quand même à 20 000 exemplaires ». Et d’ajouter à qui veut l’entendre : « Quand je pense que ces journalistes parisiens nous regardent de haut… »

Samedi matin. Le ciel est d’un bleu mythique, les collines provençales se déploient à l’infini, verdoyantes en cette saison. Nicolas Dupont-Aignan les observe, rêveur. Il doit avoir envie de faire faux bond, d’aller se perdre sur ces sentiers. Il n’en dira rien. Une nouvelle réunion publique nous attend.

9 h 30. Contre toute attente, on se presse devant l’immense salle des fêtes de Mimet. Le sujet peut pourtant paraître austère : le collectif des « communes carencées » invite à débattre du logement social. Je ne tarderai pas à le comprendre : dans ces communes semi-rurales qui respirent la douceur de vivre, le rattachement forcé à Marseille, via la création de la métropole, et le durcissement de la loi SRU sont vécus comme une déclaration de guerre du pouvoir central. On veut forcer le vivre ensemble. La population, maires en tête, se cabre, rejette de toutes ses forces pareille perspective. J’interroge les gens au hasard : ils sont indignés. Mais personne ne me dira : on ne veut pas des arabes, on ne veut pas des trafics, on ne veut pas des cités de Marseille. Dupont-Aignan serre des mains anonymes, embrasse une vieille militante qui lui donne du Nicolas. Il est là, auprès de ces gens. Les journalistes prennent des photos.

10 h 00. À la tribune, Georges Cristiani, le maire de Mimet qui n’a pas que la mèche rebelle, est la puissance invitante. Il dénonce méthodiquement la nouvelle loi tout en défendant son bilan de maire, avant de céder la parole à ses invités. Nicolas Dupont-Aignan défend le principe du logement social, et même de la contrainte financière, mais plaide pour que l’État raisonne en termes de flux (nouveaux logements) et non de stock (parc existant). Face à l’indignation, les ténors parisiens, même quand ils justifient d’une expérience d’élus locaux, ne font plus le poids. C’est trop tard. La révolte est plus profonde. Viscérale. Dans la salle, des élus de villes dont j’ignorais le nom s’expriment tour à tour avec une théâtralité toute méridionale. Les propos véhéments sont applaudis de plus en plus chaleureusement. Robert Dagorne, maire d’Éguilles, conclut son intervention par un « C’est pas la France ! » qui soulève la foule – c’est bien d’identité menacée dont il est question ce jour-là.

Nous quittons cette assemblée furieuse et reprenons le train pour Paris. Au vol. Épuisés, nous échangeons sur ce que nous avons vu, entendu. Nous bavardons aussi de choses et d’autres. J’évoque mon souvenir du Bataclan. Nicolas Dupont-Aignan me glisse : « Vous voyez, après ça, je comprends mieux Israël. » Je le tiens, mon scoop.[/access]



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